Guislaine Lemay : « L’identité est une notion au cœur de nombreux débats dans la société contemporaine »

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Le Québec est passionnant pour réfléchir et appréhender différemment les questions de l’identité. Dans notre quête de reportages, d’interviews et de sujets sur le Québec, nous nous sommes arrêtés au Musée McCord de Montréal, le musée d’histoire sociale de la ville. Une superbe exposition permanente sur la question de « Porter son identité » fut l’occasion rêvée de demander à Guislaine Lemay, conservatrice au Musée McCord des cultures autochtones de nous expliquer les notions d’identité, d’héritage et d’histoire au sujet des premiers peuples du Québec. Un entretien passionnant.

propos recueillis par

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   Pouvez-vous nous présenter en quelques mots le Musée McCord ? Pourquoi est-il appelé le Musée d’histoire sociale de Montréal?

Le Musée McCord est le musée de tous les Montréalais, un musée d’histoire sociale qui célèbre la vie à Montréal, d’hier et d’aujourd’hui : son histoire, ses gens, son peuple, ses communautés. Ouvert sur la ville et sur le monde, il présente des expositions stimulantes ainsi que des activités éducatives et culturelles qui interpellent les gens d’ici et d’ailleurs en posant un regard actuel sur l’histoire. Il abrite l’une des plus importantes collections historiques en Amérique du Nord composée de plus de 1 500 000 artefacts, dont les collections de Costume, mode et textiles, Photographie, Cultures autochtones, Peintures, dessins et estampes, Arts décoratifs et Archives textuelles. Musée McCord, notre monde, nos histoires.

Le Musée McCord a été inauguré en 1921. Il est né de la vision d’un collectionneur passionné, David Ross McCord, qui désirait mettre en valeur l’histoire et les cultures de son pays. Il voulait rendre l’histoire accessible à tous. Son rêve est devenu la mission du McCord. Le Musée compte plusieurs grandes collections : Peintures, estampes et dessins, Arts décoratifs et Archives textuelles ainsi que trois collections signatures, Costume, mode et textiles, Cultures autochtones, et Photographie

 

L’exposition « Porter son identité » est permanente au sein du Musée. Qu’est-ce que signifie « porter son identité » ?
En tant que membre d’un environnement social, l’individu appartient à des groupes sociaux plus ou moins larges (la famille, le clan, la communauté…) auxquels il s’identifie. L’habillement renforce le sentiment de cohésion en fournissant des repères reconnaissables pour les membres, les liant visuellement entre eux et en opposition aux autres.

 

Guislaine Lemay -Conservatrice des Cultures autochtones au Musée McCord de Montréal

 

 

Quelle(s) définition(s)s donneriez-vous de l’identité ?
L’identité est une notion au cœur de nombreux débats dans la société contemporaine. Elle est essentielle puisqu’à sa base elle repose sur une question fondamentale dans la définition de l’être humain : « qui suis-je ? ». Dans sa description la plus simple, l’identité est, pour citer George Hébert, « la rencontre d’un corps et d’un psychisme individuel avec un environnement social ». L’identité exprime à la fois la singularité – le « je » – et l’appartenance à des « communautés » (familiales, locales, sociales, spirituelles…) – le « nous ». Les recherches actuelles s’accordent sur cinq idées : les identités sont généralement construites, c’est-à-dire façonnées par l’individu en tant qu’acteur social ; elles sont multiples puisque le sujet appartient à plusieurs groupes sociaux ; elles sont dynamiques, car elles évoluent dans le temps en réaction à de nouvelles situations et expériences ; elles sont relationnelles en raison de leur rapport avec l’Autre ; elles sont négociées du fait qu’elles doivent être constamment affirmées et contestées (Judit Bokser-Liwerant).

 

« L’identité exprime à la fois la singularité – le « je » – et l’appartenance à des « communautés » (familiales, locales, sociales, spirituelles…) – le « nous » »

Qu’appelle-t-on au Québec, les Premiers peuples ?

Au Québec, l’on retrouve les onze nations suivantes : Wabanakis, Algonquins, Attikamekw, Eeyou, Hurons-Wendat, Innus, Malécites, Mi’kmaq, Kanien’kehaka, Naskapis et Inuit.
Par contre, j’élargirais la question à l’ensemble du Canada, à l’image de notre collection et de l’exposition. Au Canada, le terme «Premiers Peuples » réfère aux Premières Nations, aux Métis et aux Inuits. Ce sont les habitants originaux du territoire qu’est aujourd’hui le Canada – une population répartie dans plus de 600 communautés d’un océan à l’autre.

 

Quel lien faites-vous, au regard de cette exposition, entre l’identité et l’héritage ?
L’héritage fait partie de l’identité et vice et versa. L’un comme l’autre est composé de facettes infinies : identité linguistique, familiale, spirituelle… Pour expliquer le rôle de l’habillement dans la construction de l’identité, on doit comprendre comment l’habillement s’adresse à l’Autre par ses codes et par ses messages. Ces codes et messages sont, bien entendu, issus de l’héritage. S’il n’est pas le seul élément impliqué dans la construction identitaire, l’habillement y joue un rôle notable dans sa composition et son maintien. Sous son apparente frivolité, il « parle » un langage à la fois personnel, culturel, politique et spirituel qui s’adresse au sujet lui-même et aux autres, et revendique une appartenance. Les identités transmises par l’habillement témoignent de la richesse de l’héritage de celui ou celle qui le porte. Ainsi, l’héritage et l’identité sont profondément liés et indissociables.

 

« Pour expliquer le rôle de l’habillement dans la construction de l’identité, on doit comprendre comment l’habillement s’adresse à l’Autre par ses codes et par ses messages »

On peut lire sur l’un des panneaux d’explication « Loin d’être statiques, les identités culturelles des Premiers Peuples se renouvellent et se revitalisent sans cesse. » Cela semble indiquer que l’identité chez les Premiers Peuples a traversé les âges. Comment se caractérise ce processus de transmission ?

La tradition orale occupe un rôle central dans la transmission de l’identité. Ainsi, de génération en génération, l’héritage identitaire se transmet en même temps qu’il se transforme, assurant à la fois la pérennité de la culture, à la fois son actualisation.

 

« L’héritage et l’identité sont profondément liés et indissociables »

 

La place des femmes dans cette exposition est centrale. Quel est le rôle de la femme dans cette construction et cette transmission de l’identité ?
Ce sont les femmes qui confectionnent les vêtements et transmettent leurs savoirs identitaires au travers de leurs créations. Ce sont elles qui assurent la transmission de leur savoir-faire à la prochaine génération. Les vêtements qu’elles confectionnent deviennent des outils d’affirmation de l’identité qui existent par et grâce à elles.

 

On imagine que la famille joue un rôle important dans la question de l’identité ?
Puisque la transmission des savoirs par tradition orale est prédominante pour la culture autochtone, il est certain que la famille joue un rôle central dans la question de l’identité. C’est par la famille que les savoirs sont transmis de génération en génération. Dans certains cas, comme sur la Côte-Ouest, la famille joue un rôle encore plus grand dans la construction identitaire des individus : certaines communautés octroient un statut aux familles, qui leur donne des droits et responsabilités. Ce statut se reflète sur chacun des membres de la famille sous forme d’emblèmes. Les emblèmes font référence aux histoires appartenant au propriétaire du vêtement et à sa famille, qui parlent de rencontres mythiques avec diverses créatures. En évoquant ces histoires, les emblèmes proclament l’affiliation à un clan.

 

Quelle place attribuez-vous au langage au sein même de l’identité ? En est-elle une valeur cardinale ?
Oui, puisque la tradition orale occupe une place centrale dans la construction de l’identité. C’est d’ailleurs pour cette raison que certains éléments de l’exposition sont décrits en français, en anglais et dans la langue de la communauté dont ils sont issus.

 

L’exposition est extrêmement riche en objets. Comment avez-vous agrégé et choisi l’ensemble de ces objets ? 
Notre collection Cultures autochtone est en effet extrêmement riche. Elle compte plus de 16 500 artefacts archéologiques et historiques et raconte près de 12 000 ans d’histoire. Les objets choisis pour l’exposition permanente ont été soigneusement sélectionnés afin de respecter la thématique de l’exposition – un choix parfois difficile à faire car si chaque vêtement est confiné dans un cercle identitaire, il porte de multiples messages identitaires. Pour des raisons de conservation, bien que permanente, l’exposition se renouvelle chaque année avec quelque 85 nouvelles pièces, offrant une expérience renouvelée aux visiteurs. La sélection devait prendre cette rotation en considération.

 

Comment avez-vous travaillé avec le comité consultatif autochtone pour réaliser cette exposition ?
Le comité consultatif est composé de 5 femmes autochtones issues de différentes nations :
Tammy Beauvais, designer de mode
Viviane Grey, artiste et conservatrice
Heather Igloliorte, spécialiste en art inuit et professeur adjointe en histoire de l’art à l’Université Concordia
Sherry Farrell Racette, artiste et professeure associée au Département des études autochtones à l’Université du Manitoba
Nadia Myre, artiste et Commissaire invitée art contemporain.

N’étant moi-même pas autochtone, il était primordial que des personnes autochtones jouent un rôle majeur à toutes les étapes de la mise sur pied de l’exposition – depuis son contenu jusqu’à son design. Ensemble, nous avons défini le cadre de l’exposition et son propos. Certains membres du comité connaissaient bien nos collections et ont participé à la sélection d’objets. Elles ont également participé au catalogue de l’exposition ainsi que d’autres membres de communautés autochtones.

L’exposition présente des pièces historiques mais également des installations d’artistes contemporains autochtones sélectionnées par la Commissaire invitée Nadia Myre qui explorent à leur tour la notion d’identité ou qui mettent de l’avant leurs histoires passées ainsi que leurs réalités et combats actuels.

Quelle est la place aujourd’hui de l’identité autochtone dans la société québécoise ? Et comment cette identité continue d’exister et de coexister avec une société occidentale massivement tournée vers le consumérisme qui s’écarte de la spiritualité ? 
Ce n’est malheureusement pas à moi de répondre à cette question, mais bien à une personne autochtone.

 

Quel regard portez-vous sur les polémiques survenues sur les pièces de Robert Lepage ? On a l’impression que tous les québécois n’ont pas la même approche de l’identité et de ses appropriations culturelles ?
C’est un débat difficile sur lequel une personne autochtone devrait se prononcer.

 

Musée McCord
690, rue Sherbrooke Ouest
Montréal (Québec) H3A 1E9
info.mccord@mccord-stewart.ca
www.musee-mccord.qc.ca

 

( crédit photos Guislaine Lemay  – Laura Dumitriu )

 

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