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Jean-Matthieu Gautier : « Cette histoire de statues me permettait de parler des chrétiens d’Irak sans coller à l’actualité »

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Jean-Matthieu Gautier est un photojournaliste qui s’est spécialisé dans les questions spirituelles et sociales. Chef éditeur à l’agence CIRIC et fondateur de la revue de photojournalisme EPIC-stories, il a récemment publié un photoreportage qui a deux originalités : son sujet (le convoi de 15 statues de Lourdes parties en Irak) et sa publication sur le réseau social Instagram. Jean-Matthieu Gautier nous parle de la situation des chrétiens en Irak et des nouveaux modes de diffusion du photojournalisme. Entretien.

propos recueillis par

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Cet automne, vous avez publié votre travail sur l’arrivée d’un convoi chargé de quinze statues de la Vierge Marie en Irak. Qu’est-ce qui vous a motivé ou vous motive aujourd’hui à documenter la situation des chrétiens en Irak ?
Je documente les faits religieux depuis longtemps. Étant par ailleurs catholique, j’ai été sensible à la détresse de ces chrétiens d’Irak qui ont préférés tout abandonner plutôt que de se soumettre à l’autorité brutale de l’Etat Islamique, c’est-à-dire à une conversion forcée. Mon premier voyage en Irak remonte à décembre 2014. C’était l’hiver et alors qu’ils avaient quittés leurs maisons durant les grandes chaleur d’août, les réfugiés chrétiens, s’apprêtaient à vivre un hiver très dur, sous tente ou dans des immeubles en construction qui étaient de véritables palais des courants d’air. J’y suis retourné peu après et j’ai pu constater comme la situation de ces réfugiés s’était améliorée. Il demeurait cependant une très grande tristesse et beaucoup d’interrogations : un grand nombre de réfugiés considéraient que leur vie en Irak était derrière eux et qu’il n’y avait pas d’autre choix que de partir. Je me suis pour ma part beaucoup focalisé sur ces incertitudes, sur cette attente, ces non-choix, mais également sur l’organisation de modes de vie alternatifs pour ces réfugiés.

Comment avez-vous choisi et trouvé cet angle particulier du convoi des quinze Vierges Marie ?
Il me faut rendre à César ce qui est à César : cette idée m’est venue à l’occasion d’une discussion tout à fait anodine avec une responsable de l’œuvre d’Orient, une association humanitaire ayant pour objectif de venir en aide aux chrétiens d’Orient. Sur un ton presque badin, cette responsable me parlait au téléphone d’un convoi qu’il lui fallait organiser quelques jours plus tard entre Lourdes et l’Irak. Un convoi de reproductions de statues de Notre-Dame de Lourdes destinées à remplacer les statues détruites par les Islamistes dans la plaine de Ninive. L’affaire semblait compliquée mais j’ai eu automatiquement une sorte de révélation : alors que nous n’avions pas encore raccroché, j’ai imaginé le cheminement de ces statues à travers l’Europe et la Turquie pour arriver jusqu’à cet Irak meurtrie par plus de vingt ans de guerre. C’était l’histoire des « 15 vierges de Lourdes parties en Irak en camion ». Avant même de partir j’avais donc déjà un titre, ou du moins un sous-titre et cela ressemblait à une aventure de Tintin.

Et puis nous étions au mois de mars et les seules informations qui arrivaient d’Irak concernaient le siège de Mossoul qui n’en finissait pas. Il n’y avait donc aucune raison de parler à nouveau des chrétiens d’Irak. Peu d’entre eux étaient rentrés chez eux mais je savais que ce temps allait venir. Cette histoire très symbolique et assez atypique de statues m’est donc assez opportunément apparue comme un genre de prétexte. Elle me permettait de reparler des chrétiens d’Irak sans forcément coller à l’actualité – ou du moins en en anticipant le cours, et cela aussi m’intéressait.

« Le voyage de ces statues prenait à rebours la route qu’empruntaient quant à eux des milliers de rescapés de ces guerres d’Irak et de Syrie pour venir en Europe. »

Ce qui est intéressant dans votre reportage est, que l’on soit croyant ou pas, le fait d’être touché par l’espoir et la motivation de reconstruction que suscitent l’arrivée de ces statues. Aviez-vous en tête de vous focaliser sur ces statues comme symbole d’une liberté retrouvée en prenant ces clichés ou est-ce que l’angle est apparu au fur et à mesure du reportage ?
J’ai proposé ce sujet à beaucoup de magazines. Certains l’ont pris parce qu’ils étaient touchés par la dimension religieuse (La Croix, Pèlerin, ou la revue Panorama). D’autres m’ont répondu franchement que ce sujet était « trop orienté religion pour eux ». Et d’autres enfin, comme la revue 6 Mois, ont fait le choix de le publier précisément pour ce qu’il était à mes yeux depuis le départ. C’est-à-dire une histoire assez originale qui parlait universellement d’espoir et, oui, de liberté retrouvée. À un moment donné, je crois que l’étiquette religieuse importe peu, ou plus. C’était l’avantage de cette histoire de vierges en camion.


L’absurdité de cette aventure, au moins dans son énoncé – car elle ne l’est pas du tout en somme – a joué dans ce sens. Sans trop savoir où cela me mènerait, c’est effectivement bel et bien cette portée de symbole de liberté que j’avais en tête au moment de partir. Cela couplé à l’idée que, théoriquement, le voyage de ces statues prenait à rebours la route qu’empruntaient quant à eux des milliers de rescapés de ces guerres d’Irak et de Syrie pour venir en Europe.
Ensuite, les choses se sont faites d’elles mêmes. J’ai compris que pour les chrétiens d’Irak, il n’était pas seulement question de reconstruction mais de résurrection et que donc tout cela était très symbolique. Si cela avait été d’accompagner un transport de statues Yézidis pour aider ces derniers à reconstruire leurs temples également détruits par Daesh, l’histoire aurait été à peu près la même. A ceci près que l’inconscient collectif occidental a une connaissance nettement plus précise des symboles religieux chrétiens. À quoi j’ajouterai simplement qu’il est tout de même dit ou écrit quelque part que la Vierge Marie est la reine de la paix.

 

« Beaucoup de spécialistes s’évertuent – voire se fatiguent – à le répéter : l’Islam peut et doit être considérée comme une religion de paix. »

Dans votre reportage, on peut aussi voir l’opposition entre cette organisation qu’est DAECH prônant une religion de haine, et un Islam tolérant qui cohabite avec la chrétienté. Vous dites d’ailleurs que dans l’Islam, « on respecte théoriquement la figure de Marie, mère de Jésus, lui même perçu comme un prophète ». Comment avez-vous vécu cette cohabitation in situ, une fois le territoire libéré de l’Etat Islamique ?
Oui, tout cela est très vrai. Beaucoup d’articles ont été écrits dans ce sens, rappelant les valeurs d’un certain Islam qui ressemble bien peu à celui envisagé par l’Etat Islamique. Beaucoup de spécialistes s’évertuent – voire se fatiguent – à le répéter : l’Islam peut et doit être considérée comme une religion de paix. Quant à la cohabitation entre chrétiens et musulmans, elle dure depuis plus de 1400 ans tout de même puisque les chrétiens étaient présents en Irak et dans toute la plaine de Ninive – qui correspond peu ou prou à cette région que l’on désignait dans l’antiquité comme la Mésopotamie. Cette cohabitation a connu de nombreux déboires, en particulier après l’invasion de l’Irak par les américains en 2003 – où les chrétiens ont été assimilés à des collaborateurs de ces derniers. Mais on sait par ailleurs que beaucoup de chrétiens, à Mossoul ou ailleurs, ont bénéficié de la protection de leurs voisins musulmans au moment de l’arrivée de Daesh en 2014. Et si certains chrétiens répètent à l’envie qu’ils ont été trahis par « leurs frères musulmans » (sic), et qu’ils ne pourront plus jamais leur faire confiance, on sait qu’à l’inverse un grand nombre de musulmans d’Irak ont parfaitement conscience de ce que les chrétiens forment une minorité indispensable à la reconstruction de la paix dans ce pays. C’est d’ailleurs une position on ne saurait plus affirmée du premier ministre irakien Haïder al-Abadi, qui est en lien très régulier avec Monseigneur Louis Raphael Sako, l’une des grandes figures représentative des chrétiens d’Irak et un grand promoteur de la paix dans ce pays.

 

« Instagram permet d’exister, d’être présent, d’occuper l’espace d’une certaine manière et donc de montrer ce dont on est capable, mais ça ne rapporte pas un kopeck. »

Vous avez décidé de publier vos photos sur le réseau social Instagram. Quel est, aujourd’hui, l’intérêt de diffuser votre travail de photojournaliste sur ce réseau social ? Pourquoi ce choix très spécifique ?
Sur Instagram, j’ai surtout été tenté par une expérience de narration : celle de pouvoir feuilletonner le temps d’une semaine à partir d’une histoire dont les différentes étapes étaient assez bien définies pour permettre précisément ce format. J’ai eu l’idée de ce format en me passionnant tout l’été pour le feuilleton en BD « Été_Arte » (lire notre article ici) qui a connu le succès que l’on sait sur Instagram tout au long de l’été 2017. J’ai ainsi voulu tester la capacité d’une histoire à se raconter en images, jour après jour, avec très peu de textes et un peu de cartographie mais ce « minimum syndical » qui relève à la fois de la politesse et d’un zeste de professionnalisme tout de même.
Je crois que l’expérience a été assez concluante au vue des commentaires postés en dessous de ces images. En tout cas pour le petit « instagrammeur » que je suis. Je veux dire par là que si je « consomme » beaucoup de contenus, je montre assez peu de mon travail sur ce réseau et j’y compte donc assez peu de « followers ». Enfin l’idée était aussi, après avoir vu cette histoire publiée dans beaucoup de magazines papiers, de lui donner une vie numérique un peu originale et donc de toucher un autre public.
Je ne suis pas du tout certain que cela ait été la meilleure formule mais, dans un temps où j’étais très accaparé par différents projets, je dois dire aussi que j’ai probablement fait cela pour me débarrasser de ce qui me semble bien être devenu une sorte de « passage obligé de la diffusion sur Instagram. Ce qui est sûr en même temps c’est que ce réseau permet d’exister, d’être présent, d’occuper l’espace d’une certaine manière et donc de montrer ce dont on est capable. Je ne crois pas qu’Instagram puisse suffire en tant que vitrine du travail d’un photoreporter c’est-à-dire remplacer un site personnel mais c’est un début, en tout cas c’est une autre porte d’entrée. Quant à savoir si c’est indispensable, je ne me risquerais certainement pas à être catégorique sur ce point. Je suis très attentif aux usages, j’aime y coller pour ma part et c’est aussi ce que j’ai essayé de faire en postant mon histoire sur ce réseau et en le faisant de cette manière, partant du principe que le « swip », c’est-à-dire l’action de balayer son écran de la droite vers la gauche pour passer au visuel suivant, était l’une des tendances du moment – mais je sais aussi qu’il existe une quantité invraisemblable de photographes qui ne sont pas sur Instagram ou qui se contentent d’y poster des images de leur chat ou de leur bol de céréales du petit déjeuner (avec un certain talent, c’est vrai) et qui s’en portent très bien.

Vous avez été fondateur du magazine consacré au photojournalisme « Epic-stories » dont la parution s’est arrêtée en mars 2017. Comment voyez-vous l’avenir du photojournalisme aujourd’hui ? Passe-t-il forcément par les réseaux sociaux ?
C’est amusant que vous évoquiez EPIC-stories. La décision d’arrêter cette publication a été très pénible pour moi. Et quelque part, je crois que si je me suis embarqué dans cette histoire de statues, c’était aussi pour combler le vide que je savais qu’EPIC allait laisser dans mon quotidien. Je n’ai pas grand chose à dire à part cela de l’avenir du photojournalisme. En ce qui me concerne, il s’écrit avec des histoires comme celle-ci, dans un genre un peu épique donc ! mais assez sereinement. Quant à savoir s’il passe par les réseaux sociaux, je ne le crois pas. En tout cas pas à l’heure actuelle. Nous avons un recul d’à peu près une dizaine d’années désormais sur les réseaux sociaux et des milliers de médias se sont penchés sur la question du modèle économique lié aux « nouveaux » (plus si nouveaux donc) modes de diffusion qu’ils représentent. Je crois que la réponse est malheureusement très simple, à part dans certains cas très marginaux, ils ne rapportent pas un kopeck. Ils sont de bons outils de promotion et de valorisation d’un travail et en ce sens il faut évidemment savoir les utiliser à bon escient, mais ils ne rapportent rien directement.
Pour rappel, j’ai commencé à diffuser ce sujet des vierges de Lourdes une fois seulement après qu’il a été publié dans un certain nombre de magazines papiers. Jusqu’à preuve du contraire, ce sont encore ces derniers qui paient… Peut-être que si Mark Zuckerberg décidait de financer des photoreportages afin qu’ils soient publiés sur Facebook ou sur Instagram, les choses seraient différentes mais pour le moment je ne crois pas que ce modèle-là existe. Il reste donc probablement à inventer !

 

Convoi exceptionnel : Histoire des 15 statues de Lourdes parties en Irak en camion
Photoreportage de Jean-Matthieu Gautier
A voir sur Instagram et sur le site internet de l’auteur : https://www.instagram.com/jm_gautier/

http://jeanmatthieugautier.fr/convoi-exceptionnel/

( Crédit Photo de Jean-Matthieu Gautier – Corentin Fohlen )

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