Rentrée littéraire de janvier : les romancières se sont donné le mot

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Par Emmanuelle de Boysson – On dirait qu’elles se sont données le mot. Plus d’une cinquantaine de romancières ont choisi la rentrée de janvier ! Autobiographies, page-turner, secrets de famille, passions, biographies romancées : il y en a pour tous les goûts.Reconnues, people, fille de, femme de, inconnues… Pas facile de dénicher les perles rares. Je me contenterai de vous parler de mes goûts et dégoûts, attentive à la qualité littéraire avant tout !

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Mon premier coup de cœur : « Mises en pièces », de Nina Léger (Gallimard) Normalienne, Nina Léger est doctorante en esthétique à l’Université Paris-VIII. Elle a collaboré à plusieurs expositions (Centre Pompidou – Paris, Musée des Beaux-arts de Lyon, MoMA), travaillé en bibliothèque et publié dans différentes revues. Passionnée par les sons, « Histoire naturelle » était son premier roman. « Mises en pièces » est un petit bijou de littérature, de liberté de ton, de style, d’audace, de transgression, si rare aujourd’hui. Jeanne collectionne les rencontres dans des hôtels, fréquente les sex shops. Aucune explication psychologique. Rien de banal, de vulgaire. Juste de la poésie, une écriture sublime ! Un monde solitaire, un « palais » où chaque phrase laisse rêveur. Une ode au corps d’une grande beauté.

Toujours chez Gallimard, j’ai adoré: « Une femme au téléphone », de Carol Fives. L’auteure a commencé à écrire pour expliquer son travail de peintre et depuis elle n’a plus arrêté. Après un passage par Paris et Bruxelles, Carole Fives vit à Lille, et partage son temps entre les arts plastiques et la littérature. Pour «Quand nous serons heureux», elle a reçu le Prix Technikart 2009, présidé par Alain Mabanckou. Elle est lauréate de la fondation Mac Dowell. « Une femme au téléphone » brosse le portrait de Charlene, une femme d’une soixantaine d’années qui a su rester jeune. Elle fume, elle boit, elle plaît aux hommes et aime sortir. Mais quand le vide l’envahit, elle enchaîne les appels téléphoniques à sa fille et l’atteint toujours là où cela fait le plus mal. Très bien vus les rapports mères filles, la mère qui la culpabilise avec sa maladie ! Ecriture limpide et vive.

« Nue, sous la lune » de Violaine Bérot, (Buchet Chastel, 12 janvier) m’a touchée. Pendant des années une sculptrice s’est effacée pour son « Grand artiste » lui aussi sculpteur mais tyrannique. On est avec elle, dans sa fuite et jusqu’à son retour… vers la soumission. Juste, émouvant, un petit livre qui en dit long sur la violence verbale.

« Joie » de Clara Magnani, (Wespieser) enchante. La narratrice découvre l’aventure épistolaire entre Gigi, son père décédé et Clara. Amour improbable en Italie, dans le monde du cinéma, écriture sobre et fluide. Les deux récits du père et de sa maîtresse se suivent. S’il manque à cette histoire un peu de tension, le charme de l’Italie opère.

Passionnant : « Théa » de Mazarine Pingeot. (Julliard). Paris, 1982 : fuyant le coup d’État, des centaines d’Argentins se réfugient dans la capitale française, des images macabres plein la mémoire. La vie de Josèphe, 22 ans, bascule quand elle rencontre l’un d’eux. Avec Théa, Mazarine Pingeot signe un roman d’apprentissage ardent, politique et sensuel.

Dans un genre similaire, « Apatride» de Shumona Sinha (5 janvier, L’Olivier) traite de la violence. Deux femmes originaires de la même région d’Inde luttent pour leur dignité. L’une, à Tajpur, se heurte aux carcans liés à sa condition. L’autre, à Paris, attend sa naturalisation et vit l’exclusion au quotidien. Leurs destins sont liés par celui d’une troisième femme, née à Calcutta et adoptée par un couple de Français. Deux actes de violence à la femme, le premier en Inde : un assassinat, et le second à Paris, une agression sont les pivots puissants de ce livre sur l’identité. Une écriture frénétique, chaude, pleine, en même temps réfléchie sur l’imbrication des deux villes, deux mondes, le désir, la conscience du corps de la femme. Une réflexion aussi sur le refus d’être « comme les autres ».

Autre roman sur les drames dus à la brutalité des hommes : « Hadamar » d’Oriane Jeancourt (Grasset). Oriane Jeancourt Galignani est écrivain et dirige les pages littéraires du magazine Transfuge. Ses deux premiers livres ont été publiés aux éditions Albin Michel, « Mourir est un art comme tout le reste » en 2012, fiction consacrée à la poétesse Sylvia Plath, et « L’Audience », en 2014. Ici, on est en Allemagne, fin d’été 1945. Frantz revient de Dachau où il avait été déporté en tant que journaliste d’opposition. Aidé de Wilson, un officier américain, il recherche son fils Kasper, disparu avec l’effondrement du Reich. A Hadamar, il se heurte au silence des habitants et au secret qui plane sur l’hôpital… Un angle original sur un sujet tellement traité. Intrigue prenante, écriture fluide. Un roman qui vous fait monter les larmes aux yeux, vous hante. Bouleversant.

« Voyage avec Villa-Matas », de Anne Serre (Mercure) fait partie des textes plus intimes qui sondent les âmes. Au début on se dit : encore une romancière qui raconte un salon littéraire ! Il n’en est rien. Dans le train, l’auteur lit le roman, Enrique Villa-Matas, l’imagine près d’elle. On y croit, c’est malin, intelligent avec la présence d’Anna Magnani. Réflexion sur la magie de la littérature, l’écriture, belle évocation de l’Italie.

Très attendu : « Il faut se méfier des hommes nus » d’Anne Akrich (Robert Laffont, Julliard, 5 janvier). Née à Paris en 1986, Anne Akrich est d’origine polynésienne et tunisienne. À l’âge de douze ans, elle part pour Tahiti ou elle passera toute son adolescence avant de retrouver la capitale et de poursuivre des études de littérature à la Sorbonne. Elle a commencé un doctorat sur les adaptations cinématographiques d’À la recherche du temps perdu, l’a interrompu pour aller à New York écrire le scénario d’un long métrage de fiction avec Jerry Schatzberg, et, de retour à Paris, s’est lancée dans l’écriture de son premier roman, « Un mot sur Irène ». Ici, il s’agit d’une intrigue à suspens qui entremêle des épisodes marquants de la vie de Marlo Brando à Tahiti et l’enfance douloureuse d’une jeune femme qui porte le prénom de la fille de Brando, Cheyenne. En choisissant Tahiti comme théâtre principal de son récit, l’auteure trace le portrait terrifiant d’une île sauvage qui dévore ses enfants et engloutit toute forme de projet. Les épisodes de sa vie, son passé et ses traumatismes se mélangent aux dialogues qu’elle est en train d’écrire. Du rythme, une construction intéressante, une romancière prometteuse !
« Chère Brigande » de Michèle Lesbre , (Wespieser ) : depuis longtemps, j’aime sa mélancolie, son exigence. Dans ce roman sur l’état d’esprit militant, la romancière reste fidèle à elle-même et on applaudit.

« Lointain », de Marie Modiano (Gallimard, 12 janvier) raconte une rencontre inattendue sur le Pont des Arts entre une lycéenne et un jeune Américain de 20 ans. Ils s’aiment, se perdent, se retrouvent à Londres mais le bonheur sera de courte durée. En contrepoint, la narratrice se souvient d’une tournée de théâtre entamée à la même période, loin de son amour. Etonnant, délicat, plein de charme. Marie Modiano a quelque chose de son père.

Dans « Le pays dont je me souviens», (Mercure, 2 février) Anne Revah se met dans la peau de Philippe, la quarantaine. Il quitte du jour au lendemain son épouse tyrannique et ses deux fils pour retourner vivre dans sa ville de province. Il y rencontre Myor, un ermite qui passe son temps à remplir des carnets de notes, affirmant qu’il vient d’un lieu qui le hante. Philippe part avec lui en quête de cet endroit. Un duo inattendu un retour à l’autonomie où l’on découvre un passé d’homme soumis par bribes…

Je suis moins emballée par «Principe de suspension » Vanessa Bamberger (Liana Levi). Peut-être à cause de la construction, d’un excès de maîtrise, d’une fin qui ne colle pas… je suis restée sur ma faim.

De même, j’ai été déçue par «Trois ex » de Régine Detambel (Actes sud). A travers les voix de ses épouses, Régine Detambel évoque la vie d’August Strinberg, écrivain dramaturge et peintre suédois. L’auteur d’un essai intitulé « De l’infériorité de la femme » a connu trois unions destructrices, empoisonnées par la jalousie et la misère. On sait que Strinberg était un névrosé, un misogyne notoire, ce n’est pas une raison pour le rendre si caricatural. Ici, l’artiste apparaît forcément tourmenté, orgueilleux et vantard. Régine Detambel ne lui épargne rien. Impossible de s’attacher à son héros qu’elle dénigre dès le début : du « genre cinglé », un « ravi de la crèche » qui vire au « puéril, égocentrique », « nullard, zéro », « les couilles trois fois par jour dans de la glace ». Pourquoi ne pas avoir mis l’accent sur le côté hyper sensible de cet immense dramaturge qui dénonça l’hypocrisie à l’égard du sexe et de la moralité, prenant souvent la défense des femmes ? Lorsqu’il rencontre sa première épouse, Siri von Essen, elle est mariée au baron Gustav von Wrangel. Comme elle rêve de devenir comédienne, il suffit qu’August « écarte ses petites pétales » pour que « la déesse capture le lion ». Chez la baronne, point d’attendrissement. Lorsque sa fille de quatre ans meurt, elle se console par une montée de lait. August lui lèche les seins. Il lui donnera deux filles et un fils. « Il ne pouvait aimer qu’en blessant », « désormais, c’est gruau à tous les repas », précise la romancière biographe qui ne nous dit pas pourquoi Siri reste attachée à ce gougeât qui accumule les échecs au théâtre et en littérature. En 1893, Strinberg épouse Frida Uhl, âgée de vingt ans, et divorce dès qu’elle le trompe. Après une crise psychique, il se remarie pour la 3e fois en 1901 avec Harrier Bosse. Au lieu de sonder ces êtres, de s’interroger sur la soumission des femmes au créateur génial, « Troix ex » reste en surface. Il y manque le charme de « Mademoiselle Julie ». Et puis quel besoin d’user d’un langage si familier ? On se lasse des « toubib, emmerdes, tarés, connards, gugusses… » Si bourru fut-il, l’écrivain de Stockholm n’a pas mérité ça !

Bonne nouvelle : Catherine Locandro nous offre une petite merveille : « Pour que rien ne s’efface » (Héloïse d’Ormesson, 12 janvier). Catherine Locandro est née à Nice en 1973 et vit aujourd’hui à Bruxelles. Son premier roman, Clara la nuit (2005) a reçu le prix René Fallet. Cette scénariste – primée en 1997 pour L’Amour est à réinventer, dix histoires d’amour au temps du sida – publie son cinquième roman chez Eho, après Les Anges déçus (2007), Face au Pacifique (2009), L’Enfant de Calabre (2013) et L’Histoire d’un amour (2014). Dans ce texte sur la quête de traces du passé, les liens familiaux, leur fragilité, une ancienne icône de cinéma est retrouvée morte dans son appartement à l’âge de 65 ans. Douze témoins vont prendre la parole et évoquer la vie passée de Lila Beaulieu. Catherine Locandro scrute la part sombre et cachée de ses personnages et nous interpelle. Une construction ronde très réussie.

Claire Gallois publie « Et si tu n’existais pas » (Stock, 28 décembre) Femme de lettre et critique littéraire (dernier livre : « Moi, président 2008 »), la romancière évoque son enfance dans les années 1940. Elevée par une femme dont elle ne connaît pas le nom et qu’elle surnomme Yaya, elle en est brutalement séparée par sa mère, venue la chercher à l’âge de 6 ans. Elle grandit sans jamais perdre de vue son objectif de retrouver cette femme, chose faite une trentaine d’années plus tard, trois mois avant la mort de celle-ci.
Cécile Guilber est l’auteur d’une oeuvre littéraire importante composée d’essais (sur Saint-Simon, Debord, Sterne, Warhol), de romans ou récits (Le Musée national, Réanimation), de préfaces et d’anthologies. Son dernier livre, Sans entraves et sans temps morts, est paru chez Grasset en 2015. Dans « Les Républicains » (Grasset, 1er février) elle raconte le parcours de deux étudiants à Sciences Po où ils ont préparé l’ENA. Anciens camarades, ils se retrouvent à l’occasion d’une émission consacrée à la promotion 1986 : un portrait cruel d’élites à la dérive, et une peinture de la décomposition du politique, du divorce entre la République et les lettres, de la collusion du public et du privé, des ambitions personnelles démesurées.

Léa Wiazemsky revient avec « Le Bruit du silence » (Michel Lafon) où elle explore le lien entre un veuf bougon et fille de 30 ans. Ecriture limpide, sensible.

Promis, la prochaine fois, je vous parlerai des romans des hommes. On attend celui de Philippe Besson… de belles lectures en perspective pendant la campagne électorale !

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