Gilets jaunes : regards croisés entre médias et policiers sur les violences qui rythment les manifestations

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Tribune commune et écrite par Bruno Pomart et de Didier Maisto

Avec le mouvement des « gilets jaunes », la France n’avait pas montré un visage aussi fracturé depuis 1968. Encore, à cette époque, les « rôles » étaient-ils plus clairement distribués, entre une France conservatrice et une France libertaire. Aujourd’hui, il n’est pas si simple de discerner des « camps », hormis peut-être celui du peuple contre l’exécutif. Ceci crée un climat de vives tensions, au sein duquel les Français ne se font plus confiance, où le dialogue serein de personne à personne – y compris de points de vue opposés – se fait rare. Un désamour criant envers à la fois les policiers, les journalistes et les politiques s’est installé, accentuant la méfiance à l’égard de l’ensemble de notre système politique et le besoin urgent d’un regain de démocratie.

Tous ces éléments constituent le terreau parfait pour voir émerger des violences auxquelles pas un samedi de manifestations n’a échappé. Quelles sont les racines de ces violences ? Qui en est responsable ? Comment en sortir ? Alors que le Grand Débat National est ouvert depuis plusieurs jours, l’épisode 11 des « gilets jaunes » a encore vu 69 000 manifestants dans tout le pays d’après le décompte du Ministère de l’Intérieur – chiffres soumis aux réserves de nombreux manifestants – et de nouvelles violences ont éclaté, notamment dans Paris, entachant une nouvelle fois l’image de la capitale à travers le monde.

Nous, Bruno Pomart – ancien policier instructeur du RAID, président fondateur de l’association Raid Aventure Organisation et maire de la petite commune de Belflou dans l’Aude – et Didier Maïsto – président de Sud Radio, participant aux manifestations et auteur de plusieurs Facebook Live relatant les événements au plus près – voulons ici croiser amicalement le fer et confronter nos points de vue afin de souligner l’impasse dans laquelle se trouve notre pays, pointer du doigt ce qui le paralyse et envisager les issues possibles.

Tout d’abord, nous sommes d’accord sur le constat de départ : il existe aujourd’hui au cœur des manifestations un « triangle », dont les relations ne fonctionnent pas, entre les manifestants, les policiers et les médias, ce triangle étant observé de haut par l’exécutif, plus ou moins à la manœuvre.

Pour Bruno Pomart, chaque défiance en alimente deux autres : quand les médias accentuent les incidents, ils augmentent par la même occasion les tensions entre policiers et manifestants. Quand des policiers épuisés font un pas de travers, les médias ont tendance à faire du sensationnel, ce qui accentue les violences de la part des profiteurs qui souhaitent obtenir un « quart d’heure de gloire » à peu de frais. Et quand des manifestants – ou des groupuscules infiltrés – commettent des actes injurieux envers nos institutions ou une catégorie de la population, c’est tout le mouvement qui y est assimilé, toujours par l’intermédiaire des médias à sensation, ce qui accroît la colère des manifestants modérés et pacifiques, et tend encore plus les relations avec les policiers chargés du maintien de l’ordre.

Didier Maïsto, quant à lui, a commencé à rejoindre les rassemblements de « gilets jaunes » après avoir constaté le hiatus entre la description qu’en font la plupart des médias et ceux qu’il a eu l’occasion de rencontrer et d’interviewer sur Sud Radio. Pour lui, la majorité des journalistes ne va plus sur le terrain, se contente de réciter les dépêches transmises par l’AFP ou les communiqués de l’exécutif, ou bien encore donne de préférence la parole aux personnes dont les discours sont les plus à mêmes de jouer sur les peurs des Français. De ce fait, leur indépendance, leur probité et leur légitimité à parler du sujet, à l’expliquer objectivement, bref à faire leur travail de journalistes, sont fortement à remettre en question.

Selon lui, c’est également du côté de l’exécutif et de la hiérarchie policière qu’il faut chercher les responsables des affrontements entre manifestants et policiers : quand un cortège se retrouve « nassé » par la police sans aucune rue disponible pour sortir et qu’aucun CRS n’est capable de dire par où la manifestation peut se poursuivre, comme ç’a été le cas lors de l’Acte 10, c’est que le plus grand flou règne dans les ordres reçus. À ceci s’ajoute l’appel en renfort de policiers de la BAC ou de la BRI, parfois infiltrés dans les cortèges, sans uniforme distinctif, qui ne sont pas formés au maintien de l’ordre et prennent par moments des initiatives trop cavalières.

Enfin, il dénonce vivement le comportement des quelques dizaines de « débiles » décidés à tout casser et à en découdre, qui contribue à la stratégie de dé-crédibilisation organisée par le gouvernement, constituée d’une grande part de minimisation – ses propres estimations sont bien supérieures à celles annoncées par le Ministère de l’Intérieur – et d’une dramatisation dangereuse.

La science a prouvé ces dernières années à quel point il est facile de jouer sur les peurs, de monter les gens les uns contre les autres. Cet héritage de l’évolution nous fait sur-réagir au négatif et au danger, car c’était autrefois la condition de notre survie. Deux heures de reportage sur des sujets optimistes et inspirants ne pourront ainsi jamais rivaliser avec cinq minutes de flash spécial. Cependant, nous le voyons depuis des années, cette tendance des médias à monter le négatif en épingle se retourne à la fois contre eux et contre notre société, puisque les peurs détricotent peu à peu le tissu et la cohésion social(e).

L’information devrait cesser d’être liée à l’audimat et à l’argent. La cote de popularité des journalistes n’a jamais été aussi basse, alors même que la demande en information vérifiée et sûre augmente. Nous ne pouvons demeurer dans un tel paradoxe. Même si cette défiance envers l’information est le signe plutôt réjouissant d’un regain d’esprit critique de la part des Français, et qu’il reste anormal que des journalistes soient blessés dans l’exercice de leur travail au sein de notre État de droit, il est grand temps que ceux-ci reviennent à leurs fondamentaux, afin de redevenir « utiles » à la population.

Alors, les médias sont-ils responsables de la situation ? Oui et non pour Bruno Pomart. D’après lui, il est évident que les torts sont partagés. Il est humain de vouloir à tout prix rechercher des coupables et de vouloir les catégoriser, sauf que les violences constatées ne sont pas l’effet d’un groupe, mais d’individus agissant en tant qu’individus : chacun est responsable de sa propre violence. C’est précisément ce mélange des responsabilités, sans cesse généralisé, qui est malsain, ainsi que la lenteur et le manque de communication de la justice pour expliquer pourquoi telle ou telle personne est condamnée ou non.

Aujourd’hui, le soutien de l’opinion publique envers les manifestants ou envers les policiers oscille toujours autour des 50-50. Dès qu’il y a un blessé côté manifestants, le thème des violences policières ressurgit et la balance penche en faveur des manifestants. À l’inverse, dès que des images de passage à tabac d’un policier circulent, l’effet inverse se produit. Selon Bruno Pomart, il ne peut y avoir d’affrontements sans dommages collatéraux. Les policiers font un travail compliqué avec des dégâts, estime-t-il, restreints. Mais pour combien de temps encore, à l’heure où tout le monde, policiers compris, se filme et se scrute dans l’attente d’un faux-pas ?

Le problème des débuts de ce mouvement, toujours selon Bruno Pomart, c’est qu’il n’était ni encadré, ni organisé, sur le strict plan de la sécurité. Il était donc aisé pour des groupuscules extrémistes ou pour des « casseurs » de le rejoindre et de prétendre adhérer à ses idées, alors que leur seul but était de semer le chaos. Une amélioration est sensible sur ce plan depuis début janvier, même si très peu de manifestations sont déclarées pour autant, et les problèmes n’interviennent plus qu’en fin de journée, alors que l’essentiel de la manifestation s’est déroulée de façon pacifique et bon enfant.

Didier Maïsto constate également cette amélioration côté policiers : lors de l’Acte 11, il souligne la discrétion et le professionnalisme des policiers, jusqu’à l’arrivée place de la Bastille, et le nouveau dérapage qui a vu Jérôme Rodriguez perdre un œil après un tir de flashball. S’il n’émet pas d’accusation directe – alors même que des informations en provenance de l’IGPN viennent d’être dévoilées, mais dans ce cas, pourquoi s’attaquer à une personne parfaitement identifiée et pacifique ? – il dénonce néanmoins l’usage « d’armes de guerre » dans les manifestations (les fameux lanceurs de balles de défense LDB40, et les grenades de dispersion contenant du TNT), et surtout que cet usage soit étendu à des policiers non-formés à leur utilisation dans un espace public.

Nous apportons tous deux notre soutien aux forces de l’ordre, qui sont épuisées et souvent en conflit interne entre les ordres auxquels elles se doivent d’obéir et leurs convictions personnelles. Le taux de suicide des policiers n’a jamais été aussi haut, les demandes de congés maladie explosent. Avec un équipement vétuste qu’ils doivent batailler pour renouveler, un salaire indigne des services rendus à la France et des ordres contradictoires, voire une gestion « à contretemps » de la crise, qui ne suivrait pas leur exemple ?

Il devient urgent de sortir de ce cycle de violences : les colères ont été entendues, il est temps de leur donner une dimension constructive. Pour Bruno Pomart, si le Grand Débat National est une bonne initiative de la part du gouvernement et qu’il peut permettre de libérer la parole démocratique, il faut aller au plus vite vers des réformes concrètes. Le gouvernement ne peut pas de contenter de dialogue pendant encore trois mois : la situation est trop explosive pour s’en tenir là. Qui plus est, trop de dialogue pourrait virer à l’exercice de style pour Emmanuel Macron, or ce n’est pas cela dont les Français ont besoin, mais d’une véritable inflexion de sa politique, qui tienne réellement compte de leurs préoccupations à la fois fiscales, sociales et écologiques.

Il faut que les politiques refassent de la politique, c’est-à-dire prendre connaissance des données techniques mais également écouter le peuple pour qu’en définitive les lois adoptées soient en sa faveur et non en faveur d’une entité économique abstraite. Nul ne peut convaincre un individu en colère avec des chiffres, il nous faut repenser l’humain à travers nos politiques. Les maires jouent déjà ce rôle, il est temps que tous les autres échelons de notre représentation se souviennent aussi que c’est avant tout pour cela qu’ils ont été élus.

Didier Maïsto, quant à lui, n’est pas du tout convaincu par l’utilité du Grand Débat National, dont les résultats, d’après lui, ne satisferont personne. Il reproche à Emmanuel Macron d’être dans une opération de reconquête en vue des élections européennes, sans réel souci des doléances des Français, qu’il retourne à grands coups de rhétorique. Pour sa part, il en a assez des lois de circonstances, comme la loi « anti-casseurs », d’apparence sécuritaire alors qu’elle est liberticide. Pour lui aussi, la solution ne peut venir que d’une réponse forte et concrète de l’exécutif, mais il va plus loin que Bruno Pomart : selon lui, seule une initiative du gouvernement – sous forme d’un référendum sur n’importe quelle question qui se transformera en référendum pour ou contre Macron, ou bien d’une dissolution de l’Assemblée Nationale – assortie d’allocutions publiques de ses membres pour reconnaître humainement leurs erreurs, au lieu de le faire par twits, pourra apaiser les foules et relancer la démocratie.

Persuadé que le mouvement des « gilets jaunes » touche bien plus de Français que ne veulent bien l’admettre nos dirigeants, il envisage deux scénarios à l’horizon du 5 février. Dans le premier, l’appel à la grève générale est un succès et le pays se retrouve paralysé jusqu’à ce que le gouvernement en tire les conséquences. Dans le second, qui relèverait peut-être d’une stratégie de l’exécutif, la grève générale n’a pas lieu, La République En Marche tire son épingle du jeu lors des élections européennes, et les violences se poursuivent jusqu’à l’incident de trop.

Toute cette crise révèle en fin de compte un défaut central de notre système politique, celui du manque d’empathie de ceux qui le pratiquent et, malheureusement, en ont fait leur métier. Conséquence, selon Didier Maïsto : l’intérêt général à long terme n’est plus privilégié et l’on oppose la population en la découpant en une myriade de clientèles, que l’on tente ensuite de conserver jusqu’à la prochaine échéance électorale.

 

Didier MAÏSTO
– Président de Sud Radio

Bruno Pomart
– Maire sans étiquette de la commune de Belfou dans l’Aude
– Président et fondateur de l’association Raid Aventure Organisation www.raid-aventure.org
– Ex-policier du Raid – Police Nationale – Chevalier de la Légion d’honneur – Chevalier de l’ordre National du mérite
– Auteur du livre « Flic d’élite dans les cités »

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