De Bob Dylan à Donald Trump : l’époque des Antipodes aux USA

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Par Sophie Sendra – Bob Dylan, Prix Nobel de Littérature 2016. Donald Trump 45ème Président des Etats-Unis D’Amérique, époque des Antipodes. Blowin’ in the mind, The Times they are a changin’, hymnes anti-guerres, chansons populaires et sociales célébrées pour la poésie, pour la paix.
Il y a tant à dire sur le résultat des élections américaines, mais il ne reste plus qu’à penser et agir. Au-delà des envies partisanes de préférer un camp plutôt qu’un autre, que devons-nous analyser ? Sans doute nos souvenirs, notre présent et notre futur.

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Beaucoup pensent que les Etats-Unis n’ont plus autant d’influence qu’avant : Maitres un jour, plus du tout Maitres pour toujours. Ces jugements ne semblent tenir qu’à l’influence décisionnaire qui ne se fait plus unilatéralement mais de façon plurielle. Les USA ne peuvent plus décider par eux-mêmes sans l’accord d’autres Nations, mais il est un paramètre que nous oublions, l’influence des Idées, des rêves, de la culture, celles-là mêmes qui nous ont nourries pendant des décennies.

Retour vers le futur

Qui se souvient de ces littératures qui ont bercées nos rêves, nos idées, nos envies d’ici et d’ailleurs ? Jack Kerouac, Truman Capote, F. Scott Fitzgerald, Ernest Hemingway, Toni Morrison, et bien d’autres encore. Peintres, chanteurs, Hopper, Pollock, Warhol, Joan Baez, Springsteen, Dire Straits, Cat Stevens ; réalisateurs, Woody Allen, James Cameron, Steven Spielberg, la liste est longue et non exhaustive. Nous pourrions encore et encore l’égrener. Autant de noms qui ont jalonnés les rêves de beaucoup, imaginant à quel point tout pouvait être possible là-bas mais aussi ici, chez soi. Un vent de liberté de penser, d’agir, de volonté de réussir à Etre au-delà de ce qu’imposent les règles. La révolte venait d’outre-Atlantique en passant par l’outre-manche.
Il s’agit donc de regarder vers le passé pour nous apercevoir que, quel que soit notre âge, notre sexe, nous avons tous et toutes un petit quelque chose de cette Amérique, pays des libertés, des réfugiés européens, des « bâtisseurs » issus de cette « vieille Europe » que nous sommes. Nous avons tous regardé de l’autre côté un jour en nous inspirant, comme on respire un bon air. Envieux parfois, critiques de temps à autre, moqueurs que nous sommes épisodiquement mais toujours aimant cette passion, cet engouement permanent, cet « amazing » que nous jalousons par manque d’enthousiasme et d’encouragement pour tout et rien ; un brin ridicule, cette expression est pourtant ce que nous avons toujours voulu entendre partout et tout le temps sans jamais oser le dire.
Un retour vers le futur ne se regarde pas sans un regard vers l’avenir, comme ce dernier ne se regarde jamais sans un regard vers l’Histoire.
En 1938, à la veille de la seconde guerre mondiale, l’Office Internationale Nansen pour les réfugiés, remporte le Prix Nobel de la Paix pour son travail exceptionnel et son aide aux réfugiés apatrides d’Europe.
La même année, Pearl Buck, auteure et romancière américaine remporte le Prix Nobel de Littérature pour « l’ensemble de ses chefs d’œuvres biographiques ». Elle écrivit en 1938 Un Cœur fier dans lequel elle expose les problèmes que rencontre une femme artiste, ses passions créatrices et sa vie de femme au foyer, mère, épouse. Dans cette condition de la femme de l’époque d’avant-guerre, les choses étaient bien différentes de celles que nous connaissons aujourd’hui. Pearl Buck remarquait justement cet « empêchement » d’être de la femme.
Comme un retour vers un futur déjà là, l’Histoire montre qu’elle se répète, elle se contracte et nous retenons notre souffle.

L’imparfait du Présent

Que devons-nous regarder de ce séisme politique ? Tel un glissement tectonique, la plaque des modérés vient de glisser sous celle des immodérés, les soulevant jusqu’à provoquer un tsunami non perceptible encore, et que nous attendons en regardant l’horizon.
A quoi serait due cette vague ? Au passé antérieur que nous n’avons pas deviné, mais que nous aurions pu prévoir.
Nous le savons désormais, Hillary Clinton a remporté le vote populaire de peu, devançant son adversaire, le système électif américain est ainsi fait. Près de 47% des américains sont des abstentionnistes.
L’imparfait du présent est de savoir que les trois quarts des électeurs de Donald Trump sont peu, voire pas diplômés. Faut-il avoir un diplôme pour être intelligent ? Assurément non. Faut-il avoir un diplôme pour être cultivé ? Même réponse. Le défaut de nos sociétés est de privilégier la productivité et non la créativité. Pour être productif il faut être spécialisé, être performant en bannissant de sa culture ce qui est général et qui semble inutile. L’électorat de Donald Trump est ce qu’il est, varié mais souvent ignorant.
On peut ne pas aimer Hillary Clinton, mais force est de constater, que son électorat se trouve dans des villes cosmopolites où la culture, la rencontre, l’échange sont de mise.
Dans une étude regroupant les discours du 45ème Président des Etats-Unis, il a été calculé le nombre de mots distribués comme autant de pains salvateurs et prometteurs. Les auteurs de cette étude en ont dénombrés 700. Il faut savoir qu’un adulte utilise entre 4000 et 6000 mots pour traduire ses émotions, ses idées. 1000 mots est la limite acceptable pour exprimer le minimum aux fins d’échanges avant que le langage ne soit remplacé par la violence. Est-ce à dire que Donald Trump est personnellement en deçà de cette limite ? Non, par contre il a eu l’intelligence de penser que son électorat avait besoin de comprendre des choses simples au travers d’un langage limité. Rendre les messages simplistes pour qu’ils soient acceptables par le plus grand nombre voilà le dessein. Si vous ne comprenez pas un au-delà du langage et de la pensée, l’idée devient binaire car vous n’avez pas la culture suffisante pour décrypter ce qui est en train d’être dit, ou encore, ce qui n’est pas clairement dit.
Plus le langage est évolué, plus il affine le jugement et l’idée ; plus vous êtes cultivés, plus vous pouvez faire référence à des événements historiques, plus vous comprenez ce qu’il se passe au-delà de ce que l’on veut vous faire croire : complots, éléments de langage, postures, caricatures grossières, références erronées, comparaisons ridicules et sans fondement etc. Et ce, de part et d’autre des médias, de vos concurrents, de vos adversaires.

Le Futur Antérieur

Il existe un temps dont nous ne nous souvenons guère, le futur antérieur. Aussi lointain qu’obscure, il parait très « antérieur » à ce que peut rendre notre mémoire. Lorsque la métaphore est là, elle nous aide très souvent à comprendre ou à nous rappeler de ce qui est important. Le futur antérieur est composé du sujet, de l’auxiliaire Etre ou Avoir au futur simple et du participe passé.
Le colistier de Donald Trump, Mike Pence (sujet) est (auxiliaire) un catholique évangéliste, très proche du Tea Party. Auteur de lois homophobes en tant que Sénateur de L’Indiana, il est clairement pour un interventionnisme armé, pour un recul des libertés à disposer de son corps. En apparence plus « posé » que son – désormais – Président, Mike Pence, en tant que Vice-Président, n’a qu’un pouvoir limité, mais il murmure à l’oreille de celui qui gouverne en lui insufflant les idées bien malheureuses d’une Amérique qui regarde vers une antériorité d’un autre siècle. Il a su donner et inspirer le peu de mots indispensables à un électorat refermé sur lui-même, conservateur, ce même électorat dont personne ne s’est occupé ou si peu. Cet électorat qui, pour la plupart, utilise l’Obama Care que Donald Trump veut supprimer, ce peuple trop pauvre pour se soigner dans le pays des libertés, première puissance mondiale.
Lorsque Mike Pence (sujet) aura (futur simple) parlé (participe passé) de sa vision du monde à Donald Trump, de sa croisade si attendue contre les forces du mal, il aura enfin le boulevard de l’Histoire pour trouver de l’inspiration et penser à un futur que nous aimerions garder derrière nous.
Le problème est que la parole est un flux qui a, une fois qu’il est lancé, du mal à s’arrêter. Dans un système pyramidal, celui qui se trouve tout en haut est censé donner le ton, l’exemple à tous ceux qui se trouvent en dessous de lui. La parole est ouverte avec les moindres mots et des idées que le monde a déjà connu par le passé participant ainsi à cette antériorité future annoncée.
La vague du glissement tectonique amènera sans doute ce que nous redoutons tous, un abaissement majeur de la pensée, de l’idée, noyant au passage toute volonté de grandeur. La Nation américaine est en crise et c’est le monde qui tousse. Il faut résister contre une apoplexie, cette stupeur qui nous laisserait loin de nos fonctions vitales.

S’il fallait conclure

Indignez-vous écrivait Stéphane Hessel, il faudrait sans doute parler désormais de résistance, cette « force qui s’oppose à un mouvement ». Des mouvements antérieurs se présentent au monde, résistons.

À lire à ce sujet : L’Amérique défaite de George Packer ( Portraits intimes d’une nation en crise ) Editions Piranha

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