Tatiana de Rosnay

Tatiana de Rosnay : « Mon projet est d’écrire une série pour Netflix en anglais »

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Tatiana de Rosnay déjà là lorsque j’arrive chez Mrs Marple, le salon de thé, 16 avenue de la Motte Picquet, où nous avons rendez-vous. L’endroit se prête aux confidences : murs vert canard, moquette léopard, banquettes moelleuses et tableaux un poil kitsch, un écrin “with a twist” à l’image de Miss Marple, légendaire héroïne d’Agatha Christie, qui prête son nom au lieu.

propos recueillis par

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Franco-anglaise, Tatiana de Rosnay est l’auteur de onze romans dont « Elle s’appelait Sarah », vendu à 11 millions d’exemplaires dans le monde et, en 2015, d’une biographie de Daphné du Maurier : « Manderley for ever ». Plusieurs de ses livres ont été adaptés au cinéma.
Elle nous parle de « Sentinelle de la pluie », son roman qui vient de paraître, mais aussi des auteurs, des musiciens ou des séries qu’elle aime et nous confie ce qui l’agace, sans langue de bois.
« Sentinelle de la pluie » est sans doute son roman le plus littéraire. Peu de dialogues : la romancière, conteuse hors pair, se met dans la tête de ses personnages et leur donne la parole, à l’image des flux de conscience de Virginia Wolf. Un choix qui correspond à la lente montée des eaux, cette crue qui submerge Paris et à l’émergence des émotions des membres de la famille Malegarde. Une famille où chacun détient un secret et finira par le livrer, alors que le temps presse, que le père se meurt. Au rythme lent de la crue, les sentiments affleurent, donnant à ce magnifique roman une rare intensité, une justesse et une profondeur qui bouleversent. Au moment où son père s’en va, Linden, jeune photographe, lui parlera enfin de son amour pour le beau Sacha, de son homosexualité. Ici, les arbres deviennent nos amis et nous rappellent que, dans nos vies trépidantes, la nature, par sa lenteur et sa puissance, nous dépasse et que nous devrions la respecter. On s’attache à chaque membre de cette famille et on attend avec impatience l’adaptation de « Sentinelle de la pluie » au cinéma.

Comment vous est venue l’idée de « Sentinelle de la pluie » ?
J’ai rencontré une vieille dame qui a vécu la crue de 1910, un sujet qui m’intéresse depuis longtemps. J’avais aussi envie de célébrer la puissance de la nature à travers les arbres : il y a dix ans, j’ai succombé à un tilleul. Et puis, je voulais raconter le parcours d’un photographe, parler de sa manière d’observer le monde. Enfin, j’avais envie de sonder les nœuds familiaux, d’aller encore plus loin que dans mes autres livres. Je me demandais pourquoi c’est si difficile d’aborder des sujets intimes dans beaucoup de familles. De se dire qu’on s’aime, de confier ce qui vous tracasse. Le silence comble souvent la parole et on ne se dit rien. Chez les Malegarde, tout le monde s’aime, mais personne n’est capable de l’exprimer.

Parlons du making off de votre roman. Comment avez-vous conçu vos personnages ?
J’y réfléchis, je les vois, je les entends et je les décris dans des carnets. Par exemple, Tilia, la sœur, est incapable de s’exprimer avec douceur : elle jure beaucoup, le contraire de son frère. Puis, je fais des fiches avec les caractéristiques de chacun : âge, physique, parcours (time line)… Après, j’établis un chemin de fer : ici, la crue qui dure une semaine, je rédige le scénario sur des blocs de papier et je vais même jusqu’à coller des feuilles sur les murs de mon bureau. Ces blocs sont un peu comme une bible dont on se sert dans les séries télé.

Est-ce que vous vous inspirez de personnes qui vous entourent ?
Pour Linden, je me suis inspiré d’un photographe rencontré lorsqu’il avait photographié Julia Roberts. Je suis tombée sous son charme charismatique. En fait, j’attrape des images.

Vous servez-vous de vos émotions pour les construire ?
Mes quatre personnages ont une palette émotionnelle très intime qui m’appartient. Je leur transmets des tas de choses que je ressens, j’essaie de leur donner une justesse qu’ils soient importants ou secondaires.

Comment bâtissez-vous votre scénario ?
En fait, j’ai toujours construit mes romans de façon très visuelle. Je les découpe en plusieurs scènes. Les plus importantes ressortent tout de suite, comme celle de l’évacuation de l’hôpital, une scène clef qui nécessitait des détails précis. Il y a beaucoup de retours dans le temps dans mon roman : tout s’emboite peu à peu, comme un puzzle.

Savez-vous où vous allez ? Tout est-il déjà décidé ?
Je sais où je vais, mais je me laisse toujours une porte de sortie. Si j’ai envie de prendre une tangente, je le fais. Par exemple, je ne savais pas comment articuler le secret qui entoure le tilleul. Je ne savais pas comment Linden allait trouver les fameuses lettres. Au début, j’ai l’histoire mais plein de détails viennent en écrivant. Ici, le but était la conversation entre un père et un fils rendue très difficile par la crue et par le fait que le père avait eu un AVC, donc qu’il ne pouvait pas parler. La question était : comment vont-ils mettre des mots alors que le père n’a plus de voix et que le fils a très peu de temps pour parler à son père de son coming out. Tout le fil du livre était : comment trouver les mots pour le dire alors que la vie du père s’en va alors que son goutte-à-goutte rappelle la Seine qui monte.

 

Dans votre travail d’écriture, pourquoi y a-t-il si peu de dialogues dans ce roman très dense ?
Quand j’ai écrit « Manderley forever », j’ai dû incarner Daphné du Maurier, sans utiliser de dialogues. Et cela m’a plu. J’ai conscience que c’est un parti pris périlleux qui peut dérouter, mais c’était pour moi une manière d’être dans la tête du personnage, sans que j’utilise le « Je » et que je parle à sa place. Un peu comme Virginia Wolf le fait dans « Mrs Dalloway ». Je n’ai pas eu besoin de dialogues car j’étais dans le non-dit et que les mots étaient intériorisés. Bien sûr, cela donne un rythme plus lent, mais il est en phase avec la Seine qui monte. J’ai envie de continuer à écrire comme ça ! Il y a une facilité du dialogue qui ne m’a pas semblé convenir à ce livre où j’ai préféré les monologues intérieurs. Je suis dans la tête de Linden sauf dans certains passages.

 

Combien de temps avez-vous mis à écrire ce roman ?
Pour chacun de mes livres, j’ai toujours mis deux ans. J’écris tous les jours de 9 h à 18 h – avec une pause déjeuner ! Je marche beaucoup dans Paris, pour ce livre, surtout du côté du 15 e arrondissement. J’allais tous les jours rue Saint Charles où se passe l’histoire. J’avais besoin de m’imprégner de ce quartier pour savoir comment il serait englouti. La crue est de 8 m 89 !

 

N’avez-vous pas voulu aller jusqu’à ce que Paris soit engloutie ?
C’est déjà l’horreur ce qui se passe avec cette crue ! Cette eau reste. J’ai rencontré une hydrologue qui m’a expliqué que cela va arriver. Si la pluie de cet hiver ne s’était pas arrêtée, nos quatre lacs de rétention étaient pleins, on aurait eu une crue dramatique. Ce qui m’a intéressée, c’est cette lenteur inexorable avec laquelle l’eau monte, en adéquation avec les sentiments. Si j’avais fait un cataclysme, cela n’aurait pas été en lien avec ce roman construit par rapport au rythme de la crue. Je me suis servie de la crue de 1910, et je suis allée plus loin. Ce qui est incroyable, c’est que les dates de mon roman correspondent aux inondations de cet hiver.

 

Qu’est-ce qui vous énerve dans les médias ?
Je suis tombée récemment sur des extraits d’On est pas couché ( l’émission de Laurent Ruquier sur France 2 ). Je suis glacée par la façon dont Christine Angot accueille ses invités. J’admire son travail d’écrivaine, sa façon de mettre ses tripes sur la table, mais j’ai été choquée par ces propos face à Virginie Calmels et face à Sandrine Rousseau qu’elle a fait pleurer à propos du viol.

 

 

Trouvez-vous que dans l’ensemble, les romans qui paraissent sont moins bons qu’avant ?
Je ne dirai pas cela, mais j’ai surprise en découvrant la liste des best-sellers qu’il y en avait plein dont je n’avais pas entendu parler. Parmi eux, il y a pas mal de feel good books ! Les gens ont peut-être envie de lire ça. Je ne sais pas où ça va aller. J’ai été échaudée par « Cinquante nuances de grey » et je trouve triste qu’on aille vers cette littérature-là, j’aimerais qu’on continue à couronner des romanciers qui ont une magnifique plume.

 

Quels sont justement les écrivains que vous admirez aujourd’hui ?
Maylis de Kerangal. Et notamment les découvertes littéraires du Prix de la Closerie des Lilas : Julia Kerninon, Alice Zeniter… J’aime beaucoup le travail de Serge Joncourt : il est dans l’émotion et dans l’humour. Sur les réseaux sociaux, je préfère promouvoir les livres des autres que le mien. J’ai beaucoup tweeté sur le roman de Gaëlle Nohant. Ma fille Charlotte a fait la photo de la couverture de celui de David von Grafenberg « Madame de X », une machination sexuelle en Italie. J’ai aimé le livre des sœurs Berest sur leur grand-mère…

 

Et parmi les classiques ?
Zola, Maupassant, Baudelaire, Romain Gary dont je suis retombée amoureuse. Chez les anglais, évidemment, Daphné du Maurier, Virginia Woolf, Oscar Wild. Et chez les romancières plus récentes, j’aime beaucoup le travail de Tracy Chevalier et une américaine, Laura Kasischke qui a écrit « Esprit d’hiver » et « Les revenants ».

 

Vos séries préférées ?
La servante écarlate, Mon projet est d’en écrire une pour NetFlix en anglais. En regardant « La servante écarlate » adapté du roman incroyable de Margaret Atwood avec Elisabeth Moss, ça m’a donné une idée. J’ai envie d’aller dans le futur et comme mon père est à fond dans l’intelligence artificielle… il sera mon conseiller scientifique, mais une série, c’est long et compliqué ! Je vendrai le concept. Autres séries que j’adore : Homeland et House of cards.

 

Vos musiciens préférés ?
David Bowie sera toujours là pour m’accompagner. J’étais en deuil quand il est mort, j’ai tellement pleuré ! Je suis tombée amoureuse des chansons de Charlotte Gainsbourg. Mon rêve serait de la rencontrer. Nous sommes toutes les deux moitié anglaises moitié françaises, nous avons du sang russe toutes les deux. Je l’invite chez Mrs Marple à prendre un thé. Je suis en admiration devant cette artiste, son originalité, sa folie, son audace. Son jeu dans « La promesse de l’aube » est fabuleux !

 

Tatiana De Rosnay  » Sentinelle de la pluie »  – Editions Heloise d’Ormesson – 338 pages 22 euros

www.tatianaderosnay.com

( Crédit photo @ David Ignaszewski/Koboy )

 

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