Arnaud Le Guern : un roman comme une perle de culture

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Par Laurence Biava – Resté en lice durant les deux premières sélections du Renaudot 2015, le cinquième livre d’Arnaud le Guern, «Adieu aux espadrilles» se présente telle une très belle lettre à l’Aimée, Mado : une lettre écrite depuis Evian et sa plage des Mouettes.

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Le roman mélancolique, en vérité, ne raconte pas qu’une histoire d’amour mais plusieurs qui lentement, viennent s’immiscer au fil des pages. Comme dans le précédent ouvrage de l’auteur, on retrouve une trame scénaristique très prononcée, traversée amplement par quelques fantômes. Se cumulent pléthore de références littéraires et cinématographiques. Le lecteur goûte ce savant mélange entre légèreté et profondeur, touché par la sincérité qui se dégage du texte et la beauté des lignes très souvent féminines.. ..Ici, on croise aussi bien Dorothy Parker, que Chardonne, Breton, Tom Wolfe, Mac Inerney, Emma Sjoberg, Lindsay Lohan. L’écriture est un régal. D’une grande volupté. Le style est un modèle de ciselure, de précision, La narration, un exemple de justesse, de maîtrise, d’équilibre et de limpidité. On aime cette juxtaposition de paragraphes qui permettent au texte de «respirer».
Arnaud Le Guern a écrit un de meilleurs livres de cette rentrée Enfin quelqu’un d’érudit et sans suffisance aucune. Nullement écrasé par son savoir.
La mélancolie y est avérée, on l’a dit. Cela s’explique sans doute par l’évocation des maladies des «anciennes» et de quelques petites morts. Le côté un brin élitiste, chic et sexy donne au roman cet aspect tourmenté, légèrement crépusculaire.
La lecture est un régal. C’est la chair et chair et l’esprit mêlés, petit vécus dissimulés et entrevus entre parenthèses où l’on goûte à la douceur des choses. Adieu aux espadrilles est une Ode à la beauté, et au temps suranné, à la flânerie, faussement pastel, faussement édulcorée.. Au sens propre comme au figuré, ce livre questionne les étendues, les lignes horizontales et verticales, la métaphore est savante à propos de la beauté de la mer, des moments doux, du ciel : Evian, la plage des Mouettes, le Riva, les Clématites, la Frégate, l’Hôtel Bellevue, le Hilton, autant de noms qui éveillent les sens, d’où plongent les rituels du couple longuement dépeint. Un parfum rétro jalonne le roman en permanence.
Le dernier quart dit les choses plus brutales : les accidents de la vie. Ou comment exprimer cette dévastante rage face à des impasses que l’on ne peut franchir que seul. Des détails importants s’exposent sur les caractères des membres des familles, sur les maladies, les blessures, les ruptures, comme si cette longue lettre n’était qu’un prétexte pour les révéler dans ce Journal intime. Page 106, on est bouleversé par cet extrait d’une lettre d’un père à sa fille

«Je te raconterai encore des histoires. Je te raconterai que la guerre est perdue, mais que la guerre continue. Encore des cartouches, toujours des collets posés pour arracher au réel ses copeaux de lune, pour t’offrir une poignée d’or du temps. Je te parlerai des moulins à vent, de la Pointe Saint-Mathieu, du phare qui, là-bas, aiguille les tempêtes. Je te parlerai des rives du lac Léman, des Clématites, de mon oncle Pierre, de la plage des Mouettes. Et je parlerai d’André Breton, c’est-à-dire des mots les plus somptueux lâchés, tels des ballons, sur la peau de la femme – demoiselle, Lolita, jeune fille, femme fatale toujours ».
Adieu aux espadrilles est davantage qu’un bon roman. C’est un bijou littéraire, une perle de culture. Une figure de danse.

Arnaud Le Guern
Adieu aux espadrilles
Editions du Rocher – 150 pages

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