Corentin, qu’est ce qui vous a poussé dans les bras de la photographie ?
En pleine formation de dessinateur de bande dessinée, je découvre la photographie en classe dans un laboratoire noir et blanc de mon école bruxelloise. Je me découvre alors une autre passion, plus palpitante, plus vivante, plus ouverte sur le réel, moins dans l’imaginaire.
Et dans celui du photo journalisme ?
Je voulais » faire du Doisneau » – des scènes du quotidien en noir et blanc, tendres et nostalgiques. J’ai vite compris que cela n’avait pas de sens ni d’avenir. J’ai commencé à couvrir les manifestations sur Paris et je me suis pris d’intérêt pour l’actualité, le social et l’humain.
Vous avez couvert de très nombreux événements d’actualités nationales et internationales. Qu’est ce qui vous a plu dans le traitement de cette actualité?
C’est clairement le fait d’être plongé en première ligne dans la dure réalité de la condition humaine. Suivre le combat des hommes et des femmes qui luttent au quotidien.
Qu’est ce qui vous a le plus marqué pendant cette période ? Un événement, une image, une photo, une situation ?
J’étais trop accro à l’aventure, l’excitation de ces évènements pour être marqué par une situation en particulier. C’est plutôt la multitude des rencontres humaines qui m’ont marqué : la pire ordure criminelle pouvait être une personne adorable. Le plus déprimant, c’est de se rendre compte qu’au final en France nous avions le même potentiel de bourreaux dans notre pays. Il suffirait qu’une guerre ou une catastrophe se produise pour que ces personnes, que je croise au quotidien, au volant, dans le métro ou dans la rue se « révèlent ». Je suis paradoxalement plus déprimé de l’humain à Paris que dans des pays en guerre.
Pourquoi avoir pris du recul à partir de 2012 et vous être orienté « vers des histoires plus longues» ?
Je me fatiguais à courir après l’actualité, survoler des situations, des histoires ou des pays, la spirale de « la course à l’information » qui te fait partir plus par principe que pour une véritable réflexion, et les risques pris. La mort m’a frôlé, et m’a pris deux bons amis photoreporters, Lucas Dolega et Rémi Ochlik.
En quoi, pour vous la photographie est-elle une histoire ?
Chaque photo est une histoire. Une succession d’images peut même devenir un véritable récit.
Pourquoi cette appétence pour Haïti ?
Cette île me fascine depuis 2012. Je la découvre au moment du séisme de 2010. Son peuple, son histoire unique, sa culture, son climat, ses contrastes et es absurdités…
Comment avez-vous appréhendé ce livre ? Peut-on parler de reportage d’ailleurs ?
Ce travail porte sur une autre vision d’Haïti, loin du misérabilisme et d’une certaine image d’Epinal de l’île. Il a d’abord été publié sous forme de plusieurs reportages dans la presse magazine. En 2017, j’ai décidé de le rassembler dans un livre, avec l’éditeur Eric Le Brun de Light Motiv et la graphiste Lucie Baratte. A trois, nous avons pu réaliser un ouvrage qui est une création autant qu’un objet documentaire. Cela a permis de toucher un autre public, de faire parler à nouveau de ce travail et de l’exposer. C’est aussi la possibilité de laisser une trace matérielle de mon travail. C’est au final la seule chose de concret qui restera. J’adore les livres et pour moi le papier reste un formidable vecteur d’information.
Quelle facette d’Haïti souhaitiez-vous éclairer ?
Je revendique ce travail subjectif, qui part du principe que l’on a trop montré une vision « maudite » d’Haïti, pour l’orienter vers les richesses du pays, de la culture à la bourgeoisie, de son énergie créative et de son ambition démesurée.
Vos photos mettent en exergue des disparités effrayantes entre la pauvreté, l’activité touristique et la présence d’une nomenklatura. Pouvez-vous nous en dire quelques mots ?
Ce pays est tout en contradictions et en contrastes, parfois de façon surréaliste souvent très touchante ou désespérée. Il existe une toute petite classe extrêmement riche très souvent issue du lourd passé colonial ainsi que d’une migration venue des région libano-syriennes dès la fin du 19ème siècle. A côté, la majeure partie de la population vit avec moins de 2 dollars par jour. C’était important pour moi de montrer que le pays était plus complexe que ce à quoi on le résumait. Le tourisme s’est développé dans les années 50, faisant rapidement d’Haïti le principal pays touristique des Caraïbes. Malheureusement, la politique désastreuse et dictatoriale des Duvalier puis des renversements de pouvoirs successifs qui se sont succédé à la fin 20ème siècle et qui ont réduit à néant le formidable potentiel touristique du pays. Pourtant, depuis quelques années, une volonté de redonner une image positive et touristique se développe. Cela prendra du temps, car tout est à refaire – en premier il faut changer son image désastreuse – mais je crois en un certain modèle équitable et durable de tourisme.
Comment votre vision d’Haïti a-t-elle changé durant vos nombreux séjours ? Explique-t-elle le titre de votre livre ?
A chacun de mes séjours, je percevais un peu plus la complexité du pays. Haïti ne s’appréhende pas en 2 ou 3 semaines. Il faut des années, peut-être même une vie pour un non Haïtien comme moi. Le titre n’a pas la prétention de tout raconter d’Haïti, mais je voulais juste redorer le blason de ce pays qui m’est cher: indiquer ces 5 lettres dorées, comme pour montrer la richesse qu’elle contient était un choix engagé.
Si vous deviez nous dire quelques mots sur l’âme du peuple haïtien que vous évoquez dans votre livre ?
Je ne saurais vous expliquer l’âme haïtienne, si riche que des mots ne peuvent la résumer. Il faut lire ses auteurs d’une littérature foisonnante : de Yanick Lahens à Kettly Mars, de James Noël (auteur de la préface de mon livre) à Néhémy Pierre-Dahomey ! Mais si je devais tenter de résumer l’âme haïtienne, j’oserais dire un peuple majestueux, d’une extrême exigence, sans concession dans sa définition de la liberté.
Avez-vous de l’espoir pour le développement d’Haïti dans les années à venir ?
Honnêtement après toutes ces années, et quand je vois le parcours du développement d’Haïti, il serait difficile de rester positif. Pourtant, malgré tout, je pense que tout reste à faire à condition que l’on laisse les Haïtiens s’emparer entièrement de leur avenir. Il est temps d’arrêter la perfusion humanitaire qui pourrit le pays. Et l’ingérence étrangère, soit religieuse ou géo-politique, est dévastatrice. Il est temps que l’indépendance d’Haïti ne soit plus seulement une date et un symbole (1804, les Haïtiens sont le premier peuple noir esclave à prendre son indépendance en boutant les troupes de Napoléon hors de l’île, appelée alors Saint Domingue) mais qu’elle devienne une réalité.
Corentin Folhen
Haiti
Photographies et textes : Corentin Fohlen
Préface : James Noël
Postface : Jean-Marie Théodat
PRIX AFD/Libération du Meilleur Reportage Photo
35 euros – Editions Light Motiv
Crédit photos Haiti – Corentin Fohlen
Crédit photo de Corentin Fohlen – © Valerie Baeriswyl