Olivier Gougeon : « Le Salon du livre de Montréal, c’est le passage d’un acte aussi intime que la lecture à une rencontre, puis un partage »

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Olivier Gougeon a pris la tête du Salon du livre de Montréal il y a quelques mois seulement. Il a déjà des idées bien arrêtées sur la façon dont il souhaite faire évoluer ce Salon, internationalement reconnu. Baigné dans les livres et les mots depuis sa tendre enfance, Olivier Gougeon a longtemps travaillé dans le monde de l’édition avant d’être nommé à la barre de ce bateau amiral du livre qu’est le Salon du livre de Montréal. Dans ce long entretien, il s’exprime avec passion et conviction sur l’avenir du festival, sur la place de la lecture, sur la littérature québécoise mais aussi sur l’intérêt pour le livre et de son futur, numérique ou pas.

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Quelle est la genèse du Festival du livre de Montréal?
Il était une fois… en 1950, un petit évènement qui deviendra grand. La journée du livre, une initiative de la Société de développement du livre d’alors, se déroule à l’hôtel Windsor de Montréal. De tentatives multiples en interruptions, de renaissances en refontes, la formule actuelle du Salon prend finalement son essor et se tient de façon ininterrompue depuis 1978. L’année dernière, lors de la 40e édition, 119 000 visiteurs y rencontraient plus de 2 000 auteurs.
Je me permets d’insister ici sur le mot « Salon » et non « festival ». Car si la programmation du Salon du livre de Montréal est essentielle, le Salon ne serait rien sans son caractère marchand et les milliers de séance de dédicaces. C’est la beauté et l’unicité de cet évènement, d’être à la fois autant marchand que culturel.

En quoi est-il attractif pour les écrivains et les éditeurs?
Le Salon du livre de Montréal est d’abord et avant tout une fête, une fête du livre et de la lecture qui mobilise tant le grand public que les professionnels. C’est l’une des plus importantes foires francophones du livre au monde, et c’est un évènement incontournable du paysage culturel et littéraire qui n’a pas d’équivalent en Amérique du Nord.
L’une des grandes qualités du Salon est d’être un entremetteur : son rôle est de favoriser les rencontres entre les lecteurs et tous les artisans des métiers du livre : les auteurs et les créateurs d’abord, qui sont à la racine de tout, mais aussi les éditeurs, les libraires, les bibliothécaires, et j’en passe. Permettre des rencontres entre lecteurs aussi, et donc favoriser le partage. Au fond, voilà la clé de son succès et de son attractivité pour les écrivains, les éditeurs et les lecteurs : un évènement comme le Salon du livre de Montréal, c’est le passage d’un acte aussi intime que la lecture à une rencontre, puis un partage. Le Salon est éminemment concret et là est sa force.

www.salondulivredemontreal.com

 

Parlons de vous. Quel est votre parcours, Olivier Gougeon?
J’ai toujours été un touche-à-tout, un curieux, mais je me rends compte aujourd’hui que sans avoir de vocation précise, j’ai toujours été attiré par les mots et leur portée. À l’école secondaire (lycée), je jonglais entre le théâtre et la socio et la psycho. Ensuite après un an d’études en sciences humaines en Corée (Yonsei University, 1995-1996), j’ai fait philosophie au Québec (McGill University, 1997-1998) et en France (Paris-1 Panthéon-Sorbonne), avant de rencontrer une éditrice passionnée de Françoise Dolto qui m’a fait faire mes premières armes dans les salons du livre partout en France, puis en Europe pour les éditions Chouette. De retour à Montréal, j’ai rejoint en 2004 les Guides de voyage Ulysse, à la fois un éditeur, un diffuseur et un libraire, où je suis resté 14 ans, comme directeur des éditions d’abord puis, à partir de 2011, comme directeur des ventes. Ces années chez Ulysse m’ont permis de toucher à presque tous les métiers du milieu du livre : édition et création, fabrication et production, communication, marketing et commercialisation. J’ai aussi eu la chance de m’impliquer au sein des diverses associations professionnelles (libraires, éditeurs, distributeurs) et ainsi être sensibilisé aux réalités et aux enjeux des acteurs de l’écosystème du livre. Le Salon du livre de Montréal est l’évènement annuel qui réunit précisément tous ces acteurs du milieu du livre; contribuer à les mettre en valeur lors d’une fête unique qui favorise la rencontre entre les lecteurs et les créateurs était une occasion exceptionnelle. Je suis très honoré de la mission qui m’a été confiée.

 

« J’ai toujours été un touche-à-tout, un curieux, mais je me rends compte aujourd’hui que sans avoir de vocation précise, j’ai toujours été attiré par les mots et leur portée »

 

Et votre histoire avec le livre ? Que représente la littérature dans votre vie?
On m’a demandé récemment si il y avait eu une épiphanie qui m’ait porté vers les livres et la littérature. Or je ne crois pas qu’il existe un moment marquant, mais bien une suite de rencontres déterminantes avec les livres. L’amour des livres et le plaisir de lire est autant le fruit d’un certain hasard (tomber sur le bon livre au bon moment), que d’un certain travail (au sens où prendre le temps de lire et d’y prendre goût, ça na vient pas tout seul). J’ai eu la chance de grandir avec des livres autour de moi; c’est un cliché, mais c’est la clé : le désir de la lecture naît du désir de plonger dans ces livres aux promesses infinies.

En tant que nouveau directeur, quelles sont les orientations que vous allez donner à ce festival dans les années à venir ?
En 40 éditions, mes prédécesseurs ont fait un travail extraordinaire et ont réussi à faire du Salon du livre de Montréal l’une des plus importantes foires francophones du livre au monde. Je veux donc d’abord et tout préserver cette réussite, puis travailler avec tout le milieu pour la faire croitre.
Les défis sont nombreux ! Dans un contexte où l’on assiste à une transformation des habitudes de consommation, à l’essor effréné du numérique et des nouvelles technologies, au fractionnement du temps de lecture et à de nouveaux modes d’accès aux contenus, le Salon du livre de Montréal ne peut s’asseoir sur son succès actuel. À l’instar de tout l’écosystème du livre, et surtout en collaboration avec lui, le Salon doit innover tout en assurant sa continuité, sortir de son cadre actuel et faire rayonner sa marque haut et fort dans le paysage culturel et évènementiel montréalais, mais aussi partout au Canada et à l’international.

Dans les éditions à venir, je veux d’abord et avant tout rendre davantage miser sur les valeurs profondes du Salon, qui sont de célébrer et faire rayonner le livre et la lecture, de favoriser la découverte des genres littéraires et des créateurs, et de valoriser la diversité dans toutes ses formes tout en fédérant autour d’une évènement à l’identité forte.
Je souhaite ensuite améliorer l’expérience du visiteur (de l’écolier à l’amateur de poésie, du lecteur de roman de gare à l’intellectuel) en lui proposant des rencontres, des ateliers, des parcours plus en phase avec ses intérêts.
Le Salon doit assumer davantage son leadership et être un lieu d’expression et de débats sur les enjeux de notre époque et de notre société. Il peut et doit aussi devenir un espace pour des rencontres professionnelles d’envergure, et surtout un lieu d’échange et de réflexion sur l’innovation dans l’édition et sur la place du livre au sein des industries créatives.
Enfin, je rêve d’un Salon qui valorise toujours plus la richesse éditoriale et créative québécoise, mais au rayonnement national et international encore plus grand.

 

« Je rêve d’un Salon qui valorise toujours plus la richesse éditoriale et créative québécoise, mais au rayonnement national et international encore plus grand »

Et à quoi devons nous nous attendre pour cette édition 2018 ? Quels en seront les thèmes ?
L’essence du salon du livre, c’est la rencontre. Cette édition sera donc teintée de la rencontre de l’autre. C’est d’ailleurs à travers ce prisme que le comité de sélection des invités d’honneur a décidé de faire son choix. Nous avons donc cette année parmi nos invités une poète autochtone et réalisatrice, Joséphine Bacon, un auteur jeunesse LGBTQ+, Samuel Champagne, une romancière et essayiste très impliquée dans les enjeux féministes, Martine Delvaux, une jeune auteure et illustratrice d’origine vénézuellenne, Marianne Ferrer, l’incontournable auteur et académicien, Dany Laferrière, une auteure anglo-montréalaise, Heather O’Neill, un urgentologue, professeur, auteur et chroniqueur, Alain Vadeboncoeur, et l’un des auteurs parmi les plus lus en France, Bernard Werber.

Au Québec, le contexte politique et culturel bouge en ce moment avec les élections et cet été avec la polémique autour des pièces de Robert Lepage. Il a été question de l’appropriation culturelle. Est-ce que cela vous amène à réfléchir sur des thèmes pour les Festival ?
Nous avons eu des réflexions sur ces questions dès le printemps, avant que la polémique ne fasse les manchettes. Car ce sont des sujets bien de notre temps auxquels il faut réfléchir et dont il faut parler. Mouvement #meetoo, féminisme et parité dans nos sociétés, ouverture aux identités de genre différentes, immigration et intégration: ce sont forcément des thèmes qui influencent les créateurs et qui, par la force des choses doivent trouver leur place dans un événement comme le Salon du livre. Vous les retrouverez donc forcément dans la programmation, mais aussi dans les livres présents dans kiosques des éditeurs. La rencontre de l’autre est l’essence du Salon; le partage et la diversité sont des valeurs profondes de notre événement.
Nous souhaitons miser encore davantage sur cette essence et ces valeurs et être un événement à l’image de notre riche production littéraire: foisonnante, diversifiée, métissée. La littérature sous toutes ses formes raconte, rassemble ou réunit tous les domaines de nos vies. Un événement comme le Salon du livre permet de mettre en lumière cette richesse aux racines et ramifications multiples.

 

« Mouvement #meetoo, féminisme et parité dans nos sociétés, ouverture aux identités de genre différentes, immigration et intégration: ce sont forcément des thèmes qui influencent les créateurs et qui, par la force des choses doivent trouver leur place dans un événement comme le Salon du livre »

 

Comment voyez-vous l’avenir du livre papier au Québec ? Et comment se porte la scène littéraire québécoise ?
Il est voué à un très bel avenir, c’est indéniable. Nous avons tous les ingrédients pour que notre littérature continue de s’épanouir, mais aussi d’innover: un créativité extraordinaire, une culture à la fois forte et accueillante, des institutions qui veulent soutenir les métiers du livre.
Là où nous devons donner un vrai coup de barre, c’est dans la valorisation de la lecture. Et pour valoriser la lecture, il faut faire circuler les livres partout, continuer d’en écrire et d’en publier, sous toutes ses formes, les montrer, les partager, les critiquer, les offrir… Il y a une certaine aura autour du livre qui lui confère un statut unique. Et c’est tant mieux ! Car si nous sommes dans une ère de l’écran et de l’immédiateté qui peut paraitre contraire au livre et à la littérature, je crois que c’est cette aura qui permettra au livre de circuler, de se réinventer et de maintenir sa place. Le Salon du livre de Montréal apporte certainement sa pierre à cette noble mission et continuera de le faire. Est-ce que le le livre de demain sera papier ? Oui ! Sans l’ombre d’une doute. Mais il existera aussi sus d’autres formes, en cohabitation avec le papier. D’ailleurs, je souhaite que le SLM devienne un lieu d’échanges et de rencontres professionnelles sur l’innovation en édition.

 

« Est-ce que le le livre de demain sera papier ? Oui ! Sans l’ombre d’une doute. Mais il existera aussi sus d’autres formes, en cohabitation avec le papie »

 

Si vous deviez conseiller à nos lecteurs, vos auteurs de référence québécois, quels seraient-ils ?
Il y a en ce moment au Québec une telle créativité éditoriale et littéraire, que je vous répondrais en premier lieu, tous les auteurs que je n’ai pas encore lus. Les auteurs marquants sont aussi ceux qui restent à découvrir, donc j’invite vos lecteurs à s’intéresser globalement à la littérature québécoise, les ouvres phares comme les nouveaux auteurs.

Sinon voici quelques oeuvres que je recommande :
Réjean Ducharme, L’avalée des avalés,
Michel Tremblay, Les belles-soeurs
Nicolas Dickner, Nikolski
Gaston Miron, L’homme rapaillé
Anne Hébert, Les fous de Bassan
Jacques Poulin, Volkswagen Blues
Félix Leclerc, Adagio
Gaétan Soucy, La petite fille qui aimait trop les allumettes
Éric Plamondon, La trilogie 1984
Et tous les autres…

 

Salon du livre de Montréal
du 14 au 19 novembre 2018
www.salondulivredemontreal.com

 

( crédit photo – Olivier Gougeon – Blanches Bulles )

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