Le Pass culture : la politique du vide
Le Pass culture est-il une révolution comme l’annonce la ministre de la Culture, Françoise Nyssen ? Quels sont les contours de ce grand chambardement culturel ? Quelle est l’ambition de cette « révolution » souhaitée par la ministre ? Et avec quelles convictions ce Pass culture sera t-il porté ?
La communication ministérielle est intense autour du Pass culture depuis plusieurs semaines déjà mais il est difficile d’en définir les enjeux principaux. A ce jour, on sait que ce Pass culture sera le «premier réseau social culturel», construit «sur les méthodes des start-up» et s’adressant «directement aux citoyens » selon la ministre.
Néanmoins, ce postulat jette un doute. Commencer à définir un projet culturel de cette ampleur en l’adossant aux concepts de « réseau social » et de « Start-up » n’a rien de rassurant.
On sait que le Pass culture sera proposé via une application mobile qui permettra « de connaitre et d’accéder à toute l’offre culturelle autour de soi ». Pourquoi pas ?
Cela accrédite néanmoins la thèse (alarmante) que les pouvoirs publics sont contraints d’occuper les écrans et la sphère digitale pour toucher un public toujours plus jeune, sans parvenir à endiguer la surconsommation effroyable d’écran pour la jeunesse.
En somme, l’Etat utilise abondamment des canaux sur lesquels il devrait mobiliser une campagne de prévention massive. Force est de constater qu’il en est réduit à se mettre à la page des évolutions qu’on appelle benoitement « les nouvelles technologies » alors même qu’il est le garant de l’éducation du citoyen. Car l’État a délaissé depuis plusieurs années, et sous différents gouvernements, la culture au sein même de l’éducation nationale qui est pourtant une période cruciale pour sensibiliser les plus jeunes à la chose culturelle. Aujourd’hui, pris de court, il entreprend de facebookiser l’offre culturelle.
La bonne ou la mauvaise culture ? Un enfermement intellectuel mortifère
Mais le péril, au-delà de la forme définie par la Rue de Valois pour ce Pass culture, se cristallise dans son champ d’application pour reprendre un élément de langage cher à l’ensemble des ministères.
A quoi va servir le Pass Culture ? Que proposera-t-il?
La réponse de la ministre est toujours la même : « Il permettra de combattre les inégalités dans l’accès à la culture en cassant les barrières financières et sociales ». Soit.
Françoise Nyssen s’est d’ailleurs exprimée le 6 mars dernier à ce sujet devant le comité d’orientation du Pass Culture. Et c’est là que le bât blesse car il semblerait que, dans les arcanes de la Rue de Valois, on ne sache pas définir clairement ce fameux champ d’application.
Alors on s’accroche à la vieille tradition du relativisme. A cet effet, Françoise Nyssen déclare à l’envi qu’ « il n’y a pas de “bonne” ou de “mauvaise” culture » .
En l’espèce, la ministre a raison. Il n’y a pas de bonne ou de mauvaise culture. Non. Il y a une seule culture pleine, entière, passionnante et grisante composée d’univers patrimoniaux de littérature, de musique et d’arts sous toutes leurs formes qui émancipent l’individu au coeur de sa propre existence, dans son rapport à la société et à l’autre. Mais il y a aussi un espace démesurément vaste, tourné exclusivement vers le divertissement toujours plus totalitaire prenant le chemin d’une aliénation sociale, incarnée notamment par la consommation éffrénée de télévision et d’écrans de toutes sortes .
C’est cela que le Pass culture doit combattre en tentant par tous les moyens de rétablir ce déséquilibre inquiétant.
Ainsi, tant que la ministre de la Culture ne définira pas précisément quelle idée elle se fait de la culture et qu’elle ne sera pas en mesure d’identifier ce qui doit faire culture chez les jeunes générations, ce Pass culture sera au mieux inutile voire mortifère, si d’aventure, il comprenait dans son spectre une litanie de loisirs qui divertissent plus qu’ils ne cherchent à émanciper.
D’ailleurs, Françoise Nyssen concède clairement qu’il y a « des choix à faire» dans la définition du Pass culture et que « trois secteurs posent aujourd’hui question : le jeu vidéo, les voyages culturels et linguistiques et la restauration».
On peut s’en inquiéter car il est question aussi que le Pass culture ouvre l’accès à l’achat de jeux vidéos, de tournois sportifs, d’abonnement à la plateforme musical spotify, des cours de hip-hop ou à des séances de cinéma où l’on imagine aisément que ces jeunes gens seront plus enclins à visionner Star Wars qu’un document dans une salle d’art et d’essai.
En clair, ce Pass culture ressemble étrangement à une coquille vide que la Rue de Valois tente de remplir tant bien que mal avec un semblant de cohérence. Mais les enjeux vont bien au delà d’un énième projet, émanant du Ministère de la Culture qui a, de plus en plus de mal, à remplir sa fonction première. L’éducation nationale doit être partie prenante dès le plus jeune âge dans la transmission d’une éducation culturelle envers les plus jeunes et notamment les enfants de milieux défavorisés.
Le constat n’est pas le bon. Car le mal qui ronge notre société prolifère dans cette désaffection d’un grand nombre de Français pour la culture et notamment les plus jeunes. L’éducation culturelle doit être remise au centre de la politique éducative pour développer l’appétence culturelle de chaque élève. Le Pass Culture ne sera un succès que s’il repose sur une envie personnelle du détenteur de se cultiver.
Et aujourd’hui, NetFlix, Spotify, Deezer, Facebook, les téléréalités ou encore Hanouna… pèseront toujours plus que l’envie indivduelle de se cultiver et de s’émanciper. Dans ces conditions, ce Pass culture sera une énième mesure dans cette politique du vide. Et il continuera de nourrir l’inexorable et inquiétant attrait de notre jeunesse pour le divertissement. Et les mots de Hannah Arendt sont d’une implacable modernité : “La société de masse ne veut pas la culture mais les loisirs.”