Le gouvernement italien a signalé à la Commission européenne que d’autres pays ont laissé filer leurs déficits et n’ont pas été sanctionnés. N’y a-t-il pas un fond de vérité dans cette analyse ?
Oui, il y a des précédents. En 2016, par exemple, l’Espagne et le Portugal ont été sanctionnés pour ne pas avoir réduit leur déficit public assez rapidement mais ces sanctions furent symboliques car l’amende (pouvant théoriquement aller jusqu’à 0,2% du PIB) n’a jamais été réclamée. L’autre précédent, le plus spectaculaire, date de 2003 lorsque la France et l’Allemagne ont violé les règles sans aucune conséquence alors que ce sont ces deux pays qui sont à l’origine même de ces règles. Les exemples espagnols et portugais sont intéressants car ils montrent que, contrairement aux caricatures, Bruxelles peut faire preuve de tolérance budgétaire. Le temps de l’austérité imposée, aveugle et homogène est heureusement révolu. C’est dans la complexité et la flexibilité des règles que la Commission puise son pragmatisme, en prenant en compte la position de l’économie dans le cycle ainsi que l’action réformatrice des gouvernements. A titre d’exemple, la clause dite de « réforme structurelle » prévoit d’être moins strict avec les pays qui mettent en œuvre ce genre de réformes dont le coût économique est immédiat alors que les gains mettent du temps à se matérialiser. Le gouvernement italien aurait pu faire jouer cette clause pour éviter le conflit mais comme son programme ne prévoit aucune réforme structurelle il ne peut même pas y prétendre. Matteo Salvini et Luigi Di Maio se sont bornés à faire une énième pseudo-relance budgétaire comme l’Italie en a vu tant passer. Ils ne cherchent pas des solutions, ils cherchent des boucs émissaires. Et ils en ont identifié trois : les marchés, les immigrés et Bruxelles.
« Menacer la stabilité de la zone euro, c’est menacer toutes les économies voisines qui partagent la monnaie unique »
En tous cas, le gouvernement italien a répété plusieurs fois que l’Italie ne sortira pas de l’Euro. Beaucoup de bruit pour rien ?
Une autre différence de taille avec la Grèce et l’épisode de l’arrivée de Syriza au pouvoir en 2015, c’est effectivement que le gouvernement italien a rapidement compris qu’une sortie de la zone euro serait une catastrophe économique. Même si certaines voix au sein de la Ligue ou du M5S continuent de pousser pour un « Italexit », elles restent largement minoritaires. Pour les raisons déjà expliquées auparavant, le danger d’une sortie de la zone euro pourrait néanmoins refaire surface de manière presque involontaire si la situation dégénère au point de remettre en cause toute la stabilité de la région. Mais il y a une éventualité encore plus subtile. Si la situation économique en Italie restait morose, par une croissance qui reste nulle comme au 3ème trimestre ou deviendrait même négative, le gouvernement se retrouverait en difficulté et pourrait bien être tenté de jouer la carte d’une menace de sortie pour détourner des problèmes domestiques et négocier une aide avec Bruxelles et ses voisins. Menacer la stabilité de la zone euro, c’est menacer toutes les économies voisines qui partagent la monnaie unique. C’est une arme à double tranchant mais qui peut s’avérer très efficace pour instaurer un rapport de force.
« Contrairement à ce qu’on entend trop souvent, le pouvoir du Parlement Européen reste très restreint, il n’a même pas l’initiative législative »
Les élections européennes représentent aussi un risque pour l’économie UE ?
Aujourd’hui tous les risques politiques sont à prendre au sérieux. Néanmoins, en termes économiques les enjeux des élections européennes ne sont pas les mêmes que pour des scrutins nationaux parmi les états membres. Contrairement à ce qu’on entend trop souvent, le pouvoir du Parlement Européen reste très restreint, il n’a même pas l’initiative législative. Le nouveau processus dit des Spitzenkandidat, qui consiste à mettre à la tête de la Commission une personne soutenue par une majorité parlementaire, a mis à peine plus de piment dans le jeu électoral. Cette élection pourrait pourtant être la plus importante de l’histoire de l’UE compte tenu du contexte géopolitique. Le Brexit ainsi que la montée de l’illibéralisme à l’Est et des populismes au Sud placent l’Europe face à un choix. Elle est désormais confrontée à des directions radicalement différentes. Matteo Salvini a d’ailleurs bien fait comprendre qu’il visait à construire une majorité populiste au Parlement Européen pour changer de cap. Ça a le mérite d’être clair, et surtout de mettre face à leurs responsabilités tous ceux qui, bercés de suffisance, ont endormi le projet européen. On a longtemps reproché aux élections européennes d’être ennuyeuses mais cette fois il y a un vrai enjeu.
« En France, on a abandonné depuis quelques temps la volonté politique de réduire les dépenses publiques »
Si on regarde les rendements de certains fonds d’investissement spécialisés dans les pays « PIGS » ou du « Club Med »…. On constate qu’ils affichent des bons résultats. Ces pays ont finalement remis en ordre leurs finances ou pas ?
Je n’aime pas trop ces acronymes et qualificatifs qui sont connotés. Le Portugal, l’Italie, la Grèce et l’Espagne sont quatre pays aux tailles et aux économies très différentes. Il faut faire du cas par cas pour ne pas tomber dans une généralisation caricaturale. La Grèce semble avoir enfin touché le fond mais la remontée entamée va être très longue. Et la question de la restructuration de la dette n’est toujours par réglée. L’économie espagnole a réussi à se reformer en pleine crise et se porte de mieux en mieux, ce qui lui permet d’éviter jusqu’à présent la contagion italienne. La renaissance du Portugal montre elle qu’un travail de rigueur budgétaire bien dosé, bien séquencé, peut s’avérer payant pour la croissance. Dans ce panorama, il faut quand même rendre à César ce qui est à César. Ou plutôt à Mario ce qui est à Mario. La politique monétaire activiste de la BCE, dirigée par Mario Draghi, comporte des risques financiers mais a eu le mérite sur le plan macroéconomique de débloquer la tuyauterie monétaire et de réactiver le financement de l’économie. Si la BCE n’avait rien fait, on n’en serait pas à compter le 22ème trimestre consécutif de croissance positive en zone euro.
En Europe on voudrait uniformiser les systèmes d’impositions nationaux. Au contraire, aux USA, chaque État peut pratiquer une propre politique d’imposition. Que devrait faire l’UE, harmoniser ou différencier?
Il faut savoir de quels impôts on parle : impôts sur le revenu, sur la consommation, sur les sociétés ? Le capital étant bien plus mobile que le travail, c’est sur ce dernier que l’imposition est la plus contrainte par la mondialisation et c’est donc là qu’il faut faire attention de rester en phase avec ses voisins. Mais l’harmonisation fiscale au sens pur est problématique parce qu’elle pose la question du dénominateur commun : on harmonise en s’alignant sur qui ? Par exemple, il y a une différence de culture et de taux entre l’imposition en Irlande et en France qui est presque irréconciliable. Un impôt, c’est un taux et une assiette, c’est-à-dire combien on paye et qui paye. L’idéal serait de réfléchir à harmoniser les assiettes plutôt que les taux au niveau européen. Cela permettrait de considérablement simplifier les décisions d’investissement, actuellement complexifiées par les maquis de codes fiscaux nationaux, tout en laissant aux Etats le libre choix de faire varier leurs taux, éventuellement dans une fourchette consentie.
« Il faudrait commencer par se poser la question du rôle de l’État. Quelles fonctions
doit-il remplir ? Financer les écoles ou combler le déficit de la SNCF ? »
Ou bien… pensez-vous qu’il y a tout simplement trop de pression fiscale dans l’UE ?
Il est difficile de répondre de manière générale. Le niveau de pression fiscale dépend du niveau de services publics et de redistribution qu’une société accepte. C’est un compromis. Si on prend le cas français, on se rend compte avec la colère des gilets jaunes que ce compromis vacille à tel point que le consentement à l’impôt est remis en cause. Ce n’est d’ailleurs pas étonnant quand on regarde les chiffres d’Eurostat : la pression fiscale est plus élevée en France que dans n’importe quel autre pays européen…
Pourquoi selon vous la France, et d’autres pays, ne réussissent pas à baisser leurs dépenses publiques?
Parce que c’est toujours plus facile d’augmenter une taxe ou un impôt que de baisser une dépense publique. Le réflexe naturel de l’État n’est pas de réduire sa taille volontairement. Ce n’est clairement pas dans l’intérêt de la bureaucratie car c’est là sa raison d’être. On nous explique qu’il ne faut pas couper les dépenses publiques en période de récession, ce qui est vrai, mais quand revient la croissance on oublie de s’y attaquer. En France, on a abandonné depuis quelques temps la volonté politique de réduire les dépenses publiques. On ne vise plus leur baisse absolue mais seulement de minimiser la hausse tendancielle de la dépense publique. Du coup, on rabote par ici une allocation ou on désindexe par là une pension pour grappiller quelques milliards. C’est la pire des méthodes. C’est fait sans stratégie générale, sans prendre en considération l’intégralité des 1300 milliards d’euros de dépense publique. Il faudrait commencer par se poser la question du rôle de l’État. Quelles fonctions doit-il remplir ? Financer les écoles ou combler le déficit de la SNCF ? Investir dans la recherche ou dans la surveillance des réseaux sociaux ? Réserver l’administration publique aux fonctionnaires à vie ou l’ouvrir au secteur privé ? Il y a des choix à faire. Il ne s’agit pas de couper ou dégraisser pour le plaisir mais pour améliorer l’efficacité de l’Etat, c’est-à-dire le renforcer là où il est nécessaire et de l’éliminer là où il devient liberticide et bride les initiatives individuelles.
Retrouvez le reste de l’interview en video :
Repères
Maxime Sbaihi est économiste, diplômé de l’ESCP Europe, de la City University et de l’université Paris-Dauphine. Avant de devenir le Directeur général de GenerationLibre, il a travaillé pour banque Oddo BHF à Paris et pour Bloomberg à Londres.
Le site du Think-Tank : www.generationlibre.eu