Chekeba Hachemi : « Comme beaucoup de préadolescentes en Iran et en Afghanistan, le seul moyen de vivre en paix c’est de gommer tout aspect féminin de son corps »

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Comment raconter la guerre aux enfants sans les traumatiser? C’est le pari fou de la réalisatrice Irlandaise Nora Twomey qui signe « Parvana », un film d’animation pas comme les autres…
A l’origine, « Parvana, une enfance en Afghanistan » , sorti en 2003, est un roman à succès de la canadienne Deborah Ellis.

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L’histoire d’une jeune fille de 11 ans, vivant avec sa famille à Kaboul, dans les années 90 alors que les talibans font régner une oppression constante. Angelina Jolie, connue pour ses engagements humanitaires, avait adoré le livre au point qu’elle en achète les droit pour produire le film sorti mercredi 27 juin dans les salles.

Le tour de force de cette histoire est de raconter aux enfants l’oppression de la guerre et la réalité de milliers de petites filles. Quand les talibans s’emparent de Kaboul, la jeune « Parvana » dont le père a été injustement fait prisonnier, va être contrainte de prendre une décision radicale : devenir un garçon.

Cheveux coupés courts, longue tunique et petit chapeau, la jeune fille découvre la liberté des enfants de son âge, de sexe masculin, et se lance avec une idée en tête : retrouver son père. Dans la version française, c’est l’actrice franco-iranienne  Golshifteh Farahani, qui a doublé la voix de la petite Parvana. Un rôle sur mesure pour l’actrice, qui, elle aussi, en Iran sous le régime des Mollahs s’était rasée la tête pour pouvoir sortir librement. Après avoir été récompensé des prix du Jury et du Public au Festival international du film d’animation d’Annecy et nommé à l’Oscar du meilleur film d’animation, « Parvana » est sorti le mercredi 27 juin en salle.

Putsch a rencontré CHEKEBA HACHEMI, ancienne diplomate afghane et présidente de l’association « Afghanistan Libre », une association qui collecte de fonds pour ouvrir des écoles en Afghanistan et donner une chance aux petites filles de construire leur avenir.

Vous êtes afghane, votre association est partenaire du film, peut-on dire que « Parvana » est un film réaliste?

Absolument, l’histoire de « Parvana » est totalement réaliste. D’ailleurs, malgré le départ des Talibans, il existe encore de nombreuses «Parvana ». Le film est très réaliste , on y voit la mère de Parvana se faire frapper avec un bâton en pleine rue pour être sortie seule, ou encore la fillette au marché à qui l’on refuse de vendre de la nourriture parce que c’est une fille. Durant l’oppression talibane, les jeunes filles contraintes de se déguiser en garçon s’appelaient les « bacha posh », un double genre masculin/féminin. Comme beaucoup de préadolescentes en Iran et en Afghanistan, le seul moyen de vivre en paix c’est de gommer tout aspect féminin de son corps. Dans le film « Parvana », elle change de nom et devient Aatish – littéralement « le feu »- un garçon qui n’a pas froid aux yeux et qui est prêt à tout pour sauver son père et aider sa famille. On appelle ces intrépides les « bacha posh », ce qui veut dire « habillée comme un garçon » en dari, langue persane parlée en Afghanistan. Et ces enfants au double genre existent bel et bien en Iran, en Afghanistan ou au Pakistan et sont considérés comme des garçons à l’extérieur de la maison.

Parvana dépeint très bien ce qu’était la condition des filles et femmes afghanes sous les Talibans.  Malheureusement, cette situation existe encore dans certaines régions contrôlées par les Talibans. Au-delà de ça, le film est très réaliste dans sa manière de capter et rendre l’atmosphère de Kaboul.
Nous avons décidé d’être partenaire de Parvana justement car il est très réaliste sur la condition des jeunes afghanes. Il met en lumière ce pourquoi Afghanistan Libre se bat chaque jour : permettre aux jeunes filles d’avoir accès à l’éducation et favoriser leur indépendance. La sortie de ce film magnifique est aussi le moyen de remettre l’Afghanistan sur le devant de la scène.

 

Chékéba Hachemi – Crédit D.R

 

D’où vient l’origine de ce terme?
L’origine des « bacha posh » viendrait de familles où les parents, qui n’ont pas eu de garçon, élèvent une fille comme un garçon. En échange de son identité de fille, la bacha posh a le droit d’aller à l’école, de faire du sport ou encore d’accompagner sa mère et ses sœurs à l’extérieur : elle/il incarne la figure masculine de la famille.

Quand les Talibans sont partis, que ce sont devenus ces « basha posh »?

Il faut bien comprendre que la trêve qui sonnait pour ces petites filles comme un cessez-le-feu à leur identité n’était que temporaire. Une fois passé le cap de la puberté, les adolescentes ont été renvoyées à leur statut de femme et contraintes de se soumettre aux interdictions : sortir avec un voile, être accompagnée d’un homme.

Votre Association « Afghanistan Libre » se bat pour construire des écoles pour les jeunes filles, il reste encore beaucoup de travail sur place?

Bien que de grands progrès aient été réalisés dans le domaine de l’éducation depuis la chute du régime des talibans, le nombre d’élèves étant passé de  1 million – exclusivement des garçons – en 2001 à 9 millions en 2016 dont 39% de filles, le chemin reste long pour l’Afghanistan. Les derniers chiffres de l’UNICEF montrent que, pour la première fois, depuis 2002, l’éducation régresse.  Aujourd’hui encore 3,7 millions d’enfants ne sont toujours pas scolarisés en Afghanistan, soit près de la moitié des enfants âgés de 7 à 17 ans : 60%  sont des filles et ce chiffre monte jusqu’à 85% en zone rurale.
De nombreux facteurs entravent encore la scolarisation des jeunes filles : le manque d’infrastructures, l’éloignement des écoles en zone rurale, l’insécurité sur le chemin de l’école. Le manque  d’enseignants et surtout d’enseignantes (seules 30% des enseignants sont des femmes) est également un frein important tout comme leur manque de qualification (seulement 24 % des enseignants répondent aux qualifications minimales). Ce sont souvent les lycéennes qui sont les plus à risque de décrocher du système scolaire. En effet, au-delà de la persistance des mariages précoces, de nombreuses familles refusent encore de laisser leurs filles assister à des cours dispensés par des hommes.
L’éducation est pourtant une clé pour le progrès et une barrière à l’obscurantisme. Lorsqu’elles sont éduquées, les femmes acquièrent un pouvoir et peuvent participer activement au développement politique, économique et social de leur pays. Elles améliorent alors leur statut de femme, d’épouse et de mère, sont en capacité de prendre des décisions concernant leur famille et la société et contribuent à la réduction de la pauvreté. C’est pourquoi Afghanistan Libre continuera son combat.

Depuis le départ des talibans on parle moins de l’Afghanistan, les choses ont elle bougées positivement?
Oui les choses ont bougé positivement notamment en matière d’éducation : les jeunes filles peuvent être scolarisées et aller à l’université. Les femmes aussi ont le droit de travailler.

Chékéba Hachemi – Crédit D.R

 

Qu’en est-il de la situation sur le terrain actuellement en Afghanistan, gardez-vous l’espoir?

Les chiffres sont éloquents. L’Afghanistan est encore considéré comme « le pire pays pour vivre en tant que femme». En 2014, «le pire endroit pour accoucher et pour naître ». Les Afghanes voient encore et toujours leurs droits fondamentaux menacés au quotidien. Mais, grâce à beaucoup d’acteurs et d’actrices sur place, certaines lignes bougent aujourd’hui. J’ai espoir que très bientôt toutes les petites « Parvana » d’Afghanistan et du monde entier vivront en paix durable dans leur pays. Cela passera forcément par l’accès à l’éducation, la sensibilisation à la santé, le suivi psycho-social et des activités socio-économiques et culturelles. C’est ce combat que je continuerai de mener.

Nous sommes un peuple optimiste et restons optimistes. Nous restons confiants pour l’avenir car les résultats des actions d’Afghanistan Libre sont extrêmement encourageants. Notre expertise est sollicitée : nous avons une approche de terrain et travaillons main dans la main avec les communautés locales. Derrière nos actions se cache une réelle volonté de déclencher un cercle vertueux de bonnes pratiques qui pourront, par la suite, être reprises à l’échelle nationale. Par ailleurs, la province du Panjshir, dans laquelle nous agissons, est le fief historique de la résistance afghane et du Commandant Massoud et reste encore « protégée » des talibans.

Quel est le rôle exact de l’association sur le terrain?
Afghanistan Libre agit depuis 1996 et soutient actuellement 7 écoles publiques situées en zone rurale dans le district de Paghman et la province du Panjshir. Cela représente environ 10 000 élèves (dont 70 % de filles) et plus de 200 professeur-e-s. Afghanistan Libre met en place le programme PAGE (Promotion of Afghan Girls Education). PAGE comprend différents projets, tous ayant la volonté de soutenir l’éducation des filles jusqu’aux études supérieures et de les préparer au monde professionnel :
La préparation au Kankor (examen d’entrée à l’Université): mise en place des cours de soutien dans les matières scientifiques (ayant le plus gros coefficient) et assure le transport jusqu’au lieu de l’examen afin de permettre aux jeunes filles de réussir leur Kankor et d’accéder aux études supérieures.
Formation des enseignantes  et auto-formation : les enseignantes sont encore trop peu nombreuses à être qualifiées. Nous avons donc développé un programme visant à les former, avec la mise en place de cours dispensés par des professeurs de Kaboul ainsi qu’un système d’auto-formation (supports numériques permettant aux enseignantes de se former en continu).
Classes digitales : le marché du travail afghan étant très orienté vers le numérique, depuis cette année, nous avons mis en place des classes digitales, entièrement équipées en matériel numérique, ainsi que des formations en informatique et anglais pour les élèves de lycée. A terme, nous souhaiterions intégrer des cours de coding.
Une lampe pour une identité : ce projet vise à améliorer les conditions des devoirs à la maison le soir et la sécurité sur le chemin de l’école grâce à une lampe solaire ainsi que permettre aux jeunes filles d’avoir une identité légale qui leur garantit l’accès à leurs droits. Ce sont 1500 jeunes qui en sont bénéficiaires.
En parallèle, ce programme apporte aussi son soutien de façon ponctuelle à travers la construction et l’aménagement de classes, la réparation, la dotation en fournitures et matériel scolaire, l’installation de panneaux solaires et la mise en place de bibliothèques.
Aussi, depuis 2003, Afghanistan Libre a ouvert et soutient 4 centres d’éducation à la santé implantés dans l’enceinte des écoles. Le concept de « Centre d’Education à la Santé » est unique puisque nous n’avons retrouvé l’équivalent nulle part ailleurs en Afghanistan. Ce n’est ni un centre médical, ni une infirmerie. La personne qui en a la charge est une éducatrice formée à la promotion de la santé.
Afghanistan Libre a aussi créé 4 crèches visant à améliorer l’offre et la qualité de la prise en charge de la petite enfance en zone rurale et permettre aux enseignantes d’exercer leur métier de manière sereine et assidue.

©PUTSCH – Toute reproduction non autorisée est interdite
( Crédit photo Chekeba-Hachemi ©Thierry Rateau )

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