Franck Maubert : « Je ne crois en rien, donc, le pardon… »

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Auteur de romans et d’essais sur l’art, Franck Maubert a rencontré Francis Bacon. Dans ce roman musical et poétique, le narrateur, son double, parle de la campagne, de la pêche (aux anguilles), de son enfance.

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Son père, ancien malfrat proche de Mesrine, et sa mère, si peu maternelle, l’ont confié à un couple âgé plein de bonté. Lorsque sa génitrice l’oblige à la suivre à Nanterre, le gamin trouve refuge à la bibliothèque où il dévore des biographies d’artistes. Le début d’une passion qui ne le quittera plus. La fin du roman est terrible… Un livre bouleversant, inoubliable, sans doute le meilleur de la rentrée littéraire.

Ce livre, nous avons l’impression que vous l’avez écrit au long de votre vie…
D’une certaine manière, oui, depuis l’âge de 20 ans, je voulais écrire mon enfance mais je ne trouvais pas les mots. Il m’a fallu attendre jusqu’à aujourd’hui et connaître d’autres éclaircissements sur mon père, notamment. Ce qui est certain : mon enfance a été et restera le moteur de mon écriture.

D’où vous vient votre amour de la campagne, de la Province, des arbres, des rivières ?
Non, je n’aime pas la province, sa pesanteur alanguie et mortifère. La nature, oui avec ses forêts, ses cours d’eau et son ciel plus étoilé que celui des grandes agglomérations. Mais que reste-t-il vraiment de la nature? Aujourd’hui les chemins sont balisés, les forêts dépecées, les rivières polluées. Bon, j’arrête, ma vision n’est guère optimiste.

« Non, je n’aime pas la province, sa pesanteur alanguie et mortifère »

 

Paradoxalement, le narrateur qui a eu une histoire familiale désastreuse, un père absent, méprisant, gangster qui a fait de la prison, et une mère pas maternelle, semble tout à fait heureux dans sa famille d’accueil. Est-ce parce qu’il vit ses rêves qui ont pour décor la nature, le bruit des feuilles et des cours d’eau ?

Ce que l’on appelle une « famille d’accueil » était pour moi ma famille, un homme et une femme merveilleux de gentillesse. L’un et l’autre travaillait très dur la terre, s’occupait des animaux etc. Moi, je baguenaudais seul à travers les chemins des champs et des bois, les pieds dans l’eau de la rivière aussi, c’était l’apprentissage de la liberté, celle d’un vrai sauvageon. Comment ne pas être heureux ainsi, sans la contrainte des hommes. Et, accessoirement, sans la tutelle de parents.

 

 

« Je baguenaudais seul à travers les chemins des champs et des bois, les pieds dans l’eau de la rivière aussi, c’était l’apprentissage de la liberté, celle d’un vrai sauvageon »

 

Lorsque sa mère vient le chercher, après des années d’absence, il se retrouve à Nanterre. Là, il découvre un autre substitut à sa solitude : les livres. Pourquoi est-il si passionné par les biographies d’artistes et surtout de peintres et de sculpteurs ?
Si je me suis réfugié dans la lecture, grâce à une bibliothèque municipale, et particulièrement dans la lecture de biographies d’artistes et de monographies consacrées à des œuvres ou des ouvrages sur les plus grands musées, c’est, sans doute, parce que j’avais tenté de peindre et que je ne réussissais pas. J’ai essayé pendant presque un an et j’ai tout détruit et abandonné. La connaissance de l’art a été en quelque sorte, un refuge. Et je me suis constitué une famille avec les artistes que j’aimais, même disparus. Ma vraie famille est celle des artistes.

 

La bibliothèque municipale devient son véritable foyer. Ce qui semble étrange : il ne se plaint jamais de sa condition. Est-il un sans-famille heureux ?
Heureux, je n’ai jamais très bien su ce que cela signifie et je n’aime pas trop ce mot. J’ai l’impression que l’on est heureux après coup. On se dit : Tiens ce moment-là était vraiment super. Mais sur le moment, on ne s’en rend pas compte tout à fait.

 

Il y a une merveilleuse rencontre entre le narrateur devenu jeune-homme et le philosophe Jankélévitch. Était-il son maître à penser et qu’aimait-il chez lui ?
Oui, Jankélévitch était un homme réellement merveilleux. Comment ne pas admirer un homme qui, au sommet de sa gloire, prend le temps de répondre à un pauvre garçon comme moi qui souhaite le rencontrer pour discuter ? Il me considérait comme son égal, alors que j’étais un pauvre ignorant. Certes en demande de connaissances. Chacune de ses paroles était considérable. J’entends encore sa voix frêle et la sage précipitation de sa pensée.

 

 

Si on vous dit que plane, dans les pages de L’eau qui passe, l’ombre de Julien Gracq, le rapport à la nature que l’on trouve chez les romantiques allemands dont il était un grand lecteur, acquiescez-vous ?
Je ne sais si mon admiration pour les phrases de Julien Gracq apparaît à travers celles de mon Eau qui passe ; mais Julien Gracq, oui, m’accompagne depuis des décennies. Il est l’auteur que je lis et relis. Son univers me plaît, nous partageons le même amour de la nature, de la géographie, ses paysages des Mauges me sont familiers et pas si éloignés de ceux des bords du Loir, où je vis. Je me rends parfois à Saint-Florent le Vieil et regarde les cygnes glisser sur l’eau.

 

La vie du narrateur semble dictée par l’amour de l’art. Son premier amour n’était-il pas une statue de bois qu’il a prénommée Cécile ?
Alors, non, celle que je nomme Cécile dans mon livre existe bel et bien mais ce n’est pas un premier, ni un dernier amour. C’est une statue que j’ai achetée il y a quelques années dans une salle des ventes, pour trois francs six sous, et qui symbolise certains aspects de la féminité un peu exacerbé mais aussi un concentré de tenue et de sagesse, voire même d’austérité que j’apprécie. Et dans l’Eau qui passe, elle symbolise la femme aimée…

 

On comprend pourquoi le narrateur, c’est-à-dire vous, qui eut très tôt la révélation de l’art, ait été fasciné par les tableaux de Francis Bacon que vous avez très bien connu, racontez-nous votre première rencontre et expliquez-nous pourquoi un peintre si violent que Bacon vous a touché à ce point, vous qui n’êtes que douceur. Est-ce le fait que Bacon considérait la vie comme artificielle ?
Déjà, je ne suis, hélas pas, que douceur. Il y a cette expression : la terrible colère des doux qui pourrait mieux me caractériser. Alors Bacon, oui, il est l’homme le plus extraordinaire que j’aie eu la chance de rencontrer. Je publierai d’ailleurs un livre « Avec Bacon » en septembre prochain sur lui, son travail… Sa peinture n’est pas à proprement parler « violente », elle révèle l’âme humaine, oui, elle est le révélateur de ce qu’est l’homme. Et, on sait qu’il y a toujours de la violence chez lui, même chez les « doux » !

 

« La peinture de Bacon n’est pas à proprement parler « violente », elle révèle l’âme humaine, oui, elle est le révélateur de ce qu’est l’homme »

 

Les deux dernières pages de votre livre sont terribles, le narrateur revoit des années plus tard sa mère. Y a-t-il un pardon ?
Le pardon, pardonner, je n’ai pas de réponse à cela. Je ne crois en rien, donc, le pardon… Ma réaction, celle du narrateur dans mon livre a été naturelle et, certes brutale, parce que sans réflexion. Mais la spontanéité, parfois, peut être bonne conseillère.

 

Franck Maubert
L’eau qui passe
Editions Gallimard

Crédit Photo ©Francesca Mantovani-éditions Gallimard

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