MATTHIEU RICARD

Matthieu Ricard : « Je ne suis pas un écrivain et n’éprouve aucun besoin d’écrire »

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Par Sophie Sendra – Matthieu Ricard s’exprime peu et voyage beaucoup. Cette interview épistolaire est à la fois rare et exclusive.

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Moine bouddhiste et photographe averti depuis des décennies, traducteur du Dalaï-Lama, il rend hommage à tous ceux qui ont inspirés ses pensées, à ses maîtres spirituels, à cette humanité qui se traduit par des sourires éblouissants. Dans son ouvrage « Un demi-siècle dans l’Himalaya » qui paraît le 5 octobre aux Editions de La Martinière, Matthieu Ricard nous dévoile son monde méditatif, sa paix intérieure. Il nous invite à découvrir toutes les beautés de ces neiges éternelles au travers d’une interview épistolaire menée avec notre journaliste Sophie Sendra en exclusivité pour le BSC NEWS dont vous pouvez lire des extraits ici. L’intégralité de l’interview de Matthieu Ricard sera publiée dans le BSC NEWS Magazine (N°105 – Octobre 2017) du 18 octobre.

Le 19 juillet 2017
Cher Matthieu Ricard,
En lisant votre ouvrage, Un demi-siècle dans l’Himalaya (aux Editions de la Martinière, qui sort le 05 octobre 2017), un premier sentiment se dégage. Une forme de « mise entre parenthèse » du moment présent se fait jour.
Vous faites le portrait de vos grands Maitres, de ceux qui ont inspirés votre vie spirituelle, votre ouvrage donne l’impression d’un album de Famille, celle-là même que vous avez construite au fil de votre vie dans cet Himalaya depuis 50 ans. Pourquoi ? S’agit-il d’un hommage, d’un besoin pour vous de refaire le « chemin » depuis 1967 puis 1972, date à laquelle vous vous êtes installé définitivement dans cet « espace » où le « temps » semble absent mais la « durée » si présente ?
En attendant la vôtre avec impatience,
Très cordialement,
Sophie

Le 21 juillet 2017
Chère Sophie Sendra,
Du point de vue du pratiquant bouddhiste, il s’agit essentiellement de percevoir la nature fondamentale de l’esprit, derrière le rideau des pensées discursives, des espoirs et des craintes, et de se reposer dans cette nature.
« J’aurais adoré, mais il faut se méfier de ce que l’on désire cela pourrait arriver » dites-vous. Effectivement, si vous souhaitez plus que tout devenir immensément riche, célèbre ou puissant, vous y arriverez peut-être, mais à quoi bon. Donald Trump a fini par obtenir ce qu’il souhaitait. Il faut donc examiner attentivement la teneur de nos aspirations et faire preuve de discernement pour démasquer les leurres qui ne feront que perpétrer nos souffrances et celles d’autrui, et pour identifier les moyens de progresser vers la connaissance, l’éveil et l’altruisme inconditionnel.
Mon livre est bien une offrande à ceux qui poseront leurs yeux sur ces photographies, en forme d’hommage aux grands maîtres spirituels que j’ai eu la grande fortune de rencontrer, un hommage à ce qu’il y a de meilleur dans la nature humaine, et un hommage à l’extraordinaire beauté de l’Himalaya. En vivant cinquante ans auprès de ces maîtres, j’ai été le témoin de leurs qualités exceptionnelles. Et j’ai également découvert la vie quotidienne des populations himalayennes, l’intimité des monastères, l’immensité des hauts plateaux tibétains, la magnificence des montagnes népalaises et la sérénité des vallées bhoutanaises.
Il ne s’agit donc nullement d’un quelconque besoin de refaire ce chemin et, surtout pas, de me raconter (comment j’ai appris à faire du vélo… vous imaginez l’ennui), mais simplement de mettre à disposition d’autrui ce qui, dans ce dont j’ai été témoin, peut être partagé par l’image et communiqué par la narration.
En vérité, je ne suis pas un écrivain et n’éprouve aucun besoin d’écrire. Je souhaite simplement partager des idées qui m’ont été éminemment chères et utiles et qui pourraient rendre service aux autres et à la société, la sagesse et l’amour altruiste en particulier.
Très cordialement,
Matthieu

Le 04 septembre 2017
Cher Matthieu Ricard,
Vous parlez également du Bhoutan. Ce pays est peu connu du grand public. Il a été mis en lumière lorsqu’il y a quelques années l’occident découvrait le Bonheur National Brut remplaçant le PNB. Cette notion atypique était pourtant présente depuis les années 70 dans ce pays. Dernièrement, le Bhoutan a mis en place un enseignement de l’écologie dans les écoles, celui du respect de la nature autant que celui de toute vie. Le Bhoutan a été pour vous une terre d’accueil dont vous saluez la générosité. Aimeriez-vous que sur certains points les pays occidentaux s’inspirent de ce qui est mis en place dans ce pays en matière d’enseignement ?
En attendant de partager avec vous,
Cordialement,
Sophie

Le 04 septembre 2017
Chère Sophie Sendra,
L’approche du Bonheur National Brut (BNB) proposée par le Bhoutan semble particulièrement prometteuse parce qu’elle s’accompagne d’une vision à long terme. Elle suscite de ce fait l’intérêt d’un nombre croissant d’économistes, de sociologues et d’hommes politiques. À la différence des indices cités précédemment, le BNB s’intéresse de près au bonheur subjectif et a affiné les moyens de l’évaluer, mais il intègre aussi des indicateurs de richesse sociale (bénévolat, coopération, etc.) et de richesse naturelle (valeur du patrimoine naturel intact) en complément à la prospérité économique qui cesse d’être l’unique priorité. La mesure du Produit National Brut quant à elle ne fait aucune distinction entre l’augmentation du volume des biens et des services quand elle s’accompagne d’un plus grand bien-être et la même augmentation lorsqu’elle se fait au détriment de ce bien-être.
Même dans le monde économique, le respect des valeurs humaines incarnées dans l’altruisme n’est pas un rêve idéaliste mais l’expression pragmatique de la meilleure façon d’arriver à une économie équitable et à une « harmonie durable », concept que j’ai proposé dans Plaidoyer pour l’altruisme. Le terme « développement durable » est en effet trop ambigu, puisqu’il évoque dans bien des esprits une croissance quantitative, laquelle ne peut être durable du simple fait qu’elle requière l’utilisation toujours plus grande d’un écosystème fini. Nous ne disposons pas de 3 ou 5 planètes.
Très cordialement,
Matthieu

Le 08 septembre 2017
Cher Matthieu,
On ne peut que constater au fil des années qu’il existe en occident, un attrait particulier pour le Bouddhisme. Il est possible de penser que c’est grâce – ou à cause – de son « statut » particulier que cette spiritualité, cette religion, attire autant. Bien que théologiquement monothéiste, le bouddhisme est également une philosophie. Elle peut se vivre de deux façons différentes, soit religieusement avec ses rites, ses croyances, sa cosmologie, soit uniquement de façon philosophique – proche du stoïcisme ou d’une philosophie existentielle. C’est peut-être parce qu’elle n’impose rien qu’elle séduit autant, sinon plus que d’autres religions plus orthodoxes. Elle propose aux Etres de choisir librement leur bonheur sans attendre un ailleurs – loin d’un ici-bas – ni l’espérer de quelqu’un d’autre. Le bouddhisme est-ce le choix d’une transcendance plutôt que d’une immanence ?
Amitiés,
Sophie

Le 08 septembre 2017
Chère Sophie,
C’est une question dont nous avons débattu avec mon père dans Le moine et le philosophe, mais le bouddhisme n’est pas vraiment une religion et certainement pas une religion théiste, puisque toute forme d’entité créatrice, d’un dieu créateur à un principe suprême comme l’Atman de l’hindouisme, a été abondamment réfutée par le bouddhisme. C’est donc un chemin de transformation de la souffrance à la liberté, de l’ignorance à la connaissance. Ce chemin est basé sur une juste compréhension des phénomènes — interdépendant, impermanent et dénué d’existence solide — et de la nature de la conscience, et sur les lois de cause à effet. Mes collègues et moi-même ont abondamment écrit sur ces sujets.

Très cordialement,
Matthieu

Matthieu Ricard « Un demi-siècle dans l’Himalaya » – Parution le 5 octobre aux Editions de La Martinière

> Le site officiel de Matthieu Ricard

(@Jim-Brandeburg Crédit Photo )

L’interview de Matthieu Ricard sera à lire en intégralité dans le BSC NEWS MAGAZINE à paraitre le 15 octobre. Pour le recevoir, cliquez ici

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