CHOUF de Karim Dridi

Karim Dridi : « Chouf est un geste politique total »

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Par Jonathan Rodriguez – Le béret vissé sur la tête, Karim Dridi a des choses à dire et à raconter. À 55 ans et huit films au compteur, il revient sur les écrans avec son nouveau film « Chouf », un film évènement par son sujet, celui de raconter le quotidien des quartiers nord de Marseille où précarité, règlements de comptes et trafics de drogues sont plus que jamais d’actualité. Il signe un thriller audacieux qui démontre la volonté d’un cinéaste de montrer, plus que jamais, la vie dans ces quartiers populaires. Donner la parole, et montrer. Pour rendre justice, comme un cri de rage. Chouf.

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Avec Chouf, vous concluez une trilogie sur les quartiers à Marseille initiés avec Bye-bye (1995) et Khamsa (2008). Il y avait une volonté de tourner à nouveau là-bas ?
C’était nécessaire de tourner dans une vraie cité et de tourner avec des jeunes proches de cette réalité. Ils m’ont attiré, surtout après Khamsa. Ils m’ont donné envie d’aller plus loin encore, avec eux. Et puis, je trouvais qu’il y avait un déficit de cette vision dans les films français. Ils sont souvent utilisés comme un décor, ou un prétexte. On ne leur a jamais donné de rôles significatifs. On ne voyait pas leur vie. J’ai eu envie de faire ce que je ne voyais pas au cinéma en tant que spectateur.
A la différence de vos deux autres films, Chouf semble s’inscrire dans une réelle volonté de faire un pur film de genre…
Bye-bye et Khamsa étaient en effet des chroniques de vie très brutes. Chouf est un thriller. J’avais cette volonté de faire un film de genre et pouvoir être plus accessible à un public plus jeune, qui ne consomme pas du cinéma d’auteur français et ne pas parler toujours aux mêmes spectateurs. Je voulais attirer un public qui se sent concerné, qui vit dans les quartiers populaires, qui connait la précarité, les histoires de deals, les règlements de comptes. Il fallait avoir une forme permettant son accessibilité.

Comment trouve-on un équilibre entre un film de genre et un film « social » ?
Il faut faire du cinéma, tout simplement. On doit être dans le genre, mettre du rythme, écrire un scénario crédible et cohérent et s’appuyer sur une réelle construction des personnages. Sans oublier pourquoi on fait ce film. J’utilise le genre pour toucher un public et raconter quelque chose. Ce n’est pas juste raconter une histoire de gangster…

Vous êtes l’un des seuls à avoir tourné en plein cœur des quartiers Nord à Marseille. Comment s’organise un tournage comme celui-ci ? Les financeurs étaient réticents ?
Il y a eu des séquences de films et de séries tournés dans les quartiers Nord mais jamais un film avec des acteurs issus directement de ces quartiers. C’était un défi. Ça a été compliqué de trouver un financement pour un film comme ça parce que les investisseurs dans le cinéma français étaient très réticents à ce genre de film. Il y avait une frilosité, une peur et une envie de ne pas traiter ce type de sujet. Pour eux, c’était un film de plus sur la banlieue. Comme si sur 260 films français faits par an, il y avait beaucoup de films qui se passait au coeur des quartiers. Une fois que l’on a trouvé le financement, avec Rachid Bouchareb et Jean Bréhat, ça a été facile de tourner dans les quartiers. J’avais déjà l’expérience de Khamsa, les jeunes me connaissaient. J’ai pu rentrer dans les cités grâce aux associations de femmes aussi. Celles qui ont perdues leur fils ou jeunes maris. Elles nous ont permis d’exister avec la population et d’avoir la confiance de tout le monde. Avec les dealers, le but était de leur faire comprendre qu’on n’était pas là pour les juger et gêner leur business. Ils m’ont donné une autorisation tacite.

 » Avec les dealers, le but était de leur faire comprendre qu’on n’était pas là pour les juger et gêner leur business. Ils m’ont donné une autorisation tacite. »

Vous avez tourné avec une majorité d’acteurs non-professionnels pour Chouf. C’était une volonté de départ ?
Bien évidemment. La volonté était de tourner avec des jeunes de quartiers, qui connaissent la vie là-bas, qui savent de quoi on parle, qui ont le langage et l’accent approprié. C’était aussi une volonté politique de ne pas faire travailler toujours les mêmes acteurs du cinéma français, que l’on voit tous le temps. C’est politique et en même-temps artistique et esthétique parce qu’ils sont plus légitimes et plus crédibles que les acteurs reconnus. Même des bons acteurs. Si je prends Tahar Rahim ou Reda Kateb, ça aurait été plus facile pour trouver les financements. Mais aucun n’est marseillais et ils n’auraient jamais réussi à avoir la force qu’ont mes interprètes dans le film.

Comment les fait-on jouer ? Quelle est la place de l’improvisation dans un film comme Chouf ?
La place de l’improvisation est d’à peine 2%. L’utilisation de l’improvisation comme un outil technique d’approfondissement des dialogues et de la mise en scène, elle a lieu deux ans avant le tournage. On a fait des ateliers et ils m’ont permis de faire du sur-mesure pour mes dialogues. Avec ma langue de parisien, je peux les adapter à un langage de la rue marseillaise. Du moment qu’on tourne, il n’y a pas d’improvisation. L’impression de réalité, que ce n’est pas écrit, c’est une volonté d’authenticité que je recherchais. Après, le film de genre est exigeant, il fallait être précis sur ce que je voulais, pour conserver cette tension dramatique que je voulais insuffler au film.

Quelles ont été vos influences cinématographiques sur ce film ?
J’ai été très influencé par la réalité que j’ai côtoyée depuis vingt ans et surtout depuis Khamsa. Mais s’il y en a une que je pourrais revendiquer, c’est The Wire, la série américaine (N.D.L.R : Sur écoute en français), notamment sur le personnage de Sofiane. C’est un chef œuvre absolu. C’est une série de divertissement mais en même temps c’est plus que du cinéma. C’est de la sociologie, de la politique. C’est une analyse fantastique. Il n’y a aucune série américaine et française qui lui arrive à la cheville. C’est une référence que je revendique.

Votre manière brute de filmer les quartiers semble faire de vous un cinéaste engagé. Est-ce que vous considérez ce film comme un acte politique ?
C’est un geste politique total. Mais c’est avant tout une œuvre de cinéma au service de l’ouverture d’un débat. Il y a de nombreux thèmes dans Chouf qui sont sous-jacents : la G-ghettoïsation, les guerres fratricides de ces jeunes, la jeunesse sacrifiée, la légalisation du cannabis, l’hypocrisie des politiques qui a engendrée cette situation en la laissant perdurer, la misère sociale, le déterminisme social… Si mon film va permettre de discuter avec son voisin, je suis content. Tout geste artistique est politique.

Chouf 
de Karim Dridi 


avec Sofian Khammes, Foued Nabba, Zine Darar, Oussama Abdul Aal 


1h48 / Pyramide Distribution 
Date de sortie : 5 octobre 2016

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