Louis Witter, "Lebanon Shadows"

Louis Witter : « A mes yeux, le Liban se résume en un mot, contraste »

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Par Romain Rougé – Louis Witter est photoreporter. Pendant quatre mois, il a parcouru le Liban, de Tyre à Tripoli. Son reportage photo, intitulé « Lebanon Shadows », témoigne de ce Liban cosmopolite et multiconfessionnel empreint d’une liberté que, de l’autre côté de la méditerranée, nous avons du mal à imaginer. Rencontre.

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Pour votre reportage intitulé « Lebanon Shadows » vous avez passé quatre mois au Liban, de Tyre à Tripoli. Qu’est-ce qui vous a attiré dans ce pays et, photographie mise à part, que retirez-vous de ce voyage ?
Je suis arrivé au Liban dans le cadre de mes études. J’ai décidé d’y passer quatre mois pour un stage de fin d’année au quotidien libanais francophone « L’Orient Le Jour ». Plusieurs choses m’attiraient dans ce pays. En particulier le fait que le Liban soit limitrophe de la Syrie, j’espérais un peu naïvement pouvoir y faire plusieurs reportages, ce qui n’a pas été le cas. Ce que je retire avant tout de ces quatre mois, c’est le paradoxe du pays. Beyrouth est à quelques dizaines de kilomètres seulement de Damas et pourtant, les nuits y sont agréables, les nightclubs sont pleins et les gens dans la vingtaine comme moi y vivent comme on vit dans une grande capitale actuelle.

Votre reportage débute par une photo d’un corbillard qui tranche avec le reste des clichés montrant, malgré les difficultés visibles, des moments très vivants. Pourquoi ce choix d’entrée ?
C’est plus un hasard qu’un choix mais il fait tout de même sens. En France on a l’habitude d’entendre « c’est Beyrouth » quand quelqu’un veut dire « c’est le bordel ». L’imaginaire collectif reste empli des images des guerres successives. Pourtant, cette mort là n’est plus présente à Beyrouth au quotidien même si les vieux immeubles de la ville en gardent les stigmates. Le corbillard avec le numéro de téléphone du croque-mort inscrit dessus m’est apparu un peu cynique, en plein quartier d’Achrafiyeh, durement touché par les combats il y a quelques décennies. Comme si les vieilles voitures n’avaient plus leur utilité à l’heure actuelle.

Ce qui retient le regard dans vos photos est évidemment le portrait de ce Liban multiconfessionnel. Comment avez-vous appréhendé les portraits représentant la diversité religieuse ? Est-ce, selon vous, ce qui définit le mieux le Liban d’aujourd’hui ? Comment cohabitent ces religions dans la réalité du pays ?
Je ne me permettrai jamais de juger un territoire, des peuples et des histoires qui ne sont pas les miennes, ni d’en tirer des conclusions rapides. En revanche, en tant qu’observateur extérieur qui avait tout à apprendre du pays, je ne saurais vraiment pas dire si les différentes religions cohabitent vraiment ou ne font que se tolérer. Cela dépend vraiment des endroits, des histoires personnelles et des situations. Aujourd’hui, personne ne serait capable de résumer le Liban après seulement quatre mois. Les Libanais et Libanaises rencontrés racontent leur version de l’Histoire, leur propre histoire, celle de leur famille, de leurs amis. Tout ce que tu peux faire, en tant que journaliste, c’est écouter, noter et essayer de comprendre. Au nord du pays, près de la frontière syrienne, j’ai parfois entendu dans la bouche de chrétiens libanais un discours extrême à l’encontre des sunnites. Tout ça, ce sont des exemples, mais des exemples vécus sur le terrain.

Vous avez sillonné les villes de Qaa, de Saïda et de Douma. Des villes qui, dans l’Histoire, ont été l’objet de toutes les convoitises religieuses. Entre chrétienté et orthodoxie, on a l’impression que l’islam tient aujourd’hui une place importante à Saïda ?
Je ne suis pas resté assez de temps à Saïda pour affirmer que l’islam y tient une place importante. En revanche oui, dans certaines villes, dans certains quartiers, il n’est pas rare de croiser des femmes voilées de noir des pieds à la tête alors qu’à quelques pas de là, d’autres se font bronzer en bikini sur les plages…

Vos photos montrent des scènes de la vie quotidienne mêlées à des scènes d’état de guerre. Comment la population vit-elle ce quotidien ? De votre côté, avez-vous fortement ressenti cette dualité in situ ?
Comme dans tous les pays du monde, il n’y a pas « la population ». Ce n’est pas un bloc homogène, encore moins au Liban. Pour prendre l’exemple de Beyrouth, ça m’a vraiment frappé les premières semaines. A mes yeux, le Liban se résume en un mot : contraste. Et pas simplement photographique. Beyrouth est une ville pleine de vie, pleine de bars, pleine de boites de nuit. On y croise de grosses bagnoles, on y fume de bons cigares, on y écoute de la bonne musique. La jeunesse, surtout, ne veut plus entendre parler de guerre. Mais à quelques dizaines de kilomètres de là, le spectre du conflit syrien inquiète tout de même. Cette dualité, je l’ai ressenti au moment des attentats qui ont frappé le village d’Al-Qaa le 27 juin dernier. En une demie journée, je passais de Beyrouth à la frontière syrienne. D’une ville assez libre quoique fortement militarisée avec des checkpoints entre les quartiers à un véritable état de guerre lors des funérailles des victimes. Des humvees (véhicules de l’US Army, ndlr) garés de tous les côtés de la route, des tireurs d’élite sur les toits, des hommes armés et en uniformes mais pas de l’armée… C’était extrêmement étrange de passer de l’un à l’autre en quelques heures de route seulement.

Vous proposez des clichés de réfugiés qui travaillent ou qui s’insèrent dans un milieu professionnel. Quand on sait que le Liban est le pays qui a accueilli le plus de réfugiés syriens, quel regard portez-vous sur la place qu’ils tiennent dans le pays ? Le fait de ne pas montrer de camp de réfugiés, est-ce un choix de votre part ?
Les réfugiés du conflit syrien sont extrêmement nombreux au Liban et sont venus s’ajouter aux réfugiés palestiniens. J’ai pu suivre l’association Amel dans son incroyable travail auprès des plus faibles. Les camps de réfugiés apparaissent souvent dans les médias, car ils sont d’une taille inimaginable. Mais l’insertion de ces réfugiés m’intéressait davantage. Lors d’un reportage que j’ai commencé à réaliser sur le tuning au Liban, j’ai rencontré un réfugié qui travaillait dans un garage, passionné de voiture. Il retapait les carrosseries et il était payé, même si son statut de réfugié syrien ne lui laissait pas l’occasion de conduire ces bolides.

La photo d’un travailleur d’un centre de tri des déchets peut rappeler la crise des ordures ménagères qui a touché le pays récemment. Lors de votre reportage, avez-vous pu appréhender la situation sanitaire du pays ?
Avec mon ami et colocataire Charles Thiefaine, nous avons travaillé pour le quotidien « L’Orient Le Jour » sur des centres de tri des déchets, gérés par des privés, sans fonds publics. Sans pour autant vivre à Beyrouth au plus fort de la crise courant été 2015, on a pu avoir des retours d’hommes et de femmes qui se mobilisent pour faire avancer les consciences des Libanais en termes d’écologie. Tous nous ont fait part de leur désarroi face à l’inaction des pouvoirs publics pour qui cette problématique n’est pas une priorité. C’était intéressant d’approcher ceux qui tentent de faire avancer les choses à ce niveau-là au Liban.

Comme le montre la photo de deux jeunes s’embrassant en pleine rue, ou encore le magazine Playboy posé sur l’asphalte, le Liban vous paraît-il être un pays où une certaine insouciance trouve encore sa place ?
L’insouciance est partout ! Dans le nord du Liban, à la frontière syrienne… J’ai pas mal discuté avec des jeunes et au fil des journées passées à les côtoyer, je me suis tenté à les interroger sur leurs relations amoureuses. Chez les chrétiens que j’ai rencontrés, il y a une mentalité très conservatrice. Les jeunes ne se cachent pas si ils s’aiment, mais pour ce qui est des relations sexuelles par exemple c’est hors de question avant le mariage. Une libanaise de dix-neuf ans m’a dit : « Si mon père apprenait qu’on fait des trucs avec mon amoureux, il me tuerait ! », en ne rigolant qu’à moitié… Tout cela s’inscrit dans un grand nombre de valeurs auxquelles les gens sont très attachés, pour les plus pieux d’entre eux. A Beyrouth même, les mœurs sont un peu plus libérées, forcément. C’est une capitale qui se développe à une vitesse folle, qui en deviendrait presque à certains endroits très occidentale. En boite de nuit par exemple les mini-jupes et les shorts super courts sont de mise et les gens font sûrement moins attention que dans la rue à leur façon d’agir.

Louis Witter, « Lebanon Shadows »
Reportage photo à voir sur le site internet : www.louiswitter.com/lebanon#0

(Crédit photo : Louis Witter)

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