Rudy Ricciotti : « Pour le MuCEM, je pense avoir écrit l’offre qui parlait de la difficulté existentielle de l’architecture »

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Le musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée (MuCEM) de Marseille fête ses 5 ans d’existence. Ouvert depuis juin 2013, l’année où Marseille a été capitale européenne de la culture, ce musée national est consacré à la conservation, l’étude, la présentation et la médiation d’un patrimoine anthropologique relatif à l’aire européenne et méditerranéenne. Il fonctionne également comme un forum, un lieu de débats sur les grands thèmes de notre société.

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Sa fréquentation a dépassé tous les pronostics initiaux qui le créditaient de 300 000 visites annuelles pour atteindre 1.5 million de visiteurs par an, et 8.5 million depuis son ouverture. Une surprise pour Rudy Ricciotti, architecte de « ce bâtiment de pierre, d’eau et de vent »

Vous attendiez-vous à un pareil succès d’estime et de fréquentation ?

J’avoue que non… Comment imaginer que le MuCEM serait en quelques années à peine le quatrième le plus visité de France après Versailles, Beaubourg ou le Louvre !
J’ai remporté l’appel d’offres devant des stars internationales de l’architecture et j’ai construit ce musée dans l’anxiété, dans l’angoisse de l’erreur. Je me disais qu’on ne pouvait pas impunément construire devant la Méditerranée sans prendre des risques extrêmes et c’est pourquoi j’ai beaucoup travaillé l’idée de contrition.
De tous les projets proposés dans l’appel d’offres, le mien était le plus petit. Les autres étaient marqués par une emphase de pouvoir, par cette curieuse volonté de vouloir le célébrer à travers ce bâtiment.

Où plaçaient-ils leur pouvoir ? Dans l’espace ?

Non… C’est le volume qui est le pouvoir qui s’exprime par la hauteur sous plafond…

En architecture, il y a également un problème d’écriture…

C’est vrai et pour le MuCEM je pense avoir écrit l’offre la plus contextuelle, la plus narrative, celle qui parlait de la difficulté existentielle de l’architecture. C’est en ce sens que ce bâtiment touche le cœur des visiteurs.

Vous avez sans doute du vous soumettre à des contraintes multiples ?

Il y en avait énormément : des contraintes fonctionnelles, de gestion, d’entretien, de description, de flexibilité, de résistance aux agents d’agression que sont notamment la mer et le vent. Ça représente plusieurs centaines de pages de cahier des charges.

« Quand on est architecte
on prend ses responsabilités »

Est-ce que quand vous abordez le projet, vous avez plusieurs esquisses ou une idée directives majeure ?

Je ne suis jamais dans la variable de différentes solutions. Je n’y crois pas car à mes yeux, cette idée ne fait qu’exprimer soit une indécision, soit la volonté de chercher un pardon avant même de proposer la moindre esquisse. Quand on est architecte on prend ses responsabilités. Par contre, la maturation du projet arrive progressivement. Je pars d’une gestion urbanistique et de la hiérarchie du programme souhaité. On essaye ensuite de construire, pas à pas, une narration, une écriture pour laquelle il faut trouver son style… Même si ce mot peut paraître déplacé. C’est ainsi que se dessine, se précise et s’écrit une configuration. C’est une vante marche en avant qui est assez irréversible. Je fais en sorte que le doute nourrisse l’action.

 

Le MuCEM – crédit photo Lisa Ricciotti

 

Et d’entrée vous imaginez cette sorte de filet jeté sur la Méditerranée ?

Attention… Le MuCEM n’est pas que ce filet ! Certes, les visiteurs ne voient que la résille mais, il faut imaginer tout le système porteur qui est à l’intérieur, et exosquelette avec ces colonnes dont aucune n’est semblable à l’autre et qui forme un univers assez arachnéen rappelant une bande dessinée romantique. Ce filet sur trois côtés – dessus, à l’est et au sud – a une fonction essentiellement bioclimatique, de protection au soleil. Pour la partie ouest, exposée au mistral, ce filet est un filtre au vent.
J’ai toujours été épaté par la légèreté, la fragilité de cette résille maintenue par des tangons empilés les uns sur les autres comme des châteaux de cartes. Ces tangons sont extrêmement flexibles… Et ils m’ont été inspirés par les batailles de Paolo Uccello, ce grand maître florentin de la Première Renaissance italienne. J’y retrouvais cette profusion de flèches et de lances.
Par-delà cette inspiration, il me fallait maîtriser l’adversité du paysage qui est un ensemble composé du ciel, du volume d’air, de la mer, pour la contenir avec émotion et contrition et résistance sans être soumis à la présence de ce vaste paysage qui est extrêmement puissant.

C’était un pari audacieux…

Au début, quand j’ai dessiné ce projet, je n’ai pas eu le temps de vérifier sa faisabilité par les calculs : on ne savait pas le construire et je pense que le ministère de la Culture ne s’en est pas aperçu faute de quoi il ne m’aurait jamais confié la commande. J’ai caché cela en me disant que nous aurions la force nécessaire pour inverser cette adversité qui est le manque d’épaisseur de la matière. Fort heureusement j’ai eu la chance de travailler avec un mathématicien génial qui est Romain Ricciotti, mon fils. C’est lui qui a matérialisé le dispositif et m’a permis de m’en sortir, de donner corps et vie à ce projet que j’avais le risque de ne pas pouvoir réaliser car je travaillais hors champ normatif alors que dans les métiers de l’architecture et de la construction tout est normé, tout est codifié et ce béton avec nous avons travaillé, personne ne le connaissait vraiment à l’époque ; nous en étions encore à l’état embryonnaire de recherches scientifiques.

Quelles sont les particularités de ce béton ?

Il est né dans les planchers des premières centrales nucléaires et s’appelait alors un béton de poudre réactif ayant la particularité d’avoir une non porosité extrêmement puissante de sorte qu’il ne laisse pas passer la radioactivité. Je m’y suis intéressé estimant que s’il ne laissait pas passer la radioactivité, il ne laisserait pas passer le sel, ce qui était primordial pour la construction d’un bâtiment situé en bord de mer, exposé aux vents et aux embruns marins extrêmement corrosifs. Nous ne pouvions pas travailler avec un béton normal qui aurait été attaqué, encore moins avec de l’acier qui se serait rapidement oxydé.
De plus, ce béton a une puissance mécanique exceptionnelle, six fois supérieure à un béton normal. Nous avons opté pour ce béton et ce fut une première mondiale…

Et le ministère n’a pas émis des réserves ?

Ils n’ont rien compris, hormis un maître d’ouvrage délégué qui était ingénieur des ponts et qui m’a fait confiance estimant sans doute qu’il fallait me donner ma chance et montrer, en même temps, de quoi la France était capable en matière de récit constructif. Pour ce genre d’épopée il est nécessaire que se produise une rencontre entre un très bon maître d’ouvrage et un très bon maître d’œuvre… Et aujourd’hui le béton fibré à haute performance se répand dans le marché de la construction. Pas à la hauteur du béton traditionnel, mais même s’il ne représente encore qu’un millième des constructions, il y a de plus en plus de maîtres d’ouvrage qui l’utilisent. Aujourd’hui, c’est la défense nationale qui y fait appel pour des ouvrages de résistance accrue ou en milieu marin soumis à des agressions très fortes.

Ne fallait-il pas un brin de folie et d’inconscience pour se lancer dans une pareille aventure ?

Non ! Pas d’inconscience car je n’aurais jamais mis en danger mon client et les visiteurs futurs. Il fallait un brin de passion.

« L’idée n’est pas d’épater mais d’être juste : c’est pour ça que mes bâtiments sont très populaires »

Vous avez travaillé sur plusieurs projets muséaux – réalisés ou pas – à travers le monde. Qu’ont-ils en commun ?

Ils sont d’abord très fortement attachés au contexte et à la notion de circonstances. Il convient alors de s’interroger. De quoi parle l’architecture ? Que lui fait-on dire ? Quel sens va-t-elle produire ? Quel regard va-t-on porter sur cet ouvrage, ce bâtiment ? En répondant à ces questions, l’idée n’est pas d’épater mais d’être juste : c’est pour ça que mes bâtiments sont très populaires.
L’important c’est la circonstance autant que le contexte et non le consumérisme technologique que j’exècre. D’ailleurs, je pense que nous devons toujours nous situer à l’intérieur de la désobéissance technologique. C’est une obligation politique pour éviter de se faire manœuvrer, manipuler et devenirs des petits soldats, des vecteurs impérialistes.

Est-ce que le MuCEM reste le grand œuvre de Ricciotti ?

Certains le disent. D’autres pensent plutôt au mémorial de Rivesaltes, au stade Jean-Bouin ou au stadium de Vitrolles, je suis incapable de répondre car je manque de recul.

Votre fierté peut-être ?

Pas même… Je prends ça comme une fatalité. Ça n’est pas ma manière de ressentir les choses. J’ai d’autres raison de l’être : celle d’avoir trois enfants qui ont réussi leurs études, celle de pouvoir vivre dans ce lieu où j’habite, ce privilège d’être au bord de la mer Méditerranée, de cet horizon métaphysique. J’ai vraiment le sens du service rendu à ma nation, à mon peuple. C’est dans cet esprit que j’ai été éduqué. On pense toujours que je suis une grande gueule, un homme arrogant… Je le suis parfois, mais pour d’autres raisons : qu’on se foute de moi et alors, je peux devenir terrible, même violent. Mais je place ma fierté ailleurs… Autant la mettre dans le lit au moment du service majeur, quand il est vraiment impossible de tricher !

 

 

© PUTSCH – Toute reproduction non autorisée est interdite.

(crédit photo – portrait de Rudy Ricciotti et exterieur du MUCEM © Lisa Ricciotti)

 

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