Loïs Le Van, comment avez-vous découvert le Jazz ?
Mes parents écoutaient du jazz et ils m’emmenaient au festival de jazz à Vienne quand j’étais petit, donc j’ai toujours écouté du jazz. Vers 16/17 ans, j’ai assisté à un concert de Daniel Mille à l’Amphijazz de l’opéra de Lyon, c’était magnifique, magique… Pour moi, c’est vraiment là que j’ai découvert le Jazz.
Quels sont vos premiers souvenirs d’écoute ? Et quels sont les artistes qui vous ont inspirés ?
Mon premier souvenir d’une écoute jazz est certainement Pat Metheny, nous écoutions cela avec mon père à fond dans la voiture en partant en vacances et on chantait les mélodies. Ensuite il y a donc eu Daniel Mille, je connais tous ses albums par cœur. C’est après ce concert que j’ai commencé à écouter du Jazz et c’est un peu après cette période que j’ai découvert Chet Baker. C’est devenu une vraie obsession. Je n’écoutais que ça. Puis il y a eu Charly Haden, Carla Bley, Paul Bley, le quartet européen de Keith Jarret avec Garbarek, Kenny Wheeler, John Taylor… En fait je suis vraiment un enfant du label ECM, j’achetais des albums d’inconnus uniquement car c’était sous le label ECM. Je marche assez par obsession, j’ai eu une grande période Lenny Tristano et ses disciples avec principalement Lee Konitz. Voilà les premiers artistes qui m’ont inspirés. J’ai toujours été un grand consommateur de musique.
Loïs Le Van : « Le premier pas est d’accorder une immense importance aux mots car aucun autre instrument ne peut en faire autant.»
Comment définiriez-vous votre héritage vocal ?
Kurt Cobain et Bob Marley ! Mais en Jazz, au départ à part Chet Baker, j’écoutais très peu de chanteurs. Mon rapport à la voix et au jazz était très instrumental, comme souvent en France d’ailleurs. Un de mes grands héros était dans cette veine Bobby Mc Ferrin. Puis il y a eu Jeanne Lee et Shirley Horn que j’ai eu la chance de voir en concert et ça m’a bouleversé. J’ai compris bien plus tard que mon rapport instrumental à la voix était biaisé, qu’il fallait que je travaille ce que mon instrument avait d’unique, et non pas juste imiter les autres instruments. Je souhaitais vraiment travailler la voix comme un instrument à part entière. Le premier pas est d’accorder une immense importance aux mots car aucun autre instrument ne peut en faire autant. Tout ça pour dire que je continue à travailler mon héritage, je n’envisage pas le jazz de façon verticale, et là par exemple pour cet album So Much More, en y repensant, il y a très clairement l’influence d’Abbey Lincoln que j’écoute vraiment depuis 3 ou 4 ans, notamment l’album Abbey sings Abbey.
D’après ce qu’on lit, la constitution du quartet pour cet album a été un choix qui a demandé une grande maturation sur les artistes associés au projet. Est-ce le cas ?
Oui tout à fait ! Je voulais faire un CD avec une approche vraiment Jazz où je laisse les artistes être qui ils sont vraiment, dans le cadre musical que j’apporte, pour qu’ils s’en emparent, qu’ils deviennent irremplaçables juste par leur façon de jouer. Et pour ça il faut des musiciens très impliqués. Il fallait que nos 4 identités s’accordent et se discordent parfaitement. Ce n’est pas une mince affaire. Je voulais aussi faire ce CD avec des artistes qui ne sont d’abord pas des amis, qu’il n’y ait que la musique sans aucun rapport affectif. Au départ ce que j’avais en tête comme façon de jouer ma musique, n’était pas du tout le rendu final de So Much More, mais mon envie de me surprendre moi même l’a emporté. C’est ça qui a demandé une grande maturation, de faire confiance à l’inconnu et à l’intuition que ça allait marcher tous les 4.
Et je suis vraiment content du résultat, j’entends la personnalité de chacun, ce sont tous des vrais jazzmen, avec la culture, la pratique, et l’esprit. Ce qui marche si bien finalement, c’est qu’ils ont tous un rapport très différent au jazz actuel.
Un enregistrement réalisé en studio en un temps record. Pouvez-vous nous en dire quelques mots ?
Je ne sais pas si c’est record. Bruno Ruder m’a justement raconté une anecdote d’un enregistrement de Paul Bley qui a presque duré le temps du disque, juste le temps de s’installer au piano. Oui, l’enregistrement a été rapide, le but était justement d’avoir un rapport très jazz à l’enregistrement, quelque chose de très frais qui demande du coup une grande concentration et qui force à une écoute constante. De vraiment se mettre dans une forme de « danger » pour être dans une certaine urgence. C’est peut être dû à l’environnement économiqe. On ne laisse plus de place au hasard car cela coûte trop cher, mais il y a peu de CD de Jazz actuel que j’entends où on ne sent pas que tout est ultra rodé, bien léché, que finalement l’enregistrement est juste une formalité. Donc là nous nous sommes rencontrés tous les 4 pour la première fois juste avant d’entrer en studio. Le contact a tout de suite été très fluide et je me suis un peu détendu. Chacun apportait ses idées qu’on essayait mais on n’a jamais répété un morceau plusieurs fois jusqu’à le rendre parfait. On a essayé des bouts d’idées et on notait des structures pour le studio. Les prises que j’ai choisies sont soit la première, soit la seconde, sauf une fois où le morceau a vraiment évolué sur 1 jour et demi. Je suis très heureux d’avoir été assez fou pour tenter ce pari, j’ai l’impression qu’aujourd’hui fonctionner comme ça, c’est presque politique.
« Au mot « interpréter », j’ai toujours préféré le mot « transmettre » qui me semble mieux rendre compte de ce que devrait être l’attitude de ceux qui sont chargés de porter à la lumière une œuvre », Nadia Boulanger
Pouvez-vous nous donner votre vision du chanteur de Jazz dans l’univers musical actuel ? Comment vous positionnez-vous personnellement dans le monde du Jazz ?
Ma vision du chanteur de jazz aujourd’hui ? J’ai l’impression que c’est comme depuis toujours (encore une fois ma vision horizontale du jazz), il y a les chanteurs qui cherchent à être le plus sincère possible avec ce qu’ils sont, qui construisent leur propre rapport au jazz, qui cherchent leur vérité au delà des styles et qui deviennent uniques malgré eux ; je pense notamment à Théo Bleckmann, David Linx, Manu Domergue, Thierry Péala, Gabor Winand, Jamie Cullum, Grzegorz Karnas, ou encore Andreas Schearer. Et puis il y a ceux qui « surfent » sur l’idée la plus populaire du jazz vocal et quand on est un homme, il n’y a pas beaucoup d’alternatives : c’est soit de faire le crooner ou, depuis quelques années, de chanter un peu « Soul ». Pour ma part, je ne me positionne pas dans le monde du jazz, car qui dit positionnement dit calcul ou politique. Tout ce que je peux dire c’est que je ne fais les choses que s’il y a une sincérité profonde, le but est simplement de faire de la musique que j’aurais envie d’écouter. Je ne cherche pas à être différent pour être différent, juste à être moi. Il y a une citation de Nadia Boulanger qui me parle beaucoup et qui peut-être en dit plus que je pourrais le faire sur mon rapport au jazz vocal : « au mot ‘interpréter’, j’ai toujours préféré le mot ‘transmettre’ qui me semble mieux rendre compte de ce que devrait être l’attitude de ceux qui sont chargés de porter à la lumière une œuvre (…). Dès que c’est l’interprète qui domine, l’interprète gagne mais l’oeuvre perd ».
« So Much More », un album de 10 morceaux composés par vous même et écrit par François Vaiana. Pouvez-vous nous dire quelques mots sur la construction d’un album comme celui-ci ?
Très simplement. Une des valeurs du jazz qui me parle le plus c’est que c’est une réaction du jazzman à ce qu’il a fait avant et une réaction à ce qui l’entoure culturellement. La construction de cet album n’échappe pas à cette règle.
Mon CD d’avant est arrangé pour sextet avec une certaine recherche dans l’écriture et du coup, l’écriture enferme un peu. Là, par réaction, j’ai voulu écrire de façon très simple, juste des belles mélodies sur des enchainements d’accords limpides : comme des standards de jazz, pour que chaque musicien soit vraiment libre. Pour les textes, ça fait un moment que je bosse avec François Vaiana, nous commençons à bien nous connaître. Quand un morceau est fini, je lui envoie avec un petit enregistrement de mauvaise qualité (j’enregistre avec mon téléphone, tout seul avec la voix et le piano). Ensuite; il prend le temps d’écrire des choses magnifiques qu’il me renvoie. Il n’y a pas une fois où j’ai voulu qu’il change un mot, c’est parfait. C’est comme si je recevais un morceau de quelqu’un d’autre, je me retrouve dans la position d’interprète de nouveau, j’apprends le texte par cœur et je trouve le sens que je veux lui mettre. Les textes de François sont assez poétiques et il écrit très intelligemment. Je me refuse à lui demander les « clefs » pour avoir le sens exact qu’il a voulu et des fois je découvre un autre niveau de compréhension qui m’avait échappé.
Ensuite pour la construction de l’album, c’est simple, à l’ancienne, tout est cohérent par avance car il n’y a que François qui écrit les textes, c’est ma musique et il n’y a pas d’invités, c’est les mêmes musiciens. Nous avons enregistré les morceaux que j’entendais pour cette formation et j’ai choisi l’ordre des morceaux par la suite. Il y a juste la reprise de Robert Wyatt que je voulais pour faire un contrepoint et c’est aussi une sorte de blague car c’est le seul morceau qui ne veut textuellement rien dire, ce ne sont que des onomatopées.
Loïs Le Van : « Ce titre « So Much More », « tellement plus » en Français, pour dire que je voulais exprimer des choses au delà des notes de musique.»
Vous avez beaucoup voyagé notamment en Belgique et aux USA. Que vous a apporté artistiquement cette période loin de vos racines ?
De savoir ce qu’est vraiment une bonne bière ! Quand je suis parti aux U.S.A j’avais tout à apprendre, j’y ai passé beaucoup de temps à assimiler les outils de la musique (solfège, harmonie et autre). Ce qui a de bien là-bas, c’est que le jazz fait partie de la culture populaire. Tu entres dans un fast food et tu peux autant entendre Ella que Beyoncé, c’est peut-être cela qui m’a le plus apporté, que ce soit sur le même plan dans l’imaginaire collectif. Pour la Belgique, j’étais au conservatoire dans une super structure où tous les professeurs sont des artistes qui tournent (Stéphane Galland, David Linx, Diederick Wissels, Nathalie Laurier etc). C’est génial de saisir une pédagogie liée à la pratique. De voir des artistes qui font tous un jazz différent mais qui sont liés par « un esprit », par une tradition. Bref, la Belgique ça m’a permis de me trouver.
Aujourd’hui, quel regard portez-vous sur le chemin parcouru depuis votre premier album The Other Side qui fait étrangement penser à un titre des Doors ?
J’ai pris quelques rides et un peu de ventre. Je venais de rentrer en France et de finir mes études en faisant « The Other Side ». Depuis le premier album, sur le chemin j’ai rencontré des musiciens français avec qui j’ai très envie de travailler, et d’autres personnes du « milieu ». Le regard que j’ai sur ce chemin c’est que pour faire une musique sans concession même si elle est accessible, on est tout seul. Sauf exception, on ne peut finalement compter sur personne pour vous aider à la défendre et j’ai donc décidé pour cet album de fabriquer mes armes (visuels et communication) et de le défendre moi même sans n’attendre rien de personne.
Travaillez-vous déjà sur un nouveau projet, Loïs le Van ?
Oui, plusieurs même … J’ai d’abord la chance de travailler sur 2 projets qui ne sont pas les miens, où je suis sideman : le nouveau groupe de Seb Necca (batteur français), en quintet avec batterie, basse, vibra et sax. Nous enregistrons ses compositions cet automne. Je fais aussi partie du nouveau quartet de Tom Bourgeois (saxophoniste basé à Bruxelles) avec saxophone, guitare et accordéon, une musique aussi très personnelle. Nous avons quelques concerts à Bruxelles pour rôder la musique : j’ai hâte. Pour les projets que je lead ou co-lead : on vient d’enregistrer une démo avec Paul Jarret (guitare) et Sandrine Marchetti (piano), on fonctionne comme groupe, chacun amène du matériel, le groupe s’appelle VIND, on fait une musique que j’ai toujours rêvé de faire, je suis hyper heureux et pour le coup je chante très peu de paroles. Avec Delphine Latil, une harpiste classique, on est en train de mettre en place un répertoire arrangé et composé pour nous par Daniel Goyone, un des compositeurs issus du jazz que je préfère. C’est une sacrée expérience, ça fait 2 ans qu’on est dessus, on fonctionne en aller-retour avec des enregistrements que l’on fait de sa musique. Après une résidence en septembre, j’enregistre en Janvier avec le Bravo Big Band mes compositions arrangées par Thomas Mayade et Sandrine Marchetti, je pense que ça sera le prochain CD que je sortirai sous mon nom. Et puis j’ai aussi dans l’idée de réenregistrer avec le sextet, je prends le temps d’écrire une musique « sur mesure » différente du premier CD. Voilà pour mes projets les plus concrets.
Pour finir, quel est message du titre de votre album ?
Ce titre « So Much More », « tellement plus » en Français, pour dire que je voulais exprimer des choses au delà des notes de musique. C’est ce que j’aime dans la musique, c’est comme ça que je l’écoute : ressentir cette chose inexplicable, qui est autre chose que la traduction de notes en son et qui nous renvoie à ce qu’on est de plus humain. En enlevant la batterie, en laissant parler le silence, en n’étant que 4, dans un certain minimalisme, on peut exprimer tellement plus de choses et plus subtilement : « less is more » !
Lois Le Van
So Much More
Hevhetia/Muséa
À lire aussi dans Le Jazz Club : nos actualités Jazz :
Irina-R : « Sailing Home est un peu mon histoire »
Sari Kessler : une carrière tardive dans le Jazz