Aragon : le culte du paradoxe

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Par Marc Emile Baronheid – On a beaucoup biographié Aragon, homme de tous les contraires. Auteur intelligent, Philippe Forest, dernier en date, ne cherche pas l’ultime carat du scandale, dans le misérable petit tas de faux secrets dont l’évocation est désormais cadenassée par un succédané de Maria Kodama.

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« Aragon a été aimé autant que haï, admiré autant que décrié, à la fois pour de bonnes et de mauvaises raisons. Il ne s’agit dans ces pages ni de l’acquitter ni de le condamner, mais d’en revenir au mystère même de celui dont on a pu dire qu’il avait été sans doute « le dernier des géants de notre temps » »

Forest est un guide averti et serein. Son Aragon s’adresse à tous. Ce n’est pas le moindre mérite d’une somme au cheminement chronologique, que l’on peut aborder à n’importe quel carrefour. En voici quelques moments.

L’affaire Aragon : en 1932, il se voit inculper « d’excitation de militaires à la désobéissance et de provocation au meurtre dans un but de propagande anarchiste », pour un mauvais poème (mais il en était conscient le premier) en appelant à l’insurrection armée et exhortant le prolétariat à faire feu sur la police et à abattre les leaders socialistes. La levée de boucliers sera à la mesure de l’enjeu. Comparée à ce tohu-bohu, la récente affaire Erri de Luca paraît encore plus absurde.
La conspiration. Le silence relatif qui accompagne la sortie d’ Aurélien (1944) est le prétexte pour Elsa de dénoncer une conspiration dont le couple qu’elle forme avec Aragon est devenu la cible. « La calomnie, politique ou autre, atteignait à cette époque un degré monstrueux ; on s’acharnait sur nous deux, pour faire de nous des personnages odieux, des pestiférés ».
Les doubles funérailles d’Elsa. Elsa Triolet fut inhumée deux fois. Une première cérémonie, officielle et hypocrite, compta pour du beurre. La seconde, réservée aux amis sincères, est racontée avec la lucidité froide et tranchante qu’on lui connaît, par François Nourissier.

Défense du roman. Aragon oeuvrera durablement pour que soient disponibles en français les œuvres les plus représentatives de la littérature soviétique. Toutefois, son combat principal se livrera sur le front du roman, essentiellement français. Un texte comme « Réalisme socialiste et réalisme français » entend démontrer que, pour être authentique, la littérature doit adopter le réalisme et s’émanciper des charmes illusoires de l’imagination gratuite. On retournera aux pages antérieures de Défense de l’infini et de Traité du style, pour apprécier l’amplitude de la courbe rentrante …

Qui n’aura son Forest fera piètre figure.

« Aragon », Philippe Forest, Gallimard Biographies, 29 euros

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