Françoise Cloarec : enjamber la morale bourgeoise

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Rien ne paraissait favoriser le rapprochement de Marie Laurencin, fille naturelle, et de Nicole Groult, brillante bourgeoise parisienne. Mais les fées aiment à corriger les distractions des augures.

Marie ne manque pas d’atouts. Celle dont Jules Renard admirait « une belle intelligence avec arrière-boutique » est éprise de Guillaume Apollinaire, amoureux compulsif tatoué par la scoumoune. Ils fréquentent le Bateau-Lavoir. Elle peint. Passant outre la muflerie de Picasso et de ses porte-pinceaux, elle évolue de muse mutine à artiste délibérée.
Nicole, luciole de la Belle Epoque, excelle dans la couture et rivalise de créativité avec son frère Paul Poiret, prince de la mode. Mariée à André Groult, flamboyante, Nicole a toujours éclipsé la personnalité respectée d’un compagnon sensible et cultivé, qui allait exceller dans l’art décoratif de son époque. Singulière, leur nuit de noce a jeté les bases d’une sexualité évanescente. Marie finit par se lasser des escapades de Guillaume, enchanteur papillonnant.
La veille de la Grande Guerre, elle épouse un allemand fortuné qui déposera de longues années d’exil en Espagne, dans la corbeille de la désormais baronne von Wätjen, bientôt soupçonnée d’espionnage et interdite de séjour en France. Dans l’intervalle, elle a croisé la route de Nicole Groult. Deux tempéraments d’amadou qui « ne veulent pas, ne peuvent pas, correspondre aux critères féminins habituels/…/ Elles sont libres de leurs corps, de leurs pensées, de leurs désirs ». Le teuton se perd dans l’alcool. Marie, qui a compris depuis belle lurette que rien de ce qui est bienséant ne la concerne, promène une singularité « changeante comme le ciel » (Flora Groult). L’époux de Nicole s’accommode des chemins de traverse pris par les deux femmes.
Complaisant, André Groult ? Plutôt mari à l’élégance tourmentée, soucieux de ne pas tout perdre. Car après tout, tromper son époux avec une femme n’est pas tromper. Même pas mâle !
L’ histoire d’amour de Marie et Nicole traversera le temps avec une force sereine, puisée dans la conviction que, outrepassées les conventions, on peut vivre une exaltation voluptueuse. Est-ce pour elles qu’Anaïs Nin a proclamé « Jouir n’est possible que si l’on accepte ses désirs » ?

Le regard de Françoise Cloarec sur le cheminement artistique de Marie Laurencin est précieusement nuancé. Il n’est pas étranger à l’intérêt que suscite une romance racontée avec retenue, élégance, et cette tendresse qui sied à la pudeur et lui donne tout son prix. L’enjambement de la morale bourgeoise est un plaisir suave.

« J’ai un tel désir – Marie Laurencin et Nicole Groult », Françoise Cloarec, Stock, 20 euros

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