Soldé à 70 % un soir de nocturne. Elle vient de quitter un mari alcoolique et violent : le divan va devenir son refuge, le symbole de sa nouvelle vie, le témoin de son quotidien aussi. Sans doute parce qu’elle n’a ni nom ni prénom, parce que l’écriture va à l’essentiel, on s’identifie facilement à cette mère qui élève seule ses enfants, à cette femme submergée par des chagrins venus de loin, à cette sentimentale qui renaît dans les bras d’un amant et retrouve de l’énergie auprès de ses amies, à travers son travail. En pleine actualité, alors que tant de femmes dénoncent les violences qu’elles subissent, ce court roman en dit long sur la difficulté de se reconstruire. Sensible, enlevé, plein d’espoir, il pourrait s’apparenter à un huis clos théâtral.
Après avoir travaillé pour de grands groupes de médias tels que RTL et Radio France, Catherine BRIAT est aujourd’hui diplomate. Précédemment en poste à Ottawa, elle est actuellement conseillère culturelle à l’Ambassade de France à Berlin et Directrice de l’Institut français d’Allemagne.
Que s’est-il passé dans la vie de la narratrice lorsqu’elle s’installe avec ses deux enfants dans un petit appartement rive gauche ? Une vie de couple avec un mari alcoolique qui l’a brisée ?
La narratrice a pris la fuite de son domicile conjugal, pour sauver sa vie et celle de ses enfants. Elle a tout laissé derrière elle, et n’a plus rien mais elle est vivante. Elle fuit un mari violent et alcoolique, quand le verre de trop déclenche le geste qui peut devenir irrémédiable, quand le verre de trop enferme dans une paranoïa et que la vie devient un enfer.
Quel métier exerce-t-elle ?
Son métier importe peu. Tout est anonyme dans ce roman. Les personnages n’ont pas de nom, les lieux non plus. Elle a un travail qui l’oblige à se déplacer souvent, on va dire qu’elle est cadre dans une entreprise.
Qu’est ce qui l’a séduite dans ce canapé acheté en soldes ?
Sa couleur, le rouge l’a attirée comme un aimant, comme si elle avait envie de remettre de la couleur dans sa vie, sa forme, un canapé bas, adapté à son petit appartement et enfin son prix qui va la décider à l’achat
Que représente-t-il ? Contre quoi ou qui est-il « la dernière forteresse » ?
Ce divan est un commencement. Il est le premier meuble de la nouvelle maison, le premier meuble du reste de sa vie comme c’est écrit sur la couverture du roman. Il est le refuge de la maisonnée, celui qui rassemble les personnages du roman, il est aussi celui qui recueille les pleurs et les joies, le témoin des nuits blanches et des moments de solitude comme ceux des retrouvailles. Il est le témoin de la vie de cette famille qui se reconstruit.
N’est-elle pas un peu maniaque ?
Peut-être, en effet. La narratrice a besoin d’ordre pour se stabiliser. Elle a aussi besoin que les choses matérielles soient en ordre pour y voir clair. Après le chaos de la vie conjugale, l’ordre est une nécessité pour elle.
Quelle est la cause de ses sanglots ? Sa solitude ?
La narratrice est plongée dans un chagrin profond, celui de toute une vie. Il y a la rupture, l’échec du mariage, mais plus profondément, ce sont des sanglots qui remontent à l’enfance, toutes les blessures qui resurgissent enfin. Comme pour mieux préparer une résurrection.
Vous parlez de la violence de l’ex-mari de la narratrice ? Aujourd’hui, la narratrice aurait-elle réagi autrement, porté plainte ?
Elle l’a peut-être fait mais l’histoire ne le dit pas. La plainte est une pièce au dossier, mais ne protège pas forcément d’un geste de trop, qui peut être fatal et qui intervient dans un quotidien. Cette violence dont il est question dans le roman est une violence ordinaire, banale dans la vie conjugale, celle qui, un jour, peut faire basculer les vies.
Que pensez-vous du mouvement « balance ton porc » ?
Il s’est passé un moment que l’on pourrait qualifier d’historique en octobre dernier avec la publication dans le NY Times d’un article qui accusait le producteur américain Harvey Weinstein avec témoignages à l’appui de harcèlements et ensuite dans le New Yorker la publication d’une longue enquête qui parle de viols et d’agressions sexuelles à propos de celui qui faisait la pluie et le beau temps à Hollywood. C’est un moment historique car, depuis des centaines de milliers de femmes ont pris la parole. Et désormais cette parole est libérée. Elle est entendue et même écoutée, ce qui constitue un progrès considérable dans l’histoire des femmes. Après il faut faire la part des choses, ne pas faire l’amalgame de tout, mettre le curseur au juste niveau en fonction des situations et ne pas mettre sur le même pied le viol, les agressions sexuelles et la drague. Le mouvement d’émancipation a franchi une étape importante, et comme dans tout mouvement il me semble qu’il est juste de distinguer l’aspect politique qui aborde une perspective collective et l’aspect individuel qui aborde la diversité du réel.
Après l’affaire Weinstein, il faut faire la part des choses, ne pas faire l’amalgame de tout, mettre le curseur au juste niveau en fonction des situations et ne pas mettre sur le même pied le viol, les agressions sexuelles et la drague
Croyez-vous qu’on puisse devenir amis quand on a divorcé ?
Là aussi nous sommes dans la diversité du réel, dans certains cas oui, dans certains cas non
Qui est cet amant si furtif ? Quel est son métier ? Est-il marié ?
Cet amant est furtif car il ne peut en être autrement ; la narratrice n’est pas prête pour une nouvelle histoire, elle avait juste besoin d’être rassurée sur sa féminité, de se sentir à nouveau désirée, car on a besoin du regard de l’autre pour se sentir vivant. Par conséquent qui est cet amant, ce qu’il fait, sa vie n’ont pas d’importance. Il apparaît en tant qu’amant, et c’est tout.
Pourquoi si peu de tendresse entre eux ?
Parce que ce sont deux êtres qui s’attirent avec la force de la pulsion et du désir, et rien d’autre.
Une nuit de folie et il disparaît : comment se fait-il que la narratrice ne cherche pas à le revoir ?
Elle et lui savent depuis le départ que ce sera l’histoire d’une nuit, de quelques heures volées dans un agenda où aucune case n’est encore disponible pour une vraie rencontre, pour une nouvelle histoire. La narratrice se reconstruit et a besoin de toutes ses propres forces. Elle ne peut pas prendre le risque de se laisser dérouter, dévier par une histoire d’amour qui pourrait la fragiliser, en tout cas c’est ainsi qu’elle se perçoit.
Pourriez-vous nous parler de votre travail à Berlin où vous faites rayonner la culture française ?
En effet je suis actuellement en poste à l’Ambassade de France à Berlin Conseillère culturelle et Directrice de l’Institut français d’Allemagne et, à ce titre, j’ai la responsabilité des domaines de la culture, de la langue française et de la coopération éducative (de la maternelle à l’université). Notre travail est d’une part un travail politique, en coopération avec nos partenaires allemands au niveau bilatéral entre les deux pays mais aussi au niveau européen, compte-tenu de ce que représente le moteur franco-allemand en Europe et a fortiori dans les domaines dont j’ai la responsabilité (enjeux des industries culturelles, droit d’auteur, création européenne, réglementation, fiscalité des plateformes, universités…) et d’autre part un travail de diffusion, d’aider par exemple la jeune création française à se faire connaître en Allemagne (notamment dans le domaine de la danse, du cirque, de la musique, le cinéma, la nouvelle génération des écrivains aussi..) et accompagner nos artistes dans les grands événements et festivals. Et puis nous travaillons à la promotion de la langue française et de son enseignement dans les établissements en Allemagne. Les Instituts français sont aussi des centres de cours de français, qui aujourd’hui connaissent un fort développement. Enfin, nous travaillons étroitement avec nos partenaires allemands sur les sujets de coopération éducative et universitaire, pour faciliter la mobilité et les échanges entre les deux pays, renforcer les partenariats, harmoniser les systèmes. Les domaines sont très vastes, et les enjeux essentiels si nous voulons contribuer à ce que les nouvelles générations se sentent profondément attachées à l’Europe, à ses valeurs et sa culture.
Quels sont vos romans préférés d’auteurs morts ou vivants ?
J’ai un auteur, un inconditionnel, vous savez comme l’amour inconditionnel, c’est à dire qu’on aime tout de lui : Camus. Mon livre de chevet en ce moment, dont je lis des passages tous les soirs, c’est cette magnifique correspondance entre Camus et Maria Casarés.
Après, pour poursuivre avec les auteurs morts, je citerai Marguerite Duras, je suis très sensible à la musique de son écriture. Et puis il y a la littérature nord-américaine : Jim Harrison qui nous a quittés il y a peu ; Russel Banks et tant d’autres. Et si je dois prendre l’avion, pour un long courrier, ma recette pour oublier les heures qui s’étirent est d’avoir avec moi le dernier Joel Dicker ou le dernier tome de la saga d’Elena Ferrante.
Que pensez-vous du milieu littéraire, des critiques littéraires ?
Je pense que le milieu littéraire n’échappe pas à la règle des grandes familles, avec ses codes, ses joies et ses trahisons, ses solidarités. Et comme les autres milieux artistiques, l’affectif prend une place importante. Ce qui le rend aussi particulièrement attachant.
Catherine Briat « Le divan rouge » (Editions Héloïse d’Ormesson)
( Crédit Photo – Catherine Briat / Philippe Matsas – Editions HO )