Christina Drakos : « La crise migratoire constitue pour l’Europe le test le plus difficile depuis le lancement du projet européen »

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Adolescente, Christina Drakos avait choisi de s’inscrire aux Beaux-Arts de Paris. La guerre à Chypre et la disparition de son père en ont décidé autrement. Trente-trois ans plus tard, et après des nombreux prix reçus pour son travail de photographe, cette femme déterminée a pris sa revanche en intégrant la prestigieuse institution parisienne. Elle garde dans ses œuvres les couleurs et l’identité de sa terre et de son peuple. Putsch l’a rencontrée à quelques jours de l’inauguration de sa nouvelle exposition.

propos recueillis par

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Vous avez commencé votre carrière artistique en tant que photographe. Vous avez obtenu plusieurs récompenses, puis vous vous êtes tournée vers les arts figuratifs et la sculpture. Pourquoi ?

Comme nombre de déclics majeurs, mon amour de la photographie est né aux prémisses de l’adolescence. La disparition de mon père, à mes 14 ans et la guerre à Chypre, ont cependant décidé pour moi d’une voie professionnelle dans le tourisme d’affaire et l’événementiel. Ce métier de voyageuse m’a lancé dans une recherche photographique, faite de rencontres et d’un apprentissage culturel artistique dense et riche. L’art est à mon sens un témoignage de notre époque, il donne à voir et à comprendre des parcelles de notre réalité, valeurs que l’on retrouve dans l’oeuvre des photographes H. C. Bresson, Seydou Keita, Malick Sidibé, Willy Ronis ou Bruno Barbey. Entre 2009 et 2014, dans le cadre de mon activité professionnelle, j’ai accueilli à Chypre 35.000 soldats français de retour de la guerre (Afghanistan, Mali, Niger). Il s’agissait d’un plan de décompression afin de les préparer au retour dans leur famille. Une expérience humaine très puissante pour moi. Suite à cet événement, et après une énorme rétrospection et réflexion, j’ai pris la décision de me consacrer exclusivement à la pratique artistique. Installée définitivement sur Paris, je suis les cours aux Beaux Arts depuis 2016, où je développe un travail de peinture autour du corps et de la couleur avec, comme ligne de fond, des artistes comme Dimitris Mytaras, George Stathopoulos ou encore Mark Rothko et Henri Matisse.

 

Quelles sont les sources d’inspirations de vos tableaux ?

Le corps humain et son existence dans l’espace, les couleurs de la nature….le bleu de la Méditerranéenne.

 

« Les traces de mes racines grecques sont très présentes dans mes œuvres et je suis très consciente de ça »

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On retrouve des traces de vos racines dans vos œuvres. C’est un choix à contre courant ? De nos jours, c’est parfois difficile de parler des racines. Pourquoi selon vous ?

Dans la culture et mes traditions familiales grecques, l’apprentissage est un processus continu. Devenir étudiante aux Beaux-Arts, c’est en quelque sorte un retour aux sources. A 17 ans, je voulais étudier aux Beaux-Arts de Paris, la guerre à Chypre en a décidé autrement. Trente-trois ans plus tard, riche de mon expérience professionnelle et de mon parcours de photographe amateur, je ressens un profond besoin de construire un langage plastique singulier, à travers l’expérimentation de nouvelles techniques, et un accompagnement continu. Par le biais de la photographie, j’ai joué avec la lumière et raconté des histoires en capturant des instants de vie et/ou de résilience. Et par la peinture, j’ai pu construire et déconstruire mes sujets, prétexte idéal pour une exploration de la couleur. Les traces de mes racines Grecques sont
très présentes dans mes œuvres et je suis très consciente de ça. Je pense que si on connait profondément ses racines, on connait bien sa place. Et si on connait sa place, on est en paix et en équilibre avec nous-même.

Vous venez d’une île qui se trouve aux frontières reculées de l’Europe. Dans vos travaux, on retrouve aussi cette dimension de frontière ?

Non, je ne pense pas. Mon travail est libre et ouvert au monde. Très coloré et très lumineux.

 

 

En tant qu’artiste, quel regard vous portez sur les vifs débats au sein de l’Europe, au sujet des frontières et des migrants ?

C’est un sujet qui me touche énormément. Je viens d’un pays partagé en deux par une ligne de démarcation entre le Nord et le Sud. Devenir réfugié dans son propre pays, c’est
très douloureux. Devenir réfugié sur une terre étrangère loin de son pays natale c’est traumatisant et dur. Le problème des migrants aujourd’hui est une plaie ouverte pour l’Europe qui nous concerne tous. Entre la Turquie et la Grèce, on a dénombré cette année 123 décès par noyade. Malgré la courte distance, par mauvais temps, les vagues sont très hautes. La crise migratoire constitue pour l’Europe le test le plus difficile auquel elle se confronte depuis le lancement du projet européen. Car il ne s’agit pas seulement de son existence mais de son essence.

 

« La crise migratoire constitue pour l’Europe le test le plus difficile auquel elle se confronte depuis le lancement du projet européen »

 

D’où vient l’idée de fédérer plusieurs artistes dans la BAM Collective ?

En tant que photographe artiste, j’ai énormément exposé en solo dans le monde entier. Aux Beaux Arts de Paris, j’ai eu la chance de rencontrer de nombreux artistes qui font un travail intéressant et singulier. J’ai donc eu l’idée de leur proposer d’exposer ensemble pour récolter les fonds pour Sagapo Children’s Foundation. C’est la Fondation que je préside, qui s’occupe de l’éducation des enfants défavorises dans le monde entier. BAM Collective est née en 2018 de la rencontre avec Peter Knox, Martine Pierson, Nour Awada, Philippe Torrecilla, Fabienne Oudart, Delphine Ida et moi-même.

 

Après Paris, les œuvres de la BAM Collective seront exposées ailleurs ? Vous travaillez sur d’autres projets personnels ?
Après le rendez-vous de cet année (lire l’article de Putsch du 27 septembre 2018), nous préparons une troisième exposition à Paris pour 2019, et de mon côté, j’aimerais ensuite inviter mes amis artistes de BAM Collective à exposer leurs œuvres a Chypre, mon pays natal, l’île de naissance d’Aphrodite, déesse de l’amour et de la beauté.

Le site de Christina Drakos : www.christinadrakos.com

© Christina Drakos

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