On voit en Léa, la protagoniste, un personnage très compétent dans son domaine, mais qui appréhende le changement. La loi n’est-elle pas la même partout en France ? Pourquoi avez-vous mis l’accent sur cet aspect ?
Le Code Civil s’applique partout avec les mêmes règles de procédure. Mais il y a une ambiance différente. A Paris, la relation entre les magistrats et les avocats est plus impersonnelle. En province, il y a une sorte de « promiscuité », dans le sens positif du terme, qui permet aux avocats de mieux connaître les magistrats.
Léa affiche toujours une politesse affirmée, c’est aussi un « appel » contre une forme de déshumanisation que vous faites au monde judiciaire ?
Si tout le monde était poli, ça irait mieux pour tout le monde. C’est peut-être ce qui manque un peu dans les très grandes juridictions. Par exemple à Paris, il y a 30000 avocats et c’est très facile de ne s’en tenir qu’à des rapports très impersonnels.
Léa observe ses clients à travers un prisme plutôt positif et optimiste… Comme dans le cas du jeune qui n’aime pas l’école mais qui préférerait travailler comme mécanicien.
En tant qu’avocate, cela m’est arrivé d’éprouver de l’empathie pour des clients. C’est un sentiment vrai, pas de façade. C’est cela que Léa exprime. Il faut aussi être très réaliste sur qui sont les clients. Ils sont humains. Ils peuvent mentir par exemple. Donc nous avons aussi un rôle parfois éducatif vis-à-vis de nos clients.
En vous écoutant, on a l’impression que votre ouvrage est une observation sociologique et qu’à travers vos livres, vous lancez des alertes. Considérez-vous cela comme une contribution pour faire réfléchir la société ?
Oui. D’autre part, on ne devient pas avocat spécialisé en droit de la famille ou de l’enfance par hasard. Par exemple, quand vous vous occupez des droits des enfants, en réalité vous avez la possibilité d’agir sur les parents. En tant qu’avocats, cela nous donne un rôle et une responsabilité très importante .
Et Léa, si elle le pouvait, quels seraient les aspects du droit de la famille qu’elle voudrait changer ?
Déjà elle voudrait qu’on puisse avoir plus de temps à dédier à l’écoute. En effet, pour rendre une justice de qualité il faut du temps. Mais la justice n’a plus de temps, parce qu’il n’y a plus d’argent et donc pas assez de magistrats, de greffiers, etc… A la différence de certains de mes collègues, je ne porte pas un jugement sur les magistrats, parce que leur rôle est encore plus difficile car, par manque de temps, ils n’ont pas toujours la possibilité d’avoir une vision d’ensemble. De plus, ils ne sont pas assez nombreux. Mais c’est justement ce dont nos clients ont besoin : des juges qui leur expliquent comment fonctionne la justice. Quand un juge peut statuer rapidement, par exemple, dans un cas de séparation, cela apaise les tensions rapidement. Hélas on nous dit de passer par la médiation. Mais il y a des clients qui n’accepteront jamais cela. Nous sommes des latins, du point de vue de la tradition juridique, cela fait que les personnes sont habituées à la négociation, nous ne devons pas l’oublier.
« En tout cas si aujourd’hui, en dépit des problèmes de financement, la justice tient, c’est grâce à des hommes et des femmes extraordinaires qui sont les magistrats, les greffiers, le personnel de justice et aussi les avocats »
De plus, il faut penser aux dossiers comme à une ascension au sommet d’une montagne. Avant de partir et tout au long du parcours, on regarde la météo. On s’adapte aux conditions climatiques. Eh bien on peut faire recours à la médiation quand les conditions pour le faire se présentent. Donc cela ne vaut pas pour tous les cas et les situations. Pour reprendre l’exemple de l’ascension en montagne, on peut utiliser la médiation quand se présente une « fenêtre météo ». Il faut que la justice puisse donner la réponse appropriée au bon moment. En tout cas si aujourd’hui, en dépit des problèmes de financement, la justice tient, c’est grâce à des hommes et des femmes extraordinaires qui sont les magistrats, les greffiers, le personnel de justice et aussi les avocats.
Ce n’est pas un portrait un peu trop enjolivé du monde de la justice ?
C’est vrai qu’il s’agit d’un portrait plutôt optimiste mais qui ne cache pas les problèmes. Un système qui est très complexe et on n’arrivera pas à une justice parfaite. On pourrait améliorer le système mais pour le faire, on le sait, il faut des moyens.
Croyez-vous que la justice soit sujette aussi au risque de désertification que vit par exemple le système médical ?
Oui. On craint l’ubérisation, la déshumanisation de la justice et bien sur la désertification. Le projet de reforme de la justice, actuellement en discussion, dit qu’on laissera subsister les tribunaux d’instance, mais en réalité ils vont être supprimés. On nous dit qu’on les rattachera à des tribunaux de grande instance. Donc ils deviendront ainsi des « chambres » de ces tribunaux. On risque clairement la désertification. Et puis le gouvernement souhaite aussi spécialiser les tribunaux par zone. Il y aura par exemple une région spécialisée dans un domaine comme, par exemple, la sécurité sociale.
Revenons au livre. Même le personnage de Nicolas, l’ex compagnon de Léa est le fruit de votre observation du monde de la justice ?
En effet en tant qu’avocate, je côtoie tous les jours les policiers. On a des rapports que je définirais « je t’aime, moi non plus ». (rires). Le rapport entre Nicolas et Léa est un peu un symbole de cette relation qu’on a avec les policiers.
« L’avocatesse », Aurore Boyard, Enrick B Editions
180 Pages, 16,95 Euros
( crédit photo Aurore Boyard – DR )