Indra Rios-Moore : «J’ai toujours été politiquement active»

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Indra Rios-Moore s’engage avec autant de force en politique qu’en musique. Très sensible aux grandes questions humanitaires, la création de ses albums suit les fluctuations de ses espoirs et de ses déceptions quant aux phénomènes sociaux. L’élection de Donald Trump aux Etats-Unis, la grave crise des migrants et les crispations des nations en Europe sont des sujets qui inquiètent et qui inspirent Indra Rios-Moore. Elle s’est confiée longuement à Putsch et nous parle aussi avec passion de musique.

propos recueillis par

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Indra Rios-Moore, durant votre adolescence comment vous êtes vous construite avec la musique? On image que votre père Don Moore y a contribué?
Étonnamment, mon père a eu très peu d’impact sur mon développement musical. Notre situation pourrait prouver que la génétique est aussi forte que l’éducation. Je n’ai pas grandi avec mon père. Je l’ai vu une fois par semaine à partir de l’âge de 5 ans jusqu’à l’âge de 10 ans. J’ai repris contact avec lui quand j’avais 18 ans. Enfant, je ne connaissais rien de sa carrière passée à jouer avec des légendes du jazz. Je ne l’ai su que bien plus tard. J’ai aussi appris que ma grand-mère paternelle était une merveilleuse mezzo-soprano, comme moi. C’est de la génétique pure.
Ma mère a largement contribué à mes influences fondatrices. Elle était une immigrée portoricaine aux États-Unis. Elle était issue d’une famille de musiciens. Son oncle et son père jouaient de la musique traditionnelle portoricaine. Elle aurait pu devenir une grande musicienne si elle en avait eu l’opportunité. Sa collection de disques et son obsession complète pour la musique étaient autant de cadeaux pour moi.
Elle a écouté tous les genres de musique et avait cette oreille merveilleuse. J’ai grandi en écoutant beaucoup de Stevie Wonder, de Steely Dan, de Barbra Streisand, de Pain, d’Al Green, de Sarah Vaughn, d’Al Jarreau, d’Angela Bofill, de Chaka Khan, de Jimi Hendrix, de Santana ou encore d’Eddie Palmieri… et c’est seulement une liste restreinte des artistes écoutés en grandissant.
Ma mère s’assurait aussi que je suive ma formation vocale. À 13 ans, elle m’a piégé pour que j’auditionne pour une division préparatoire du Mannes Conservatory of Music. Elle m’a dit que nous allions faire du shopping et à la place elle m’a emmené là-bas et m’a fait chanter pour le directeur. Je suis sorti avec une bourse complète. Oui, ma mère est celle qui a fait ce que je suis aujourd’hui.

Vous attribuez une grande valeur poétique à la musique et au chant, plus que la portée politique ?
La musique est tout pour moi. Elle ressemble à l’inspiration du peintre. Je ressens la même chose. Il y a de la musique pour chaque personne. Car elle a le pouvoir de se transformer, et j’aime le fait qu’on puisse porter la même musique avec nous toute notre vie. Et la musique prendra une signification différente à travers le temps.

Quelle est la place de ce nouvel album « Carry my Heart » dans votre carrière ?
J’avais l’intention d’enregistrer un album « tempo » après « Heartland », mais pendant les élections, l’ambiance était difficile aux Etats-Unis (où je vivais de 2013 à 2017). Une fois que Donald Trump a remporté l’élection, mon cœur m’a tiré dans une direction différente. J’ai essentiellement enregistré des chansons qui parlaient du moment présent. Des chansons qui pourraient à la fois décrire mes sentiments et partager mon espoir que les choses vont s’améliorer. Chaque chanson a été spécifiquement choisie parce qu’elle servait d’arche à mes propres sentiments sur l’état du monde et la situation des États-Unis.

J’ai écrit cette chanson après avoir lu des nouvelles troublantes du Danemark. Un homme aurait craché sur des réfugiés qui marchaient sur l’autoroute en direction de la Suède. Je pensais aux enfants et aux familles. J’y pense à chaque fois que je porte mon fils. Mon cœur sort hors de ma poitrine. Et je pense à toutes ces familles qui ont portées leurs enfants à travers ces périls, dans l’espoir de les mettre en sécurité. La peur de l’autre conduit la politique aux États-Unis et à l’étranger. En fin de compte, nous sommes tous des êtres humains et des parents qui veulent le meilleur pour nos enfants et pour leur avenir. Je veux mettre en musique cette humanité et cette générosité.

Deux compositions et neuf reprises, pourquoi ce choix sur ce nouvel album ?
J’écris tout le temps mais ce n’est pas souvent que j’écris de la musique qui convient à notre groupe. J’ai choisi d’enregistrer Carry My Heart et Give It Your Best parce qu’elles correspondent à l’histoire de l’album. C’est une collection de chansons axées sur l’espoir.

Comment avez-vous vécu l’élection de Donald Trump et comment avez-vous répercuté cela dans vos chansons ?
Malheureusement, je n’ai pas été surprise par la victoire de Donald Trump . Il y avait un changement dans l’atmosphère. Le racisme qui planait est devenu de plus en plus prononcé. Dans mon cœur, je crois que mon pays a choisi ce «chef» parce qu’il reflète des sujets que nous n’avons pas traités et des nos problèmes sous-jacents. J’ai la conviction que nous pouvons soit saisir cette occasion pour faire face à nos démons, soit nous allons nous enfoncer davantage dans cette folie. La musique et l’art sont là pour rappeler aux gens ce qui nous relie. C’est cela qui a inspiré mon écriture ainsi que les chansons que j’ai choisies d’interpréter.
Diriez-vous que vous êtes une artiste plus engagée suite aux dernières élections américaines ?
J’ai toujours été politiquement active. Je suis une libérale américaine et je viens d’une famille d’activistes. Je ne peux pas m’empêcher de penser au lien entre l’art et la politique. Cette idée a toujours été intimement liée dans ma vie. J’ai toujours été franche concernant la politique sur scène, mais je dirais que je me sens encore plus obligée de parler des valeurs qui transparaissent dans mes choix musicaux lorsque je fais des interviews comme celle-ci.
Quand j’ai commencé à jouer au Danemark, le parti nationaliste commençait à dominer le gouvernement danois. J’ai été surprise de constater qu’il y avait beaucoup de nationalistes dans mon public, des gens fans de notre musique. Ils me disaient « ces étrangers ne sont pas bons pour notre pays mais vous, vous êtes différente ».
D’une certaine manière, ils n’avaient aucun problème avec une étrangère qui chantait, mais ils votaient pour se débarrasser de gens comme moi dans le fond. J’ai réalisé que j’avais de la chance de leur parler directement. Je n’aurais pas pu le faire si j’avais été quelqu’un d’autre. Bénéficier d’une aura musicale à partir de laquelle j’entre en contact avec les gens a été un cadeau incroyable pour moi. Cela a été assez révélateur. La musique est un bel espace pour rencontrer des gens de tout horizons.

Que regard portez-vous aujourd’hui sur les USA en tant que citoyenne américaine ?
Le pays traverse un changement majeur. Je suis une optimiste et je crois en l’esprit de l’Amérique, qui est façonné par le pouvoir et la beauté de ses immigrés. Nous traversons une période sombre et nous révélons le pire de nous-mêmes, mais je crois que cela révélera aussi le meilleur de nous. Il y a déjà un mouvement de résistance qui grandit.

Le public français a eu la chance de vous voir pour le Festival Jazz à Saint Germain à Paris d’ici la fin du mois. Pourquoi avoir choisir d’intégrer la programmation ?
J’aime jouer en France. J’ai d’abord signé chez impulse! Records quand le label était basé à Paris. J’ai donc eu la chance de jouer souvent ici. Et c’est chaque fois une joie immense. Le public français est ouvert et chaleureux.

Si vous deviez définir ce nouvel album en deux mots, quels seraient-ils ?
Amour et guérison

Un(e) artiste à nous recommander ?
Emily King. Je l’écoute sans arrêt ces jours-ci. C’est une auteure-compositrice brillante. Il y a aussi Solveig Sletthjel. Elle a une voix magnifique. Je n’écoute généralement pas les chanteurs de jazz modernes, mais je l’adore.
Et enfin, j’adore Ymusic, un bel ensemble de chambre qui balance entre le classique et la pop.

 

Indra Rios-Moore
Carry my heart
Impulse Records

www.indrariosmoore.com

 

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