Hikikomori: portrait tortueux d’un enfant en souffrance
Par Florence Yérémian – Nils est ce que l’on appelle un « Hikikomori »: replié sur lui-même il n’ose plus côtoyer ses camarades de classe et s’est définitivement enfermé dans sa chambre. Assisté par ses parents, il dort dans ce refuge, mange et y passe son temps seul, connecté à des écrans. Coupé de la réalité sociale qu’il ne parvient plus à affronter, il refuse toute communication et ne sort même pas de sa cellule pour satisfaire ses besoins corporels…
Selon le metteur en scène, un tel état d’enfermement est caractéristique de dix pour-cent de la population japonaise et touche de plus en plus de jeunes. A priori, les Hikikomori sont souvent des personnes manquant de confiance en elles ou victimes de vexation. Ne pouvant supporter une pression sociale ou scolaire, elles finissent par s’isoler chez leurs parents durant de très longues périodes pouvant atteindre des années! Ce phénomène va bien au-delà de l’amusant « Tanguy » qui parasite notre société occidentale: au Japon les Hikikomori sont en phase de devenir l’objet d’une véritable pathologie car cette défaillance comportementale apporte non seulement une affliction physico-psychique au patient mais également à l’ensemble de sa famille.
En choisissant d’aborder ce sujet grave, Joris Mathieu ne fait pas dans la facilité. Optant volontairement pour une orchestration sombre et suffocante, il entraine son public dans un spectacle excessivement pesant. Sur scène se trouvent trois protagonistes sans traits particuliers qui s’effacent derrière la thématique de la souffrance: il y a le père irresponsable, la mère soumise et leur enfant prostré. Dans une narration lente et monocorde, le public découvre cette réalité étouffante à la limite du supportable. Afin de sensibiliser le plus de monde, Joris Mathieu a choisi de prodiguer des casques audio racontant cette histoire selon les différentes tranches d’âge de ses auditeurs. Il y a donc trois degrés de compréhension possibles à sa partition théâtrale: l’un pour les enfants, l’autre pour les adolescents et le dernier destinés aux adultes. En fonction de votre choix de casque, vous entendrez le ressenti du père ou celui de Nils tout en regardant ces tristes personnages se mouvoir au sein d’un intéressant dispositif scénique: du début à la fin de la pièce, les parents évoluent en effet de part et d’autre d’un écran géant sur lequel se projettent les rêves et les craintes de leur fils. Ce dernier est symboliquement prostré dans une chambre suggérée par une porte fermée qui s’ouvre et se ferme selon ses besoins corporels et nutritifs.
En assistant à cet enfermement volontaire, une impression d’asphyxie et de sourde révolte nous envahit: on ressent non seulement le mal-être de l’enfant mais aussi la passivité, voire la complicité inconsciente des parents dans cette chute existentielle. Désorienté face à l’isolement de leur progéniture, ce couple semble avoir à son tour perdu tout sens des réalités et s’être laissé entrainer dans un jeu horriblement destructeur.
En ne mettant en avant que l’aspect oppressant d’une telle situation familiale, Joris Mathieu a choisi un axe bien trop restrictif pour parler des Hikikomori. Entre l’apathie de ses personnages et l’esthétique macabre de sa mise en scène, il ne fait que constater ce phénomène étrange sans vouloir le dénoncer. Sa pièce en effet se perd dans des divagations oniriques sans tenter de proposer un dialogue ou une issue de secours à ce drame contemporain qui demeure encore aujourd’hui un véritable tabou au pays du soleil levant. On voudrait le voir dénoncer la toute puissance de l’enfant roi, l’absence d’autorité des parents ou la pression inadmissible que les écoles japonaises font peser sur leurs élèves. Le spectacle demeure cependant inutilement clos et fermé sur lui-même.
Il faut en conséquence prendre beaucoup de recul pour voir cette pièce notamment pour les adolescents car elle est à double tranchant: certes un tel drame théâtral les fait réfléchir sur leur propre dépendance aux écrans et aux mondes virtuels, mais l’effet d’un tel spectacle peut également être nocif car un jeune sans repère reproduit facilement un schéma comportemental, ne serait-ce que par simple mimétisme culturel.
A vous de voir donc si vous souhaitez y emmener vos ados. Nous vous déconseillons cependant d’y convier les moins de 14 ans comme le suggère de façon aberrante l’auteur : cette pièce est bien trop violente et oppressante pour des enfants ! A se demander s’il en est conscient ?…
Hikikomori? Un sujet intéressant au traitement excessivement glauque: le message ne passe pas !
Hikikomori – Le refuge
Ecriture et mise en scène : Joris Mathieu
Avec Philippe Chareyron, Vincent Hermano, Marion Talotti
Théâtre Le Monfort
Grande salle
106, rue Brancion – Paris 15e
Du 19 au 30 janvier 2016
Réservations: 0156083388
www.lemonfort.fr
Tournée pour Hikikomori :
> du 03 au 05 février 2016 : T .U Nantes > du 11 au 12 février 2016 : L’Arc – Scène nationale Le Creusot
> du 22 au 26 février 2016 : Le Grand R – Scène nationale La Roche-sur-Yon
> du 02 au 05 mars 2016 : Le Trident – Scène nationale Cherbourg-Octeville
> du 09 au 11 mars 2016 : L’Espace Jean Legendre – Théâtre de Compiègne
> du 15 au 17 mars 2016 : L’Hexagone – Scène nationale Arts Sciences, Meylan > du 30 mars au 01 avril 2016 : Le Merlan – Scène nationale, Marseille
> du 05 au 08 avril 2016 : La Comédie de Saint-Etienne – CDN de Saint-Etienne
> du 03 au 04 mai 2016 : T héâtre d’Arles > du 25 au 27 mai 2016 : Bonlieu – Scène nationale Annecy
À PARTIR D’OCTOBRE 2016
> Théâtre Nouvelle Génération – CDN Lyon
> Théâtre de l’Union – CDN du Limousin > L’espace Malraux – Scène nationale de Chambéry
> Festival Les Théâtrales du Val de Marne > Théâtre d’Aurillac
> Théâtre Am Stram Gram – Genève
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