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Robin Renucci : la passion des mots

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Par Nicolas Vidal – Robin Renucci nous semblait la personne idéale pour nous parler de culture et de théâtre cet été. Acteur, comédien, metteur en scène et directeur des Tréteaux de France, Robin Renucci est très engagé dans l’initation du verbe et des mots qu’il considère comme l’un des fondements de l’humain. Une rencontre passionnante qui pousse la réflexion au-delà des mots pour laisser la place à un engagement personnel total.

propos recueillis par

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Robin Renucci, vous semblez nourrir une confiance inébranlable dans le théâtre et dans la langue. Pouvez-vous nous dire en ce sens comment le théâtre doit toucher le spectateur ? Plus précisément, entre le spectateur déjà familiarisé au théâtre et celui qui ne l’est pas du tout…

Il faut élargir le cercle des initiés et des connaisseurs du théâtre sinon il y aura de l’injustice et de l’inégalité. Il y a plusieurs moyens pour cela. D’abord depuis l’enfance grâce à l’éducation artistique et culturelle afin que chacun puisse rencontrer cette dimension-là de lui et atteindre la capacité d’exprimer ce qu’il est. La langue intervient à cet endroit-là. C’est comme cela que l’on élargit les frontières du monde au moyen du champ langagier. Car il y a encore une grande injustice aujourd’hui entre ceux qui ont les mots et ceux qui ne les ont pas.

Vous évoquez souvent la langue, le texte ainsi que l’émancipation culturelle. Est-ce le but des ateliers de pratiques théâtrales que vous organisez ? Est-ce que cela contribue au prolongement de « cette éducation citoyenne par l’art » ?

La langue est un outil formidable de l’expression de soi mais également pour cette capacité à s’affirmer dans une société et dans une cité pour prendre la parole comme l’un des piliers de la démocratie. C’est également la faculté de dire ce que l’on pense autant que cette faculté d’abolir les conflits. Nous sommes donc dans une démarche citoyenne qui fait que nous ne sommes pas dans un esprit guerrier. C’est donc un état d’émancipation qui permet de s’élever au-delà de la condition d’aliénation. Dans les faits, certains sont maintenus dans l’ignorance. Si on maintient les gens dans l’ignorance, on peut davantage les téléguider et laisser la place aux dogmatismes. Cela peut se faire d’une manière violente mais également d’une façon plus pernicieuse comme peut le faire le marketing ou la publicité sans que l’on s’en aperçoive et parfois même avec le consentement des intéressés. Créer l’émancipation est la question récurrente de toute les époques.

Pour votre second mandat à la tête des Tréteaux de France, quel regard portez-vous depuis votre intronisation sur le travail accompli ?

Je n’ai pas voulu que l’on considère que nous étions une compagnie parisienne qui irait irriguer le territoire national vers la province. C’est une image très ancienne depuis les années 60 de politique culturelle. En province, comme on l’appelle, ce sont des gens qui ont beaucoup choses à faire et à dire. Ils démontrent par leur démarche associative un engagement fort dans l’éducation populaire et générale. Mon travail est de m’associer à ses réseaux en n’apportant pas seulement des spectacles mais de faire avec eux des chantiers sur le théâtre. Au lieu d’apporter la culture aux gens, c’est de faire culture avec celles et ceux qui sont sur le territoire. C’était le thème de ce premier mandat et je pense que nous avons réussi en ce sens. Nous étions pendant un mois au Théâtre de l’Epée de Bois avec les franciliens pour leur montrer notre travail engagé sur le territoire national (La Grande Escale s’est déroulée du 26 mai au 2 juillet 2016).
De plus, j’ai travaillé sur deux thèmes. D’une part, l’emprise des cerveaux et d’autre part la production de la richesse, l’argent et le travail. Car nous souhaitions réfléchir ensemble sur l’avenir du travail.

« C’est le travail des Tréteaux de France que d’élargir les publics dans une mission citoyenne »

Selon vous, quel est le rôle crucial que jouent les Tréteaux de France dans la création théâtrale en France ? Est-ce cette mission de porter le théâtre là où il n’est pas encore ?

C’est effectivement cette mission initiale d’aller à la rencontre de tous ceux qui sont éloignés d’une part géographiquement mais aussi de façon psychologique. Il y a des écrans entre les gens, des difficultés pour se rencontrer ou encore la présence de murs. Il n’y a peu ou plus ce désir de se rencontrer. C’est cela qui empêche l’élargissement du cercle des initiés. C’est le travail des Tréteaux de France que d’élargir les publics dans une mission citoyenne grâce à un théâtre qui donne de la joie, qui élève, qui permet de réfléchir et d’accéder à un esprit critique ainsi que la mise à distance autant que la capacité de discernement sur les choses. C’est aussi une façon de parler politique afin que les gens enrichissent leur désir de découvertes, de rencontres et d’aventures.

Est-ce que le métier d’acteur, pour vous, relève d’une mission de service public ? Quelle est en somme la place de l’acteur par rapport au public ?

Cela est vrai dans tout militantisme dans une forme beaucoup plus douce en donnant de la joie, du plaisir aux gens et leur permettre de développer leur imaginaire. C’est déjà très important. C’est un rôle social qui n’est pas forcément dans un militantisme accompli. Ce qui est social, c’est d’être réuni et uni. Un théâtre qui unit et qui rassemble représente quelque chose de social. Ce qui ne l’est pas, c’est la guerre, la destruction de l’autre, la considération de l’autre comme un ennemi. En ce sens, le théâtre autant que les acteurs unissent et réunissent.

Le théâtre des Tréteaux a une esthétique particulière. Quel est le rapport que ce théâtre entretient avec le public dans sa forme ?

C’est une forme de simplicité sur le plan des équipements. Nous pouvons arriver sur un territoire le matin et jouer le soir en associant le montage du plateau. Cela nécessite bien entendu une certaine légèreté. Les Tréteaux continuent à être un objet scénique très intéressant en tant que scène. Elle élève la personne qui monte dessus et donne à voir un champ langagier, des mots et des images. La place du public permet de recevoir et construire de l’imaginaire. Aux Tréteaux de France, le spectacle se fait autant avec les spectateurs qu’avec les acteurs et le metteur en scène qui montrent quelque chose. Le public reçoit et il est très participant à la pièce.

« L’éducation culturelle et artistique à l’école est le premier moment politique pour le citoyen »

Comment s’orientent vos choix de pièces au sein des Tréteaux de France ?

Mes choix de pièces sont thématiques comme évoqués plus haut. Le premier thème abordé est l’emprise des cerveaux avec L’Ecole des Femmes de Molière, La Leçon d’Eugène Ionesco, Mademoiselle Julie d’August Strindberg ou des pièces contemporaines écrites par Alexandra Badea ou Jean-Claude Grumberg. L’autre thème tourne autour de l’argent, la richesse, la dette et la valeur travail avec Le Faiseur de Balzac ou la prochaine pièce à venir intitulée L’Avaleur qui raconte la compulsionnalité d’un homme qui veut digérer une entreprise comme ces nombreuses sociétés qui, aujourd’hui, se font manger par des ogres venant de Wall Street ou de la City de Londres.

Ce sont des thèmes très contemporains qui font sens dans notre monde actuel ?

Oui, tout à fait. Ce sont des pièces qui font tout à fait écho à des débats que nous pouvons faire après les spectacles. Car il y a trois temps au sein des Tréteaux. Tout d’abord, nous éprouvons l’oeuvre. Ensuite, nous pratiquons le théâtre puis vient le temps de la réflexion et du débat autour de sujets contemporains.

On vous sait très engagé en matière d’éducation artistique et culturelle. Quels sont pour vous aujourd’hui Robin Renucci les grands enjeux de cette éducation ? Vous semble-t-elle aujourd’hui pertinente dans le cadre scolaire ?

C’est là que tout commence. Si nous ne pouvons pas réparer certaines inégalités dans le champ de la famille, dans le champ hors du temps de la famille et celui de l’école qui sont les trois lieux de transmission, l’école peut être un endroit où tout le monde est à égalité car chaque enfant doit être dans un égalité de droit à l’école. L’éducation culturelle et artistique à l’école est le premier moment politique pour le citoyen. C’est là que nous allons donner les moyens d’aiguiser ses outils et sa singularité. Cela doit être un relais qui se fait avec les enseignants, les chefs d’établissements, ainsi que les artistes dans les écoles qui permettent de tisser ce lien avec l’éducation artistique et culturelle. Ce sont les premiers maillons d’une chaîne de la culture de quelqu’un. Cela s’appuie aussi sur la formation des enseignants afin qu’ils soient les premiers lecteurs de leur classe et les premiers relais.

« On vient aussi au théâtre pour imaginer, rêver et pas seulement dans une situation de divertissement qui confine parfois à l’abrutissement »

Quel regard portez-vous aujourd’hui sur l’appétence des Français pour le Théâtre ? Comment faire venir les gens au Théâtre ?

Il faut parler des gens et leur raconter des histoires qui les concernent. Les acteurs doivent aussi venir de la population. Je suis professeur au Conservatoire National et nous avons souhaité avec Claire Lasne Darcueil, la directrice du Conservatoire National, qu’il y ait plus de gens issus de la diversité dans la formation. Bien souvent, les acteurs sont des filles et des fils d’acteurs. Cela devient sectaire et sclérosant pour l’activité artistique. Il faut donc que les élèves du Conservatoire représentent la population. Il faut que la diversité soit territoriale et ethnique pour élargir le public. Après, il y a la qualité des oeuvres qui doivent être poétiques et qui doivent faire rêver. Car on vient aussi au théâtre pour imaginer, rêver et pas seulement dans une situation de divertissement qui confine parfois à l’abrutissement. Nous avons besoin aujourd’hui de se divertir du divertissement. Car ce théâtre doit donner de la joie et s’extraire de cette idée de donner des leçons.

N’y a-t-il pas tout de même une appréhension des gens pour le texte ?

Bien sûr ! Les gens peuvent être intimidés car si depuis l’école le texte fait peur, s’ils n’ont pas les mots, s’ils ne peuvent pas lire et qu’ils n’ont jamais été dans une situation où l’on requiert leur participation et qu’on les laisse dans une situation passive, tout cela contribue à l’intimidation. Il faut donc combattre cette intimidation par tous les moyens, notamment via l’école et la pratique amateur également. Je mise sur l’intelligence du public car je crois que les gens ont beaucoup de ressources, mais ils ne sont pas en situation de pouvoir les partager.

Nous avons reçu Christian Schiaretti il y a deux ans dans le BSC NEWS Magazine pour L’école des femmes (interview à lire ici). Il nous disait en parlant de votre collaboration artistique : « Nous faisons partie d’une génération où les grands textes du répertoire classique étaient des repères et, dans la diffusion d’un théâtre populaire que nous soutenons, il est important d’entretenir un dialogue régulier avec les oeuvres du répertoire. » Quel est votre avis à ce sujet, Robin Renucci ?

Les oeuvres qui ont passées les siècles ont laissé des choses très importantes. La question est de savoir si l’on doit s’adresser aux gens comme ils parlent dans la vie ou bien s’adresser aux gens d’aujourd’hui avec des outils qui ont fait leur preuve dans le passé ? Les textes de Molière ont fait leurs preuves. Parler aujourd’hui d’un homme qui détient une enfant de 4 ans enfermée pendant 13 ans pour la maintenir dans l’ignorance afin de la manipuler et de l’endoctriner, c’est actuel. Je partage donc avec Christian Schiaretti cette analyse du langage, de la langue et surtout de la poésie. Car la langue est très riche pour celui qui l’entend. Elle donne à voir beaucoup.

Pouvez-vous nous dire quelques mots sur Le Faiseur que vous avez mis en scène et qui se joue en ce moment ?

Le Faiseur est une pièce qui a été écrite en 1840 et qui, selon la vie de Balzac très endetté, réunit des personnages de La Comédie Humaine. Ils racontent comment on passe à une nouvelle époque avec la valeur de l’or qui réglait la vie des gens. Et voilà l’apparition de la volatilité du billet de banque qui intervient avec la bourse. C’est la notion d’argent sans le travail. Les bourgeois ne savent plus travailler donc ils décident de faire de l’argent avec de l’argent, d’où la spéculation. C’est donc un homme qui repousse ses dettes face à des créanciers qui viennent le voir. Puis il refuse de marier sa fille autrement que comme il l’entend. Il a une fille laide qu’il tente de marier à un bon parti pour tenter de rembourser ses dettes. Enfin, il tente de provoquer un krach boursier comme le font certains traders aujourd’hui pour faire baisser les titres à la bourse afin de les racheter et les vendre par la suite beaucoup plus chers. C’est une pièce totalement contemporaine qui s’articule autour de ces trois histoires. L’écriture est moderne sans qu’on ait eu besoin d’y rajouter des choses. C’est donc une matière pour le théâtre contemporain écrite dans le passé par des grands auteurs.

Une question sur la série Un village français qui éclaire merveilleusement l’avenir en revenant sur une période sombre pour la France. Sans dévoiler des secrets, quels seront les axes de la septième saison ? Quel va être notamment le sort réservé à Daniel Larcher dont la fin de la saison 6 nous laisse craindre le pire ?

La saison 7 portera sur les procès. Daniel Larcher va être jugé et devra se défendre. Il a traversé toute la période de l’occupation en tenant de faire le bien. Il a été maire malgré lui simultanément à son rôle de médecin où il a également fait en sorte de soigner les uns et les autres. Daniel Larcher n’est absolument pas collaborateur de nature. Mais il se retrouve jugé pour des faits qu’il n’a pas commis ou très peu commis par les résistants de la dernière heure. Il incarne donc une cible affriolante pour qui veut démonter l’histoire de la guerre. Le thème repose sur la mémoire que l’on laisse aux gens. Voilà comment on s’appuie sur la mémoire pour raconter l’Histoire.

La série Un village français dénote par cette singularité à refuser le manichéisme ?
Oui. Car c’est la France grise. La France des lâchetés pour les uns et du courage pour les autres.

Dans votre profession de foi à la direction des Tréteaux de France, vous écrivez : « Je mets les technologies contemporaines au service de la production des symboles et des imaginaires. » Pouvez-vous nous en dire plus ?

Nous vivons une révolution industrielle qui, après l’imprimerie, nous amène au numérique, c’est-à-dire la capacité de reproduire et d’inventer tout un sytème qui nous permet de vivre une nouvelle ère et une métamorphose. Nous verrons qui utilisera ces outils à des fins d’émancipation ou à des fins d’aliénation. On peut considérer que rabaisser le cerveau des gens est une aliénation. Utiliser ces outils dans le jeu addictif et non pas pour le champs de la connaissance de la recherche. Nous allons donc vivre une aventure collective dans les cent ans qui viennent où il va falloir se situer chez les collaborateurs de l’aliénation ou dans celui des héros de l’émancipation. Le numérique émancipateur existe lorsqu’il s’agit de connaissances et de savoirs. Le numérique est une bibliothèque. Enfin, l’utilisation de la réflexion autour du numérique sur le plateau n’est pas la seule volonté d’utilisation des écrans mais il est une réflexion plus large sur notre époque et de notre émancipation par rapport au numérique, sinon nous serions dans l’aliénation.

Robin Renucci
Tréteaux de France

Toute la programmation sur :
www.treteauxdefrance.com/les-spectacles

Crédit Photos : Olivier Pasquiers

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