Mais, à bien y regarder, cette mise en boîte stylistique serait confiner malheureusement son projet à un manque d’imagination artistique. C’est bien plus que cela tant cet album est un enchantement du début à la fin où n’importe qui ( s’entend, mélomane ou pas) trouvera forcément un morceau à la mesure de son plaisir. Jon Regen a accepté avec enthousiasme à répondre à nos questions. Passionnant.
Jon, un album incroyable ! D’où vient-il ?
Merci, c’est gentil. Je pense que mon nouvel album Stop Time est vraiment l’étape suivante quant à la progression de ma carrière en tant que chanteur, compositeur et pianiste. J’ai déjà publié sept albums jusqu’à aujourd’hui, en tant que leader – trois albums de jazz instrumental (From Left to Right en 1996, Live at the Blue Note en 2000 et Tel Aviv en 2001), et quatre albums en tant que chanteur/compositeur (Almost Home en 2004, Let It Go en 2008, Revolution en 2011 et maintenant Stop Time en 2015). En espérant à chaque fois, que vous créez un album et que vous sortez un recueil de chansons, évoluer en tant qu’artiste. Cette fois-ci, j’ai travaillé extrêmement dur pour amener ma musique à un niveau supérieur. Je veux toujours raconter une nouvelle histoire avec chaque nouveau projet que je présente, et je pense que, sur ce nouvel album Stop Time, vous êtes en mesure d’écouter la pratique musicale d’un nouveau niveau, dans tous les sens du terme.
Vous avez accompagné de grands artistes tels que Kyle Eastwood ou Jimmy Scott. Qu’avez-vous appris grâce à ces collaborations ?
J’ai eu la chance de travailler avec de grands musiciens, à la fois en tant que leader à mon compte, et lorsque le bon projet se présente, en tant que sideman. Dans le cas de Kyle Eastwood, j’ai rejoint son groupe en 1999, à l’âge de 29 ans. Faire partie de son groupe m’a permis de m’introduire en Europe en tant que musicien professionnel. Même si j’y avais été en vacances étant enfant, travailler avec Kyle m’a permis de me retrouver directement au centre du monde de la musique, de jouer dans des clubs et des festivals célèbres comme le New Morning à Paris, Jazz à Juan à Antibes et bien d’autres événements importants. Ce fut un réel plaisir de découvrir l’amour que l’Europe a pour tous les styles musicaux, et pour le jazz en particulier. J’emporte ces expériences avec moi jusqu’à aujourd’hui lorsque j’emmène mon groupe en tournée dans toute l’Europe et dans le monde entier. Jouer avec Kyle m’a également appris à mener un groupe – il était extrêmement généreux quant à sa façon de laisser ses musiciens « briller » sur scène. J’ai essayé d’apporter à mon travail, en tant que leader d’un groupe, ce sens de la collaboration et de la communauté.
Dans le cas de Jimmy Scott, j’ai appris des leçons de vie, à la fois musicales et personnelles. Je ne chantais pas beaucoup en 2001 lorsque j’ai rejoint son groupe – je me concentrais principalement sur le piano. Ainsi, pour avoir la chance d’apprendre à accompagner un véritable maître comme Jimmy, nuit après nuit sur le piano, il m’a appris à envelopper une partie de piano autour de paroles qu’un vocaliste chante. J’ai appris à formuler, à raconter une histoire avec une chanson et à le faire avec grâce et humilité. Je suis sûr qu’une partie de mon style vocal vient de ces années passées derrière le piano dans le groupe de Jimmy. Il m’a appris à être un chanteur téméraire. Il a dédié toute sa vie pour avoir une chance de mener sa carrière, et lorsqu’il l’a obtenue, il a profité de chaque instant. Je pense qu’il m’a également transmis ça. Il m’a appris à faire en sorte que chaque note compte.
Comment avez-vous pris la décision de vous lancer en solo il y a quelques années ?
Pour dire vrai, j’ai toujours mené mes propres groupes – allant de mon premier trio de jazz à l’âge de 17 ans dans ma ville natale du New Jersey (nous jouions dans un pub irlandais!), aux groupes de jazz que j’ai menés pendant ma scolarité lorsque j’étudiais avec le pianiste légendaire, Kenny Barron, et que je trimballais un Fender Rhodes dans ma voiture pour les concerts. Je pense que j’ai réalisé très tôt que deux choix étaient possibles en tant que musicien : vous pouvez attendre d’être « découvert » ou vous pouvez faire en sorte que vos propres chances se présentent à vous. Donc très tôt, j’ai appris à écrire mes propres chansons, à mener mes propres groupes, à organiser mes propres spectacles, à enregistrer mes propres albums et à me promouvoir. J’ai toujours travaillé en tant que sideman en même temps que je dirigeais mes groupes. Je pense qu’il est important que tous les musiciens comprennent de quoi il s’agit même s’ils veulent d’abord être des sidemen. Ceci vous permet d’apprendre à prendre le contrôle de votre propre destin, musicalement, financièrement et en tant qu’artiste à votre compte.
Ma carrière solo en tant que chanteur/compositeur a commencé en 2004 lorsque j’ai quitté le groupe de Jimmy Scott. J’étais réellement fier de l’avoir accompagné nuit après nuit, d’avoir joué des chansons comme “Pennies from Heaven”, “You Don’t Know What Love Is” et “Embraceable You”. Mais je pense que, dans mon cœur, j’ai réalisé que je ne racontais pas ma propre histoire, que j’avais besoin de découvrir à quoi ressembleraient mes propres chansons. J’ai toujours dit que les « références » devenaient uniquement des chansons de référence parce que quelqu’un avait eu le culot de les écrire ! J’ai donc décidé de saisir cette opportunité et d’écrire mes propres chansons. C’est là que j’ai recommencé à me connecter à la musique pop. J’adorais la musique populaire lorsque j’étais enfant, j’écoutais de tout, allant des Beatles, Sting et the Police à Duran Duran et d’autres groupes pop des années 80. Donc, lorsque j’ai songé à écrire mes propres chansons, j’ai essayé, de manière instinctive, de connecter la puissance et l’économie d’une chanson pop de 3 minutes avec la couleur et l’aventure que l’harmonie du jazz offre. Mon premier album en tant que chanteur/compositeur “Almost Home” s’est enregistré en seulement huit heures, le temps d’une journée. Mais il a changé le cours de ma carrière. Les gens ont écouté mes premiers morceaux et ont dit : « Qui c’est ? Puis-je l’engager ?” J’ai donc su que c’était un bon départ !
Pourriez-vous nous faire une confidence musicale sur Stop Time ?
Mon nouvel album Stop Time est arrivé après le succès de mon précédent album Revolution, que j’ai produit avec le plus grand pianiste/producteur Matt Rollings (Lyle Lovett, Mark Knopfler). Après avoir fait la tournée de cet album dans le monde entier pendant trois ans, j’ai su qu’il était temps de travailler sur le prochain album. Le titre au parfum de la Nouvelle Orléans a été écrit après une jam session avec l’acteur Jeremy Irons lors d’une fête à Londres (vous pouvez voir le clip dans la bande annonce de l’album sur https://youtu.be/IgDJU0K7shg.) Une fois que cette chansons était terminée, j’ai eu l’idée de collaborer avec le grand producteur britannique, John Porter (Ryan Adams, BB King, the Smiths, Rickie Lee Jones), parce qu’il vivait à La Nouvelle Orléans à cette époque. Nous avons envisagé de créer un album en utilisant des musiciens de La Nouvelle Orléans, mais John a eu des problèmes d’emploi du temps à la dernière minute. J’ai ensuite eu l’idée de rechercher le producteur Mitchell Froom (Randy Newman, Paul McCartney), et d’emmener l’album dans une direction complètement opposée. J’ai toujours été un grand fan du travail de Mitchell, et saisir la chance de travailler avec lui était une sensation forte. Mitchell a eu l’idée de créer un album plus “minimaliste”, qui se centre sur ma voix, ma façon de jouer du piano et, surtout, mes compositions. Il m’a poussé à continuer d’écrire jusqu’au dernier instant, et je l’ai fait. Il a été un excellent meneur et m’a vraiment poussé à creuser au plus profond pour obtenir les meilleures chansons que je puisse écrire.
Quel rôle cet album joue-t-il dans votre carrière ?
Je pense que seul l’avenir est en mesure de répondre à cette question ! J’espère que Stop Time est une étape supplémentaire dans mon évolution continue en tant qu’artiste. J’espère que les gens ressentiront l’honnêteté de la musique et qu’ils auront également envie de bouger. Et ce que j’espère par-dessus tout c’est que l’album sera présenté à des personnes et dans des lieux qui ne l’ont jamais écouté auparavant.
Nous ressentons une grande complicité avec vos musiciens. D’où vient-elle ?
Mon producteur Mitchell Froom a eu l’idée de me mettre avec Pete Thomas aux percussions et Davey Faragher à la basse, deux membres du groupe d’Elvis Costello, The Imposters. Son idée était d’avoir une section rythmique derrière moi qui s’écouterait comme s’ils étaient mon groupe de tournée. Et ils ont tellement de groove que vous ne pouvez pas vous empêcher de ressentir un soutien parfait grâce à leur façon de jouer. Enregistrer avec eux a été l’un des moments phares de ma carrière musicale. Je les ai même engagés pour jouer avec moi lors du concert de la sortie de l’album à New York, il y a quelques mois. Je sais pourquoi Elvis joue avec eux, ils sont incroyables !
Pourriez-vous expliquer la signification du titre de cet album «Stop Time» ?
Il y a un jeu de mot avec le titre. Évidemment, c’est le nom de l’une des chansons de l’album, une chanson qui est basée sur l’impression d’une sorte de marche « Temps d’Arrêt » de la Nouvelle Orléans. Mais au-delà de ça, l’idée qui se cache derrière le nom “Stop Time” était de rendre hommage au processus d’écriture de l’album, et où j’en étais dans ma vie lorsque j’ai écrit ces chansons. Juste avant d’enregistrer l’album, je venais de me marier. Ma femme m’a beaucoup appris quant au fait de savoir savourer le moment présent et de prêter attention aux petits détails de la vie. En tant qu’individu et, surtout, en tant que musicien, nous pouvons tellement nous faire attraper par le lendemain que nous perdons le fil du moment présent. Et donc en appelant l’album “Stop Time”, j’ai essayé de « Prêter attention au moment présent ». Je pense que beaucoup de chansons de cet album commémorent cette idée, ce que vous avez déjà et mieux que ce que vous pensez devoir avoir.
Comment définiriez-vous le style de cet album, étant donné que vous naviguez facilement entre le jazz, la pop et le rock ?
Je pense que c’est un album pop/jazz. Les chansons sont des chansons pop quant à leur conception, mais le “swing” et l’élément rythmique viennent du jazz. Pour moi, la musique, c’est de la musique. Je pense que surtout aujourd’hui, avec les personnes qui écoutent de la musique sur leur iPhone, sur Spotify et Apple Music, les frontières entre les styles musicaux deviennent de plus en plus floues. Les personnes écoutent ce qu’elles aiment, peu importe le style.
J’ai l’impression que vous ne vous mettez aucune barrière, vous créez et jouez comme bon vous semble. Est-ce le cas ?
Pour moi, la musique commence vraiment avec une réaction physique. La façon dont je joue du piano ou j’écris une chanson vient d’une étincelle dans mes mains ou mon cœur. Mon esprit entre en scène après coup. Je suis aussi inspiré et intéressé par Martha Argerich qui joue Schumann, que je le suis pour Herbie Hancock qui joue “Round Midnight” ou Sting qui chante “Roxanne”. Les belles mélodies, les harmonies addictives et les rythmes contagieux viennent de tous les styles de musique. C’est pourquoi je préfère m’ouvrir à tout.
Si vous deviez définir cet album en deux mots ?
Humour et cœur. C’est une description assez précise de ma musique et de ce que je suis !
Où pouvons-nous vous voir sur scène dans les semaines à venir ?
Vous pouvez me suivre sur www.jonregen.com pour connaître les dates de notre prochaine tournée et obtenir des informations complémentaires sur mes concerts. De nouveaux spectacles aux États-Unis et en Europe seront annoncés très prochainement !
Jon Regen
Stop Time
Motéma
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