Crédit Photo - Paul Fogiel

Sławomir Frątczak : « Concernant le massacre de Katyn, les Alliés ont trahi les Polonais »

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Situé dans la citadelle de Varsovie, le Musée de Katyn est bouleversant par le massacre qu’il expose : l’exécution de près de 25 700 détenus polonais en 1941 par l’armée soviétique sous les ordres de Staline qui avait pour dessein de mettre à genou l’Etat Polonais en y faisant exécuter les officiers mais aussi des cadres de la nation, tous combattants de guerre. Putsch a rencontré à Varsvoie, SŁAWOMIR FRĄTCZAK, le directeur du Musée qui nous livre un interview sans concession sur les raisons du massacre et son passage sous silence dans l’histoire de la Seconde guerre mondiale. Un témoignage édifiant!

propos recueillis par

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Que représente pour vous Katyn de façon personnelle, Sławomir Frątczak ?

« Katyn » est, bien évidemment, un terme du langage courant. Le mot « Katyn » ne signifie rien pour les personnes ignorant l’histoire de la Pologne. Il vaut mieux utiliser la notion de « massacre de Katyn », etc. Ce terme englobe les lieux d’exécution des services en uniforme polonais après l’agression soviétique contre la Pologne le 17 septembre 1939. Pourtant, il ne faut pas oublier sa suite, à savoir l’extermination et les représailles, lors de la domination soviétique dans les années qui ont suivi, à l’encontre des familles et des amis des personnes assassinées à Katyn.

(Crédit Photo – Mariusz Cieszewski )

 

Au regard de ce sujet très sensible qu’est le massacre de Katyn, quand a été décidé de créer le Musée ?
L’idée de commémorer les citoyens polonais assassinés par les Soviétiques (soldats de l’Armée polonaise, Corps des gardes-frontières, agents de la police nationale, personnel pénitentiaire et civils – élite de la nation polonaise) a été initialement développée par les familles des victimes. Des commémorations illégales ont également eu lieu dans des églises ou bien dans des appartements privés, où lors des réunions clandestines entre les personnes de confiance, les personnes assassinées ou les anniversaires du massacre de Katyn ont été commémorés. Dans les années 1980, quand il était déjà clair que le régime communiste en Pologne s’effondrerait, la Fédération des familles de Katyn, ainsi que le Comité historique indépendant des recherches sur le massacre de Katyn – qui continuaient la lutte pour la manifestation de la vérité – ont été créés. Une véritable avancée a eu lieu après l’exposition «Non seulement Katyn», organisée par les Familles des victimes de Katyn à l’Église de la Sainte-Croix de Varsovie, ouvert au public en mars et avril 1990, avant même que l’Union soviétique reconnaisse le crime le 13 avril 1990.
En 1991, le Musée de l’Armée polonaise de Varsovie a organisé une exposition temporaire intitulée «Non seulement Katyn». De nombreux objets déterrés des fosses de la mort ont été transportés en Pologne après les exhumations à Kharkiv et Mednoïe [en été 1991]. Il a été décidé le 31 août 1991, après concertation entre des représentants du Ministère de la Défense nationale avec le chef de la police nationale, que les objets susmentionnés seraient transférés au Musée de l’armée polonaise, où ils seraient entreposés après leur préservation et leur enregistrement. C’est aussi à ce moment-là qu’ils ont été pour la première fois présentés au public lors de l’exposition intitulée Preuve du crime : Ostachkov – Mednoïe – Starobilsk – Kharkiv et également au Musée de l’Armée polonaise de Varsovie.
Il convient de souligner ici que le Musée de Katyn a déjà été créé en 1992. La première exposition permanente a été préparée – La mémoire ne s’est pas laissée oublier – lors de laquelle une partie de reliques (c’est ainsi que le défunt Zdzisław Peszkowski, aumônier des familles de Katyn, appelait les artefacts sortis des charniers) trouvées lors des travaux d’exhumation à Kharkiv et Mednoïe, a été présentée. L’ouverture officielle du premier siège du Musée de Katyn a eu lieu le 29 juin 1993. D’année en année, le nombre d’objets, récits, photographies et documents augmentait. Enfin, il s’est avéré qu’il fallait non seulement trouver un espace approprié pour l’exposition, mais aussi commémorer dignement les victimes. Ainsi, après plusieurs années, le Musée de Katyn s’est vu attribuer un nouveau siège dans la caponnière de la Citadelle de Varsovie, où il est installé depuis le 17 septembre 2015.

Son emplacement dans la Citadelle est stratégique. A quoi répond ce choix ?
L’emplacement du Musée de Katyn, dans ses nouveaux locaux, dans les murs de la Citadelle de Varsovie (la cérémonie solennelle d’ouverture a eu lieu le 17 septembre 2015) est d’une grande importance, tant du point de vue de l’emplacement, de la surface et de l’histoire de la Citadelle elle-même. Il est également important de noter que le Musée de Katyn fonctionnera dans un complexe muséal moderne au sein de la Citadelle de Varsovie, incluant le Musée de l’Armée polonaise, le Musée d’histoire polonaise et le Musée du 10ème Pavillon. On peut donc affirmer que le Musée de Katyn sera un des principaux éléments de la grande chronique épique de l’histoire de notre pays et de la nation polonaise au fil des siècles. J’espère que le musée de Katyn permettra de faire connaître la tragédie de l’élite polonaise au grand public et d’ouvrir les yeux du monde entier sur le génocide commis contre les Polonais. Cette plaie irrémédiablement ouverte de la nation polonaise aura la chance d’être remarquée par tous les gens dans le monde.

« J’espère que le musée de Katyn permettra de faire connaître la tragédie de l’élite polonaise au grand public et d’ouvrir les yeux du monde entier sur le génocide commis contre les Polonais »

L’entrée du Musée de Katyn ( Crédit Photo –  Mariusz Cieszewski )

 

Vous nous disiez que « Katyn est une plaie toujours ouverte ». Pouvez-nous dire pourquoi ?
L’extermination brutale – le génocide de plusieurs milliers de Polonais, fondateurs de la République indépendante de Pologne dans les années 1918-1939, en violation de toutes les lois internationales et de la simple conscience humaine, a marqué profondément de nombreuses générations de Polonais. Les victimes du génocide ont donné leur vie et, comme un seul homme, indépendamment de leur origine, de leur vision du monde ou de leur religion, pour défendre leur Patrie. S’acquittant de leur devoir civique et patriotique, ils ont quitté leurs familles, qui ont souvent cherché leurs proches pendant des décennies. Encore aujourd’hui, nous ne connaissons pas les lieux de sépulture ni même les noms de tous ceux qui ont été assassinés par les Soviétiques. Ils sont encore aujourd’hui nombreux à reposer dans des tombes sans nom et sans consécration. C’est l’une des raisons pour lesquelles Katyn est et restera une plaie constamment ouverte de la nation polonaise. Tant que les familles des personnes assassinées ne connaîtront pas les lieux de sépulture et les circonstances de la mort de leurs proches, le processus de guérison n’aura pas lieu.
À part la « dimension » humaine, nous souffrons d’une autre plaie non cicatrisée – il s’agit des pertes intellectuelles. Il convient en effet de tenir compte du fait que de nombreux officiers de réserve, capturés par l’agresseur soviétique, et ensuite assassinés lors du massacre de Katyn, étaient des représentants des élites de la Sérenissime République de Pologne.

« Le génocide de plusieurs milliers de Polonais, fondateurs de la République indépendante de Pologne dans les années 1918-1939, en violation de toutes les lois internationales et de la simple conscience humaine, a marqué profondément de nombreuses générations de Polonais »

En quoi, « ce musée est la preuve du crime » ?

Le Musée de Katyn est un lieu qui remplit une fonction extraordinaire – il combine à la fois des activités muséales, éducatives et d’exposition classiques avec un extraordinaire héritage de reliques exhumées des fosses de la mort. C’est sur la base des artefacts extraits des cavités funéraires – les preuves des crimes soviétiques – que le Musée n’est pas seulement le gardien et le dépositaire des vestiges de tous les exterminés, mais aussi des matériaux extrêmement riches qui peuvent constituer des preuves judiciaires (il est nommé la Maison des Reliques de Katyn). Il faut se rappeler que le crime de Katyn n’a pas été jugé jusqu’à présent devant un tribunal.

Ce musée est extrêmement riche en documents de toutes sortes et a remporté plusieurs prix. Comment s’est enrichi cette collection ?
Les collections du Musée de Katyn sont dans une large mesure des reliques – artefacts recueillis dans les fosses de la mort pendant les exhumations, auxquels s’ajoutent les dons des familles des victimes de Katyn et de nombreuses personnes bienfaisantes qui ne sont pas indifférentes à la monstruosité du massacre perpétré à Katyn et qui croient à juste titre que le Musée de Katyn sera un véritable dépositaire, souvent de leur dramatiques histoires familiales. Dans les années 1990, alors que l’idée de créer un musée venait tout juste de naître, ses collections comprenaient des documents extraordinaires directement liés aux personnes assassinées et à leurs familles, ainsi que des photographies, des gravures, des peintures, des lettres et, ce qui est important, des archives de nombreux scientifiques qui, à l’époque du communisme, au péril de leur vie et de leur santé, ont recueilli même les plus petits témoignages et souvenirs.
A ce jour, le Musée de Katyn dispose de plusieurs dizaines de milliers de documents différents et au moins le même nombre de reliques – objets (il y a plus de 30 000 d’artefacts funéraires). Il est intéressant de noter que jusqu’à présent, les collections du Musée de Katyn se sont enrichies grâce à de nombreux donateurs privés.

De nombreux objets retrouvés près des corps des officiers polonais dans les fosses de Katyn – (Crédit Photo-  Mariusz Cieszewski )

En quoi les alliés ont-ils failli dans le massacre de Katyn ? Ont-ils donc une part de responsabilité ? Si oui de quelle manière ?
Nous parlons du massacre de Katyn, mais dans ce cas, nous devrions nous référer aux événements de 1939, ainsi qu’aux années qui suivirent, c’est-à-dire toute la panoplie d’activités envers la Pologne et les Polonais. Aujourd’hui encore, de nombreuses personnes dans le monde sont persuadés que la guerre a éclaté en 1940 ou 1941. Nous connaissons aussi des slogans tels que « Nous ne voulons pas mourir pour Dantzig ». Nous savons aussi quelles décisions ont été prises lors de la réunion franco-britannique à Abbeville. Il est difficile de discuter des faits évidents et incontestables. Pourtant, en parlant du massacre de Katyn, il convient de constater clairement que les Alliés ont trahi les Polonais qui avaient lutté avec des soldats français, britanniques et américains contre les Allemands. Ce sont des considérations militaires et politiques, ainsi que la peur des Soviétiques, qui ont prévalu. Le péché principal et fondamental des Alliés consistait à renoncer d’enquêter et de tenter d’expliquer ce génocide dès le procès de Nuremberg. L’élément clé ici est l’hypocrisie des Alliés, qui a guidé nombre de leurs intérêts particuliers depuis 1939.

 

« Le péché principal et fondamental des Alliés consistait à renoncer d’enquêter et de tenter d’expliquer ce génocide dès le procès de Nuremberg. L’élément clé ici est l’hypocrisie des Alliés, qui a guidé nombre de leurs intérêts particuliers depuis 1939 »

 

Pensez-vous que le Massacre de Katyn a été minimisé ou éludé dans l’histoire de la Seconde guerre mondiale ?

Pour illustrer l’ampleur de ce massacre, il sera utile de présenter une certaine comparaison très simple. Chaque Français sait que les Allemands ont assassiné le 10 juin 1944 à Oradour-sur-Glane 642 Français. Les mêmes personnes diront qu’elles avez peut-être entendu parler du massacre de Katyn pendant lequel au moins 21 768 citoyens polonais ont été assassinés. Si nous posons la même question par exemple aux Britanniques, Néerlandais, Américains, Australiens et Néo-Zélandais, ils évoqueront certainement les crimes de guerre japonais commis contre les prisonniers. Ces personnes, avaient-elles entendu parler des événements survenus à Mednoïe, Kharkiv et Bykivnia ? Je rappelle encore une fois qu’à cause de la politique menée par les Alliés après 1945, ayant pour principe de ne pas contrarier les Soviétiques, ce qui a même aujourd’hui des conséquences négatives dans plusieurs pays, un très petit nombre de personnes connaît le massacre de Katyn.
La seule exception dans ce domaine a été l’enquête portant sur le massacre perpétré à Katyn, menée par le comité du Sénat américain (Select Committee to Investigate and Study the Facts, Evidence, and Circumstances of the Katyn Forest Massacre), appelé Comité de J. Madden. Le Comité a communiqué au Congrès des États-Unis son avis concernant l’adoption d’une résolution ordonnant au président des États-Unis de déposer auprès de l’ONU une demande officielle de créer une commission internationale chargée d’enquêter sur le crime de Katyn. Le Comité a constaté dans cet avis, basé sur l’analyse complète de documents, ainsi que sur l’audition des témoins et experts, que l’Union des républiques socialistes soviétiques était entièrement responsable de ce crime. Pour des raisons évidentes, ces constatations n’ont pas été divulguées derrière le rideau de fer. Et quelle a été la réaction de l’Ouest démocratique et libre  ?

De nombreuses photos de victimes et de leurs familles jalonnent l’exposition ( Crédit Photo – Putsch)

Quelles furent les desseins et les objectifs des Soviétiques dans le massacre de Katyn ?
Dans ce cas, il faut utiliser un extrait d’un document soviétique qui l’indique sans équivoque : « Le cas des 14.700 anciens officiers polonais, fonctionnaires, propriétaires terrien, officiers de police, agents de renseignement, gendarmes, colons et gardiens de prison, ainsi que les cas de 11 000 membres de diverses organisations contre-révolutionnaires d’espionnage et de diversion, d’anciens propriétaires terriens, propriétaires d’usines, anciens officiers polonais, fonctionnaires de l’État et fugitifs arrêtés et emprisonnés dans les régions occidentales de l’Ukraine et du Bélarus – à considérer d’une manière spéciale avec l’application de la peine la plus lourde – l’exécution par fusillade. » C’est amplement suffisant pour un commentaire…

Pensez-vous que le massacre de Katyn a-t-il retrouvé sa place dans l’histoire ?
Le massacre de Katyn n’a retrouvé sa place dans l’histoire de Pologne que dans les années 1990 après le renversement du régime communiste. Malheureusement, il est toujours éludé ou minimisé dans l’histoire de l’Europe ou du monde, aussi parce que son élucidation n’a pas été dans l’intérêt des Alliés. Nous ne pouvons attendre non plus que les pays européens, occupés par les Allemands pendant la Seconde guerre mondiale et après par les Soviétiques, portent une attention particulière sur la situation des soldats polonais en captivité en Union soviétique. Il convient pourtant de souligner que le massacre de Katyn devrait retrouver une place importante dans l’histoire de l’Europe, parce qu’il montre l’ampleur des pertes subies par la nation polonaise et révèle que les puissances mondiales se sont tout d’abord laissé tromper par une alliance avec les Soviétiques et après ont été utilisées pour brouiller des pistes et soutenir le mensonge de Katyn, inspiré par les Soviétiques.

« Le massacre de Katyn est toujours éludé ou minimisé dans l’histoire de l’Europe ou du monde, aussi parce que son élucidation n’a pas été dans l’intérêt des Alliés »

Andrzej Wajda en a fait un film. Quel est votre sentiment à ce sujet ?

Le grand metteur en scène qu’était Andrzej Wajda a réalisé un film émouvant, étant sa propre vision des événements survenus à Katyn. Son attitude vers ce génocide était personnelle, parce que son père avait été assassiné à Kharkiv. Par contre, Andrzej Wajda « n’a pas enseigné sur Katyn ». Pourtant, c’est certainement son « Katyn » qui a rappelé ce crime au monde , y compris en Russie, et c’est sa grande réussite.

Comment parlez-vous de Katyn aux jeunes gens qui viennent visiter le Musée dans le cadre de sorties scolaires ?
Les élèves visitant le Musée de Katyn doivent être dès le début conscients qu’ils se trouvent dans un musée de martyrologie. Il n’y a pas de place pour des gestes ou mots inutiles. Beaucoup d’entre eux voient pour la première fois de leur vie une documentation d’une énorme tragédie nationale qui fait appel à leurs sens. Le récit auquel ils participent les touche profondément et permet de montrer leurs vrais sentiments, de vivre le moment et l’endroit où ils se trouvent. Tous les projets adressés aux jeunes visent à présenter non seulement le massacre de Katyn, mais aussi les personnes et événements qui lui sont associés. Plusieurs de mes collègues plus jeunes commencent le récit de la visite avec des mots suivants : de nombreuses personnes assassinées avaient des familles, enfants de votre âge, désirs, rêves, projets et un grand amour pour la Pologne dans leurs cœurs. Lorsque vous regardez ces silhouettes inconnues, réfléchissez comment serait maintenant la Pologne, si elles étaient toujours en vie… À part cela, le Musée est un outil parfait pour créer une politique historique, étant en même temps un Memento exceptionnel…

 

Musée de Katyn (entrée gratuite)
Section du Musée de l’Armée Polonaise
Citadelle de Varsovie
Rue 13, Dyminska ( entrée côté rue Jean Jezioranski)
01-783 Varsovie

Le site officiel : muzeumkatynskie.pl

 

(SŁAWOMIR FRĄTCZAK – Crédit Photo : Paul Fogiel  )

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