Coupe du Monde 2018 : l’amour du maillot, une valeur marchande?

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La Coupe du monde peut enfin commencer. Tout est prêt. Les cadres de l’équipe de France ont négocié bien en amont leurs primes avec Noël Le Graët, président de la Fédération française de football tout comme les joueurs allemands et espagnols par ailleurs.

 

Et les chiffres ont été communiqués par la FFF : 150.000 euros par joueur en cas de qualification si les demi-finales sont atteintes, 280.000 euros en cas de place en finale, et 300 000 euros selon l’AFP en cas de victoire finale.
Chez nos confrères de RMC, Noël Le Graët s’est empressé de préciser que «  La Fifa donne à chaque fédération une certaine somme. Les joueurs toucheront 30% de cette somme. Ces primes ne rentrent donc pas dans le budget fédéral ». Nous voilà rassurés. Et il ajoute « Sur le sujet des primes de la FIFA, c’est tout à fait clair depuis le Coupe du Monde au Brésil ». Avant, apparemment, cela ne l’était pas…

Mais l’équipe de France n’est pas la seule à négocier avec les instances nationales pour obtenir gain de prime pour la compétition.
La fédération espagnole de football donnera 125 000 euros à chaque joueur pour une victoire en Coupe du monde. Si la Roja parvient à atteindre la finale sans la remporter, les joueurs percevront 95 000 euros. S’ils parviennent à s’extraire des phases de groupe, les joueurs toucheront 30 000 euros. Pour la Mannschaft, les joueurs obtiendraient 75 000 euros en cas de qualification pour les quarts de finale, 125 000 euros pour une demi-finale, 150 000 pour une troisième place, 200 000 euros pour une place en Finale et 350 000 euros pour lever la coupe.
De ce trio, les Français sont bien placés dans le classement des primes. Alors, sont-ils meilleurs négociateurs que leurs petits camarades allemands ou espagnols ou profitent-ils de la générosité de la Fédération française de football qui «  met le paquet » pour les voir revenir avec une place honorable après 18 ans de disette sur la scène internationale et quelques sales affaires dont la célèbre grève du bus de Knysna ?

Plus globalement, la question se pose de la légitimité des primes attribuées aux joueurs pour participer avec sa sélection nationale à la plus prestigieuse compétition sportive qu’est la Coupe du monde.
Nous ne discuterons pas ici de légitimité de ces primes versées par la Fifa aux différentes fédérations dont l’équipe nationale participe à la compétition. Elles peuvent aisément se comprendre dans le cadre de l’organisation et de l’intendance des équipes sur place.

En revanche, sur le plan de l’éthique, le problème est tout autre et se pose dans les termes suivants. Comment peut-on comprendre que des joueurs comme ceux de l’équipe de France ou d’autres grosses cylindrées européennes puissent être intéressés aux résultats par des bonifications financières alors même qu’ils bénéficient de salaires pharaoniques dans leurs clubs respectifs sans parler des contrats publicitaires souvent mirobolants avec de grandes marques?
Ces primes laisseraient à penser que les performances en Coupe du Monde seraient intrinsèquement liées à des enjeux purement financiers.

De plus, ces primes sont encore plus incompréhensibles lorsqu’on sait qu’une sélection en équipe de France fait automatiquement monter la valeur marchande des joueurs dans le grand marché du football, appelé communément le mercato, que les agents de joueurs s’empressent de valoriser dans les transactions et dans les prétentions salariales.

Enfin, plusieurs questions émergent alors : participe-t-on aussi à la Coupe du Monde pour un intérêt bassement financier ? Les joueurs de l’équipe de France ont-ils réellement besoin de cet argent ? L’amour du maillot ne devrait-il pas suffire pour jouer cette Coupe du monde et faire honneur à la France ? Ne serait-il pas plus pertinent de reverser l’ensemble de ces sommes au Fonds d’Aide au Football Amateur (FAFA) lorsqu’on sait que la FFF a versé 15 millions d’euros pour l’exercice 2017-2018 ? Pourquoi ne pas investir également une partie de ces 30% dans le développement du football féminin, et notamment sur le programme Héritage de la Coupe du monde féminine de la FIFA 2019 ?  N’y-a-t-il pas là une forme d’hypocrisie et d’indécence ?

Toutes ces questions sont posées et demandent des réponses claires.

Sous le prisme de cette analyse, on est en droit de penser que le football marche vraiment sur la tête et malheureusement la voie de la raison semble s’éloigner de plus en plus tout en se rapprochant de la Cash Machine qu’est la Coupe du Monde. Désolant.

Et on ne peut s’empêcher de trouver dans les mots de Robert Redeker une certaine forme de vérité : «  Le sport participe jour après jour à la consolidation d’un totalitarisme de type nouveau : un étouffant totalitarisme mercantile et consumériste, celui du vide, dans lequel l’argent occupe la place centrale. La mobilisation totale pour la compétitivité est le contenu de cette forme euphémisée de totalitarisme (…) Qu’est d’autre la Coupe du monde sinon une fête de l’argent, de la mondialisation économique … »*

* Robert Redeker – « Peut-on encore aimer le football ? » (Essai) – Editions du Rocher

 

Nicolas Vidal – Twitter @nicolasputsch

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