Médias : la presse littéraire va mal

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Par Emmanuelle de Boysson – Malaise dans la presse littéraire, ventes des romans en baisse, mais quelques raisons de se réjouir avant les fêtes. Rien ne va plus dans la presse littéraire. Départ de François Busnel de « Lire », redressement judiciaire pour « Le Magazine littéraire » et une « Nouvelle Quinzaine littéraire » au bord de l’implosion : le malaise ne s’explique pas seulement par la crise générale des médias.

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En ce qui concerne le groupe « L’Express », l’arrivée du nouvel actionnaire, Patrick Drahi (qui possède également « Libération » et des parts dans le groupe NextRadioTV), serait une des raisons du départ de François Busnel. Le producteur et animateur de « La Grande Librairie » a annoncé sa décision de quitter la direction du mensuel « Lire » et son poste d’éditorialiste à « L’Express ». De plus, les journalistes de L’Express ont adopté une motion de défiance contre le nouvel actionnaire du groupe et le directeur des rédactions, Christophe Barbier, pour protester contre un plan social qui prévoit le départ de 125 salariés et huit pigistes permanents au sein du groupe, qui rassemble des titres comme « L’Express, L’Expansion, Mieux vivre votre argent, Point de vue, Studio Cinélive, L’Etudiant ou Lire ». Quelque 115 journalistes du groupe auraient décidé de partir dans le cadre de la clause de cession après le rachat par Patrick Drahi. Au bout du compte, le groupe passera de 700 à 500 salariés, avec une réduction d’environ un tiers des effectifs des rédactions. 200 salariés (ceux de « L’Etudiant » et de la régie) seront placés dans des filiales, avec une convention collective beaucoup moins favorable que celle de la presse. Le plan social vise notamment des cadres intermédiaires, les correcteurs et documentalistes ainsi que des commerciaux et des administratifs. « Lire » est distribué en moyenne à 53 000 exemplaires par mois selon l’OJD, accusant une baisse de son tirage de près de 7% entre 2014 et 2015. La crise de la presse en général touche aussi l’édition.
« Les livres se vendent mal. Les jeunes ne lisent plus », nous confiait récemment un éditeur. Lorsque je lui ai demandé pourquoi les éditeurs publient toujours autant, il a souri : « Faut bien faire fonctionner la planche à billets ».

« Les livres se vendent mal. Les jeunes ne lisent plus », nous confiait récemment un éditeur. Lorsque je lui ai demandé pourquoi les éditeurs publient toujours autant, il a souri : « Faut bien faire fonctionner la planche à billets »

Les chiffres sont là. Le syndical national de l’édition l’atteste. Pour 2014, il constate une forte baisse de la littérature malgré de beaux succès littéraires et un prix Nobel français. Baisse aussi des livres pratiques, d’enseignement scolaire, de la bande dessinée, des dictionnaires et autres encyclopédies. Les causes ? La croissance des ventes numériques, les rachats récents de certains groupes indépendants emblématiques, l’érosion du temps de lecture et de la part du budget moyen des ménages dédié à l’achat de livres. En revanche, les ouvrages sur le sport, le loisir, les essais politiques, les sciences humaines et sociales, les documents, les bouquins sur l’actualité, les livres d’art, de sciences et techniques, les cartes et atlas et l’édition religieuse marchent plutôt bien.

Contrairement à ce qu’on pourrait croire, les livres jeunesse se vendent aussi très bien. D’après une étude américaine, les adultes seraient friands des romans destinés aux adolescents. Autre bonne nouvelle : les petites maisons s’en sortent plutôt mieux que les grandes. Continuons donc à croire à ce métier artisanal, à la création et aux échanges qu’elle suscite.

Contrairement à ce qu’on pourrait croire, les livres jeunesse se vendent aussi très bien. D’après une étude américaine, les adultes seraient friands des romans destinés aux adolescents.

Avec son Goncourt à Mathias Enard, Actes Sud a la baraka. La maison a justement décidé de publier un ancien auteur jeunesse, Fabrice Colin avec « La Poupée de Kafka » et un roman drolatique de Céline Curiol : « Les vieux ne pleurent jamais ». On se régale d’avance de lire « François, le petit », de Patrick Rambaud, délicieux membre du jury de l’académie Goncourt, chez Grasset. François, le Petit porte une montre en plastique, des costumes bien trempés. Dans son palais de confetti, avec son casque visière, il règne, entouré de sa cour et de sa Pompadour. Vous l’avez deviné, avec monsieur «Moi président », Majesté François, roi de pacotille, on va bien rire. A lire aussi, « Les rois fous », de Claude-Henry du Bord, sorti en octobre aux éditions du Moment. L’auteur s’interroge : le pouvoir absolu favorise-t-il les névroses et la rage meurtrière ? De Caligula, travesti copulant avec la lune et coupeur de têtes, à Louis II de Bavière, homo honteux, obsédé par Wagner, les causes de la démence des souverains sont fatales : consanguinité, hérédité, syndrome de détresse, porphyrie, paranoïa, enfant martyr… La solitude que suppose l’exercice du pouvoir porterait à une forme insidieuse de folie que nos présidents s’exerceraient à masquer. Autre texte amusant à paraître début 2016 : « Les tribulations d’Arthur Show » de Thomas Lelu, chez Léo Scheer, satire féroce de l’art contemporain. Autre satire croustillante, celle de Yann Kernion, chez Buchet Chastel, « L’odyssée du pingouin cannibale », essai philosophique punck rock. De son côté, chez le même éditeur, J. M. Erre raconte comment l’apparition d’une soucoupe volante va bouleverser un petit village. Les extra terrestres iront jusqu’à tenter d’enlever un des habitants : c’est « Le Grand n’importe quoi » !

En cette fin d’année, rien de tel qu’une bonne dose d’humour. Mohammed Aïssaoui a eu l’excellente idée de publier : « Comment dit-on humour en arabe ? » dans la collection « Folio entre guillemets ». Associer humour et arabe, ce n’est vraiment pas tendance, et plutôt osé. Et, pourtant, il est peut-être plus que jamais temps de rire et de sourire. Oui, les Arabes ont de l’humour – aussi, et eux aussi! Cet humour est une forme de résistance à tous les obscurantismes. Il est un refuge pour beaucoup. D’où l’idée de ce petit livre qui recense des histoires drôles, des sketchs, des analyses, des citations… Bien sûr, il manquera toujours cette part invisible qui participe tant au rire : la gestuelle, l’accent, le jeu, les hésitations. Mais, tout de même, les textes en disent long. Énormément d’autodérision, un rire très politique – cette manière unique de se moquer de ses propres dirigeants plus ou moins élus, et plutôt moins que plus. Et une bonne dose d’ironie assaisonnée d’une pincée de burlesque. La première édition du Festival du livre de Marrakech qui a eu lieu les 24 et 25 octobre était sous le signe de l’énergie, de la chaleur humaine et de la créativité. Stéphane Guillot et Joschi Guitton, organisateurs du Salon L’île aux Livres de l’île de Ré, se sont associés avec Emmanuelle Sarrazin pour rassembler des talents : Pierre Bergé, président d’honneur, Patrick Poivre d’Arvor, Sapho, parrain et marraine, mais aussi une quarantaine d’auteurs marocains francophones ainsi que quelques auteurs français, libanais, haïtiens, indiens. Dédicaces, conférences ateliers et animations : deux journées denses et passionnantes. Parmi les écrivains invités : Mahi Binebine (« Le Seigneur vous le rendra »- Editions Le Fennec), Vénus Khoury-Ghata (« Le Livre des suppliques »-Mercure de France), Yanick Lahens (« Bain de lune »- Sabine Wespieser éditeur – prix Fémina 2014), Abdellah Taïa (« Un pays pour mourir »- Editions du Seuil), Leila Slimani (« Dans le jardin de l’ogre »- Editions Gallimard), Abdellah Taïa qui participa à une belle rencontre avec Pierre Bergé sur la création et tant d’autres… Autre bonheur : Jean d’Ormesson, cet éternel adolescent aux yeux malicieux, publiera en janvier, chez Gallimard, un livre de souvenirs, « Je dirai malgré tout que cette vie fut belle », un titre tiré d’un poème d’Aragon, pour lequel Jean d’Ormesson a toujours clamé son admiration. L’académicien n’avait pas publié chez Gallimard depuis 13 ans.

Tiens ! Une bonne initiative. Denis Lereffait et Krystin Vesterälen lancent des « défis fun » (pour le plaisir d’écrire tous ensemble). Deux défis par séance au cours desquelles une douzaine de personnes s’essayent à l’écriture, tenues par des contraintes de style ou de genre. Les ateliers ont lieu au Royal Est Restaurant, 129 rue du Faubourg Saint Martin, Paris 75010 à 19 h10 les jeudis. Et c’est gratuit. Alors, comme disait Pierre Desproges : « Les optimistes pensent que nous vivons dans le meilleur des mondes possibles, les pessimistes en sont intimement persuadés ».

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