Élisabeth Bauchet-Bouhlal

Élisabeth Bauchet-Bouhlal : « La culture apporte un supplément d’âme »

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Élisabeth Bauchet-Bouhlal, la directrice du Es Saadi Marrakech Resort est avant tout une femme de culture qui soutient l’art, en particulier le Festival du Livre de Marrakech. Entrepreneuse d’avant-garde, elle a pris la suite de son père qui avait ouvert le Casino de Marrakech en 1952 et construit l’Hôtel Es Saadi dans les années 60. Sont venus s’ajouter par la suite Le Palace Es Saadi et une dizaine de villas.

propos recueillis par

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En décembre dernier, le restaurant Othello est venu apporter une note vénitienne et raffinée à l’offre gastronomique du Resort. Pas moins de 850 personnes, dont certaines depuis plus de trente ans dans la maison, œuvrent pour faire du Es Saadi un lieu à part où l’on rêve de revenir. Élisabeth Bauchet-Bouhlal nous raconte l’histoire de ce domaine emblématique de Marrakech.

Quelle est l’histoire de ce lieu mythique où sont même descendus les Rolling Stones ?
Dans les années cinquante, juste après la guerre, mon père, Jean Bauchet, était propriétaire du Moulin Rouge à Paris et dirigeait le Lido. Le soir, au Lido, il avait l’occasion de rencontrer, de temps en temps, le Glaoui, le pacha de Marrakech. Quand le Glaoui venait à Paris, il descendait dans un hôtel sur les Champs Elysées, à côté du Lido. Lors des conversations avec mon père, il insistait beaucoup pour qu’il vienne à Marrakech, lui disant : « Vous verrez, ma ville est merveilleuse, très ensoleillée, vous y trouverez sûrement beaucoup à faire, elle vous attend ». De guerre lasse, mon père a fini par accepter son invitation. Ce fût un coup de cœur. A Marrakech, le Glaoui lui a fait visiter un bâtiment en construction mais délaissé. Séduit par la ville et cet emplacement formidable, non loin des remparts, mon père a décidé d’investir dans ces murs et d’y créer un casino et une salle de spectacle. Le Casino a ouvert en décembre 1952. Les plans d’un hôtel ont été réalisés, la première pierre a été posée. Mais ce n’est qu’en 1966 que le Es Saadi ouvrira ses portes. Entre temps, le Maroc deviendra indépendant et aura besoin de structures hôtelières pour recevoir ses nombreux visiteurs. Je venais juste de finir mes études et mon père m’a dit : « On y va, on va ouvrir cet hôtel à Marrakech et tu vas t’en occuper ». 50 ans et deux générations plus tard, nous y sommes toujours !

Quel a été votre rôle au début à l’hôtel Es Saadi et au Casino ?
J’avais fait des études de langue et mon père m’avait fait suivre une formation sur les nouvelles techniques hôtelières. Mon rôle fut donc d’accueillir les clients et de gérer les nouvelles installations. La première année, mon père avait recruté un directeur pour l’hôtel en plus du directeur de Casino. Son épouse anglaise, ne supportant pas l’éloignement de sa famille, n’a pas souhaité que son mari renouvelle son contrat à la fin de la première saison. En effet, sans climatisation, les étés de Marrakech étaient étouffants et l’activité hôtelière s’interrompait pendant les mois les plus chauds. Quand le directeur a annoncé à mon père qu’il ne reviendrait plus, il m’a demandé de le remplacer. C’est ainsi que très jeune, j’ai été « bombardée » directrice générale (rires) !

Comment vous est venue l’envie de vous intéresser à la culture et de la développer dans le cadre de l’hôtel Es Saadi ?
La culture a toujours fait partie de l’ADN de ma famille, de nos gènes. Mes parents étaient collectionneurs. Quand ils ont ouvert le casino, ils ont souhaité se diversifier et développer le théâtre, les livres, la peinture. En 1957, ils ont rencontré Jean-Pierre Dorian qui leur a proposé de créer le Prix des Quatre Jurys. Un prix qui repêchait un livre qui avait été nominé dans les quatre grands prix littéraires français : le Goncourt, l’Interallié, le Femina le Renaudot et qui n’avait pas été choisi. On refaisait donc un cinquième tour ! Le jury était composé d’écrivains, Paul Vialar, Paul Guth, Odette Joyeux, de lecteurs, d’éditeurs, comme Solange Fasquelle, et de journalistes, comme Edgar Schneider. Parmi les auteurs qui ont été couronnés : Christine de Rivoire, Didier Decoin, Nicole Avril, ou Frédéric Vitoux… Donc vous voyez, le goût de la littérature est dans nos gênes ! La culture nous fait vibrer, une récréation par rapport au travail ! Notre métier dans le tourisme et le spectacle est extraordinaire car on offre du bonheur aux gens. La culture apporte un supplément d’âme.

 

Vue Terrasse- Es Saadi Resort – Marrakech

Vous soutenez avec beaucoup de générosité les arts…
Oui, la peinture grâce à la belle amitié que mon mari, Jamil Bouhlal, et moi avons développé avec les artistes ; la musique aussi avec cette belle association, Les Amis de la Musique*, que nous avons fondée à Marrakech avec Claude Azières. Mon père déjà avait créée en 1954 une association qui portait ce nom.
Maintenant, le Prix des Quatre Jurys ne serait plus en phase avec le Maroc d’aujourd’hui. Ce festival du Livre vient le remplacer bien à propos. Il reste beaucoup à faire dans ce domaine car plusieurs manifestations culturelles semblent avoir été suspendues, comme le festival international du film de Marrakech, les prix littéraires de la Mamounia et du Sofitel. Même la Biennale de Marrakech n’a pas pu avoir lieu cette année… Toutes les initiatives sont donc les bienvenues.

 

Ne pensez-vous pas que la clef est que les évènements culturels s’organisent avec et pour des Marocains, comme le Festival du Livre de Marrakech ?
Absolument. Ce Festival formidable a d’ailleurs lieu à Dar Attakafa, la maison de la culture de Marrakech.

Vous avez connu Pierre Bergé qui soutenait ce festival ?
Bien sûr. Il était un ami de mes parents du temps de la rue Spontini. Nous nous sommes fréquentés à Marrakech, chacun dans son domaine. Je ne suis pas très mondaine, mais je le voyais lors des manifestations culturelles que chacun d’entre nous organisait. Je l’ai revu beaucoup plus fréquemment grâce à ce festival de littérature que nous avons soutenus tous les deux dès le départ. Lorsque j’ai rencontré Joschi Guitton et Stéphane Guillot, ces deux organisateurs passionnés du festival, j’ai tout de suite accepté de défendre leur initiative. Pierre Bergé aussi. Cette fois, nous avions le temps de nous voir.

 

Vue Piscine – Es Saadi Resort – Marrakech

A vos yeux, comment évolue le Maroc ?
Dans le bon sens ! C’est un des rares pays où les gens peuvent dire ce qu’ils pensent et où on est en sécurité, ce qui est primordial pour le tourisme. Le Maroc a la chance d’avoir un souverain qui a su prendre le train de la modernité en marche. Comme disait Emmanuel Macron, personne n’a de baguette magique ! Les choses évoluent. Chacun d’entre nous doit contribuer à ce qu’il y ait moins de laissés-pour-compte sur le bord de la route. Chacun avec ses moyens, petits ou grands. La culture est un des meilleurs moyens de fédérer toutes les générations et toutes les classes sociales.

Au printemps, l’hôtel Es Saadi est l’endroit où l’on rêve de venir…
Avril est une des plus belles saisons ! Marrakech est la ville des roses. Quand on a froid chez soi, qu’on est soucieux, rien de tel que d’y venir, à trois heures des grandes villes européennes, pour retrouver un certain art de vivre, un climat idéal et y rencontrer des gens bienveillants. Nos clients sont fidèles. Leurs enfants reviennent, désireux de faire partager leurs souvenirs à leurs petits-enfants. Après mes parents, les fondateurs, mon mari Jamil Bouhlal, c’est Jean-Alexandre, mon fils et son épouse Caroline qui, depuis quelques temps, ont repris avec moi le flambeau avec efficacité et enthousiasme : une vraie histoire de famille !

 

Festival du livre de Marrakech
La 3e édition s’est déroulée du 21 au 22 avril 2018
Le site officiel du festival : www.festivaldulivredemarrakech.com

 

Élisabeth Bauchet-Bouhlal
Es Saadi Marrakech Resort
www.essaadi.com

 

Note :* Les Amis de la Musique de Marrakech, fondée en 2011 par Claude Azières et Jean-Pierre Brossmann. Dans les locaux de l’ESAV, l’AAMM propose des retransmissions en haute définition du MET Opéra du Bolchoï et de la Comédie Française.

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