Eudes Semeria ( Photo D.R )

Eudes Semeria : “Le harcèlement fusionnel est un positionnement face à la dureté de la vie »

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Et si les harceleurs n’étaient pas en position de force et ne voulaient pas détruire leurs victimes ? Cela peut paraître surprenant mais avec le harcèlement fusionnel le “faible” réussit à user psychologiquement le “fort”. Des personnes qui vivent leur vie et prennent des décisions qu’au travers des autres. Avec le livre “Le Harcèlement fusionnel” (Et. Albin Michel), Eudes Semeria, psychologue clinicien et psychothérapeute, essaie de nous ouvrir les yeux et nous donner les outils pour reconnaître et gérer des dépendants affectifs.

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Comment définiriez-vous cette forme méconnue de harcèlement ?
Le harcèlement fusionnel est une situation dans laquelle on se retrouve quand on a un proche dans un état de dépendance affective. Une personne qui harcèle en continuant à demander de l’aide, par exemple du soutien financier ou psychologique. L’exemple typique est celui de la mère possessive qui appelle son enfant, même quand il est adulte, en lui demandant perpétuellement de lui rendre compte de sa vie. Ou encore, le cas du conjoint jaloux, qui a tendance à mal supporter quand son partenaire s’éloigne. Mais on peut aussi retrouver ce type de harcèlement chez un fils adulte, qui n’arrive pas à quitter la maison de ses parents. Toutes ces typologies de personnes ont en commun la capacité à s’effondrer quand leur “aidant” n’est pas là.

Vous avez décrit des cas extrêmes. Existe-t-il des situations moins aiguës ?
En effet, il n’y a pas que des cas extrêmes. D’abord, il ne faut pas oublier que chacun de nous a une part de dépendance à l’autre… Cela fait de nous des êtres humains. Ce qui varie, c’est l’intensité de cette dépendance.

Avez-vous des exemples ?
Il y a des personnes qui sont très bien insérées dans la société mais qui sont effectivement dépendantes. Un exemple type de dépendance quotidienne très répandu est celui des individus incapables de prendre des décisions sans demander l’avis de quelqu’un.

Dans votre livre, vous parlez aussi des personnes qui sont dans la “transparence”. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Une fois de plus, ce sont des personnes bien insérées mais avec l’exigence de contrôler leurs proches. Quand ils appellent, il faut leur répondre immédiatement. Cela finit par créer des soucis de tensions.

Si on se rend compte d’être dans un état de dépendance affective et on apprend à le maîtriser, cela peut nous dire quelque chose aussi de nos relations aux autres ?
Si on arrive à reconnaître chez soi une dépendance affective au-delà de la norme, cette prise de conscience peut aider à évoluer. Par exemple, j’ai eu des cas de personnes qui se sont découvertes très dépendantes et, en travaillant avec elles, ont détecté un problème d’estime de soi, qui s’est lentement résolu.

Croyez-vous que la dépendance affective ait été favorisée aussi par une certaine attitude de la société ?
C’est une considération dans le domaine de la sociologie plutôt que de la psychologie. Mais je trouve que la société a tout intérêt à nous rendre dépendants à la consommation, par exemple. Toute industrie qui vend des produits souhaite que nous en consommons. En même temps, paradoxalement, il y a une espèce d’injonction sociale qui nous pousse à être indépendants. Par exemple, la société nous dit : “entreprenez !”, “devenez héros dans votre domaine”, mais ce sont des responsabilités très lourdes à porter tout seuls. Pour cette raison, on peut ressentir le besoin de se protéger ou de trouver un refuge auprès de quelqu’un.

« La société a tout intérêt à nous rendre dépendants à la consommation »

Quelles sont les causes et les facteurs qui représentent le début de la dépendance affective ?
En réalité, on ne le sait pas encore très bien. Dans les manuels de psychologie, on fait référence à des traumatismes, comme une séparation : dans l’enfance, le fait d’aller à la crèche, par exemple. Mais ça peut être aussi un deuil dans la famille, une maltraitance. Il faut dire qu’il y a certains types de maltraitance qui favorisent le manque d’estime en soi ou la dépendance affective. Par exemple, il y a des parents qui disent sans arrêt à leurs enfants “tu es bon à rien”. Cela peut détruire la confiance en soi, donner l’impression que nous sommes impuissants face à la vie et, donc, qu’il faut s’en remettre à quelqu’un d’autre. Personnellement je pense qu’il n’y a pas de vrai choix conscient. C’est plutôt un positionnement face à la vie. C’est-à-dire qu’implicitement on remarque que quand on se met “derrière” quelqu’un et que donc on se fait protéger par quelqu’un, ça va un peu mieux.

Mais alors, le harcèlement fusionnel, ne serait-il pas un comportement évolutif ? Une sorte de choix de survie ?
Je dirais plutôt qu’il s’agit d’un comportement défensif parce qu’on choisit de faire certaines choses pour se défendre. On choisit de “s’accrocher” à quelqu’un pour se sentir en sécurité, mais en faisant ainsi on compromet complètement sa vie.

Comment le dépendant affectif réussit à manipuler son aidant ?
On remarque souvent une manipulation “enfantine”, un peu naïve. On a des personnes qui font souvent des compliments, elles mettent en place une sorte de jeu de séduction, avec beaucoup de mensonges. On peut avoir aussi des crises de nerfs et des conflits. Parce qu’en effet, il n’y a rien qui soude plus fortement les gens que le conflit. Si on prend l’exemple de certaines familles, on voit que le conflit est le ciment qui tient tous les membres unis. En effet, on se sent unis par la loyauté familiale et donc on ne peut pas abandonner la famille. Au final, on accepte des conflits. C’est pour ça aussi que chez les jaloux, il y a une situation de conflit permanent.

Mais la jalousie n’est pas un “pendant” de l’amour ?
Absolument pas, la jalousie n’a rien à voir avec l’amour. Il est toujours une question de vie et de mort parce que si l’objet de la jalousie s’en va, le jaloux ne peux plus vivre. C’est pour ça que quand le partenaire d’une personne jalouse, parle avec quelqu’un d’autre, où s’éloigne légèrement du conjoint, celui-ci se sent en danger de mort. D’ailleurs on peut arriver à des cas très graves, de suicide fusionnel, ou la personne jalouse pense qu’il faut “partir tous ensemble”. Ce n’est pas une vengeance.

  « Il n’y a rien qui soude plus fortement les gens que le conflit. Si on prend l’exemple de certaines familles, on voit que le conflit est le ciment qui tient tous les membres unis. »

Parmi les dépendants affectifs on en trouve beaucoup qui menacent de se suicider ?
Souvent on entend proférer cette menace. Mais dans les “suicides fusionnels”, comme on les appelle, la personne qui menace de mettre fin à sa vie, ne passe pas à l’acte quand elle porte la responsabilité de cet acte.

Donc rappeler au dépendant affectif sa responsabilité peut être utile ?
Dans le cas de menace de suicide, quand on dit au dépendant affectif que son éventuelle mort ne dépend que de lui, on provoque une sorte d’électrochoc. En effet, en mettant cette personne face à ses responsabilités, on lui empêche de rejeter sur quelqu’un d’autre les causes de sa situation. Il comprend que le suicide signifie réellement mourir.

Quels sont les chiffres de la dépendance affective ? Existent-il des statistiques ?
Dans la situation de harcèlement fusionnel, il est important de dire qu’il y a, à la fois, l’aidant et le dépendant affectif. Tous les deux participent à ce “jeu”. Il y a de la dépendance des deux côtés. On porte ensemble cette situation. Donc on ne peut pas dire qu’il y ait d’un côté un harceleur et de l’autre côté une victime. Cela est un élément très important. Pensons, par exemple, à des parents qui demandent à leurs enfants de venir déjeuner chez eux tous les dimanches. On voit clairement que ce sont eux qui portent cette situation de harcèlement fusionnel. En même temps les enfants y trouvent leur compte, parce que les parents peuvent, par exemple, donner aux enfants de l’argent, ou les dépanner avec les petits-enfants. En un mot : ils leur offrent de la sécurité.

Peut-on retrouver le harcèlement fusionnel aussi dans le milieu professionnel ?
Oui c’est très fréquent, il y a beaucoup de cas de harcèlement fusionnel au travail. Simplement, pour que ce soit le cas, il faut un lien très fort. Un lien capable de recréer une espèce de loyauté familiale. Par exemple, j’ai eu des patients qui me disaient qu’ils se sentaient obligés d’interrompre sans arrêt leur travail, pour aider des collègues qui affirmaient se sentir incapables de s’en sortir. Il y a aussi des personnes qui vont se mettre sous l’aile du patron ou du supérieur hiérarchique. Encore une fois parce qu’en faisant ainsi on se sent protégé.

 

“Le Harcèlement fusionnel” d’Eudes Semeria
Éditions Albin Michel
20,90 Euros

( Copyright D.R )

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