Un plaisir de lecture immense au coeur de la jungle birmane où la rivalité entre Angela McCloud, une femme pilote, et Jink FalkenBurg, une star d’Hollywood qui vient remonter le moral des troupes grâce à des shows dans les bases, fait rage dans un récit passionnant de bout en bout. Nous avons interrogé les deux créateurs d’Angel Wings pour en savoir un peu plus sur cette belle aventure et son idée fondatrice.
Quelle est la genèse d’Angel Wings ? Comment s’est porté le choix du titre ?
Romain Hugault : Tout d’abord c’est cette idée d’après «le pilote à l’Edelweiss» qui se passe en 14-18, de revenir sur des sujets qui nous passionnent, à savoir les avions à hélices de la Seconde Guerre mondiale et ses héros et héroïnes qui les pilotaient. Nous avions envie également de structurer la série autour d’une héroïne, Angela, un personnage au caractère bien trempé qui faisait partie des WASP (Woman Air Force Service Pilots). C’était une escadrille de filles qui livrait les avions depuis les usines jusqu’aux bateaux pour partir au front. Un boulot ingrat mais indispensable !
Qu’est ce qui vous plus dans l’histoire de ces WASP ?
Romain Hugault : D’une part, le fait que ces filles n’avaient pas du tout oublié leur côté glamour même si elle faisaient ce que l’on considérait à l’époque comme un boulot d’homme. Les photos d’époque prouvent qu’on peut piloter un bombardier quadrimoteur B17 avec le rouge à lèvres parfaitement posé.
Il y avait également une grande injustice car ces filles avaient participé à l’effort de guerre et elles n’obtenaient aucune reconnaissance de l’état major.
Yann : C’est la confrontation entre l’une de ces jeunes filles, âgée d’une vingtaine d’années et la réalité brute et sordide du théâtre d’opération autour de minuscules bases aériennes, rudimentaires, noyées dans l’enfer vert, en Assam et en Birmanie. Ce qui nous intéressait, c’était de jouer sur le contraste de la rencontre impropable entre une jeune «Wasp», dans les deux sens du terme, (White, Anglo-Saxon, Protestant) et de jeunes gars à peine sortis de leur patelin, en rut, privés de tout , et devant non seulement affronter les appareils japonais, mais aussi la malaria, la dysenterie, les fièvres et la Mousson… L’irruption surréaliste de cet élément féminin nous ouvrait un «champ des possibles» séduisant.
Quelles sont les principales difficultés en tant que scénariste et dessinateur lorsqu’on décide de s’attaquer à une réalité historique aussi bien dans le scénario que dans le dessin ?
Romain Hugault : Pour ma part dans le dessin, s’attaquer à une réalité historique est d’un côté un soutien car toute la documentation permet de dessiner les choses le plus précisément possible mais d’un autre côté c’est un challenge car il faut justement dessiner ces éléments de la façon la plus juste possible. Les spécialistes veillent au grain quand on essaie de s’attaquer à un sujet historique. Puis le grand public n’est pas dupe quand il sent que l’on fait les choses en dilettante.
Yann : Moi qui n’ai piloté d’avion que dans les fêtes foraines, j’ai la chance inouïe de pouvoir compter sur les connaissances aéronautiques éprouvées de Romain, qui vole lui-même à bord d’un authentique Piper Cub de 1945… Mon rôle consiste donc principalement à bâtir l’intrigue, à structurer l’arc narratif, et à étoffer la personnalité de nos acteurs de papier… le tout sans me retrouver noyé dans la documentation et la complexité des opérations et des aléas de la chronologie! Je pense que nous nous complétons bien !
Yann, comment se sont orientées vos recherches, les informations récoltées ainsi que la constitution du scénario ? Vous êtes vous appuyé sur des spécialistes de la période pour alimenter votre création ?
Yann : La moindre des choses, c’était de rechercher tout ce qui avait été publié sur le sujet; je cherchais aussi les témoignages de pilotes ayant combattus sur le front «CBI» (Chine/ Birmanie/ Inde); j’ai fini par trouver celui de Paul Eastman, du 90th FS des «Burma Banshees»; de son côté, Romain est entré en contact par l’intermédiaire de son fils, avec l’un des «As» de ces «Banshees», toujours en vie, Philip Adair, qui a relu les pages et accepté de préfacer l’album ! Une chance que nous n’avons pas eue, hélas, avec l’une des dernières survivantes des «Sorcières de la nuit», les femmes pilotes soviétiques qui combattaient les nazis à bord de vieux biplans dépassés et que nous sommes parvenus à contacter trop tard…
Même question pour vous, Romain, tant on imagine que, dans le domaine de l’aviation, il est important de respecter au mieux dans le dessins les appareils de l’époque ?
Romain Hugault : Bien sûr, il serait complètement fou de faire une BD historique en se trompant grossièrement de type d’avion ou de matériel. Je suis donc aidé par des spécialistes et des historiens pour tous les détails mécaniques, les équipements et les uniformes.
Comment se déroule le projet entre vous ? Chacun travaille-t-il de son côté en mettant commun vos avancées de façon régulière ou vous préférez vous avoir une vision globale à la fin de vos travaux respectifs pour ajuster les planches et le scénario ?
Romain Hugault : Nous travaillons aile dans aile. Nous avons une vision globale de l’histoire mais elle change souvent au fur et à mesure de l’avancée des planches. En effet, quand Yann voit mes planches au fur et à mesure que je les dessine, ça lui ouvre des nouvelles pistes. De plus, le scénario de Yann nourrit mon dessin en nouvelles idées de scènes. C’est un cercle vertueux.
Est-ce que les personnages de Jinx et d’Angela sont-ils purement fictifs ? Comment avez-vous imaginé cette rivalité féminine dans le scénario, Yann ?
Yann : Encore une fois, c’est une question de contraste narratif. La confrontation entre notre «cendrillon» en uniforme de service, couverte de cambouis et d’huile de moteur et la «Pin up» glamour en bas de soie, venue remonter le moral des troupes, allait forcément faire des étincelles.
Jinx Falkenburg a vraiment existé; d’une beauté à couper net le carburateur d’un vieux pilote chevronné, elle avait un cran incroyable. Parmi toutes les filles d’Hollywood qui partirent faire des tournées sur le front CBI, c’est la seule qui honora toutes ses prestations, sans rechigner, jusqu’à la dernière, avec enthousiasme, malgré fièvres, moustiques et pluies ! Elle a été plébiscitée comme «La» starlette la plus populaire par le «CBI Round Up», la revue des GI ‘s combattant en Birmanie. Pour notre Angela Mc Cloud, je me suis inspiré de Nancy Love, une WASP ayant piloté un C-46 au-dessus de l’Himalaya, pour venir ravitailler les troupes… un job éprouvant et dangereux.
Vous pouvez nous dire quelques mots de Rob, l’as des Burma Banshees, partagé entre Jinx et Angela ?
Yann : Rob est un «As» courageux et un peu casse-cou mais doté d’un «coeur d’artichaut» qui oscille entre le glamour sophistiqué de la Pin-up et l’authenticité plus rustique mais plus sincère d’Angela; son drame, c’est qu’il aime les deux !
Le dessin de Jinx et d’Angela a ce côté très plantureux, charnel et généreux qui place la lecture dans l’atmosphère typique de ces années-là. Romain, comment avez-vous appréhendé votre dessin pour chacune d’entre elles afin d’incarner au mieux cette réalité ?
Romain Hugault : Non j’ai tout simplement suivi mon instinct et mon goût pour les filles pulpeuses. Cela dit la mode à l’époque n’était pas à la maigreur de la taille mannequin actuelle, donc en plus historiquement c’est juste. Par ailleurs, j’ai essayé de dessiner Jinx Falkenburg comme elle était car le personnage existait vraiement. Pour Angela, j’ai laissé ma fantaisie s’exprimer.
Romain, vous êtes vous-même fils de colonel de l’armée de l’air et pilote. Comment Angels Wings résonne en vous ? N’est-ce pas la meilleure façon de conjuguer vos deux passions que sont l’aviation et le dessin ? De plus, cette BD a l’immense qualité, nous a t-il semblé, de ne pas s’adresser qu’à des férus ou à des spécialistes de l’aviation ? Qu’en est-il ?
Romain Hugault : Il en est que vous avez raison sur toute la ligne. La bande dessinée d’aviation est effectivement le comble pour moi qui aime le dessin et les avions. De plus, l’axe choisi avec Yann et de faire une BD pointue sur un sujet historique et technique comme l’aviation mais en écrivant une vraie histoire de fiction qui plaise à tout le monde, même aux gens qui ne connaissent rien en aéronautique. Nous racontons avant tout des histoires de personnages et nous n’essayons pas d’épater la galerie en surchargeant de connaissances techniques rébarbatives.
Yann, on vous sait très attaché à la recherche et dans la documentation lors de l’écriture de vos scénarios. Qu’est ce qui a vous a passionné dans cette série Angel Wings ?
Yann: J’ignorais l’existence de ces «Burma Banshees» avant que Romain m’en parle. En fouillant dans la documentation, j’ai découvert un sujet passionnant et peu connu, ce qui est toujours très excitant et stimulant pour un scénariste fan d’aviation.
Romain, Yann : Combien de tomes sont prévus sur la série Angel Wings ? Si vous deviez définir cette BD en deux mots pour nos lecteurs qui ne la connaissent pas encore , quels seraient-ils ( hormis Angels Wings ) ?
Romain Hugault : Nous finissons le premier cycle de trois tomes l’année prochaine pour Noël 2016). Mais nous sommes tellement attachés à cette série que je pense que nous allons écrire une suite. En deux mots, Angel Wings c’est de la guerre et du glamour.
Yann: Le sujet est tellement riche que ce serait dommage de ne pas l’exploiter à fond; d’autant que pour chacune de nos trilogies, il est souvent nécessaire de consacrer une bonne partie du premier tome à «l’exposition» du sujet, du décor, du contexte, à la problématique de l’intrigue, et à la présentation des divers protagonistes; puisqu’à présent c’est fait, cela va nous permettre de foncer directement au coeur de l’action !
Angel Wings
Romain Hugault
T.1 – Burma Banshees
T.2 – Black Window
Hugault & Yann
14 euros
(Visuels © Editions Paquet)
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