Talaat El Singaby : «La musique pour tous et partout»
Par Nicolas Vidal – bscnews.fr / Pour sa 20ème édition, les Internationales de la Guitare ont une nouvelle fois parié sur une programmation ambitieuse et éclectique (
. Elle est si généreuse et enthousiaste qu’il est difficile de parler de tout. Talaat El Singaby, le directeur des Internationales de la Guitare, figure historique de la musique sur Montpellier et plus largement du monde de la culture dans la capitale languedocienne, nous présente cette nouvelle édition, en abordant l’ensemble des axes qui lui tiennent à coeur pour que résonne la guitare aux oreilles du plus grand nombre dans toute sa diversité.
Talaat El Singaby, pour cette 20ème édition des Internationales de la Guitare, quel est le sentiment qui prédomine chez vous au bout de toutes ces années ?
Les anniversaires ont forcément un côté comptable. Depuis 1996, nous avons accueilli 1000 artistes dans 200 lieux et plus de 100 communes dans la Région Languedoc-Roussillon. C’est une somme. Mais ce qui compte au delà les chiffres, ce sont les traces. Celles que nous avons laissées dans les mémoires de notre public et dans celles des artistes que nous avons accueillis. Cela nous permet aussi de rendre hommage à ceux qui nous soutiennent depuis 20 ans, les collectivités publiques, les partenaires privés, les mécènes, mon équipe, les équipes techniques, les bénévoles, les ami(e)s. Alors le sentiment se partage entre la satisfaction du travail accompli et l’envie de le partager aujourd’hui.
On a lu que vous n’opposiez pas, bien au contraire, les termes « populaire » et « exigeant » en terme de musique. En quoi les IG est une mission citoyenne ?
J’utilise depuis plusieurs années la formule « La musique pour tous et partout ». Cela peut ressembler à un slogan mais cela fut très tôt l’ambition du festival et c’est aujourd’hui une réalité et une de nos particularités. Nous brassons tous les styles de musiques depuis toujours, il y a eu même une soirée Métal cette année avec Lofofora et Punsh Yourself le 09 octobre au Rockstore. On brasse donc par conséquent un très large spectre d’amateurs de musiques. Nous n’avons jamais eu de complexe à mettre sur la même affiche Guy Béart et Anna Calvi, Nina Hagen et Joan Baez, comme le plus pointu de la musique électronique, des spectacles pour le jeune-public dans les écoles et du free jazz dans les clubs. La mission citoyenne d’un festival, c’est d’aller à la fois à l’Opéra Berlioz et aux pieds des immeubles dans les quartiers. De proposer des grandes stars internationales tout en multipliant des découvertes gratuites comme durant l’opération les 24 heures démentes.
« La mission citoyenne d’un festival, c’est d’aller à la fois à l’Opéra Berlioz et aux pieds des immeubles dans les quartiers. »
Une question concernant le financement du festival. Comment se répartissent les subventions publiques pour les Internationales de la Guitare et quelle part représentent-elles dans le budget global ?
Cette année en l’absence de la Ville de Montpellier et de sa Métropole, la Région Languedoc-Roussillon est devenue notre premier soutien public. Viennent ensuite la DRAC, le Conseil Départemental de l’Hérault, les communes de Lunel, de Lattes et d’autres villes de la Région comme Florac, Rivesaltes, Capendu, Le Grau du Roi… Le soutien de la Région nous permet par exemple d’organiser le salon de la Lutherie qui est un des plus importants rendez-vous européens sur cet artisanat et ses multiples facettes. Le salon est gratuit pour le public, les exposants ne paient pas de droit d’inscription et nous organisons durant ce week-end des concerts, des show-cases et de multiples animations elles aussi gratuites. La Région nous permet aussi d’investir les Musées et les lieux d’art contemporain (CRAC, MRAC, le Musée de Céret) avec des performances et des propositions en entrée libre également. Et pour vous répondre précisément, la part des aides publiques représente 40% de notre budget global.
Vous continuez à promouvoir un éclectisme dans la programmation qui couvre un très large spectre. Personnellement, Talaat El Singaby, pour quel style va votre inclinaison?
Il suffit de garder notre affiche et celles des 20 précédentes éditions. Mon inclinaison va vers la guitare ! Donc pour tous les styles dans laquelle elle s’exprime, qu’elle soit centrale ou accompagnatrice. Je me refuse à choisir entre du jazz manouche et du blues, la chanson ou du rock. Bien sûr, je peux avoir des coups de cœurs, des artistes qui me touchent plus particulièrement mais j’aime la musique avant tout et peu importe ses inclinaisons.
Concernant la programmation, comment s’opère la sélection des artistes d’une année sur l’autre ?
C’est une sorte d’alchimie. Notre objectif est toujours de collecter et de voir quels sont les artistes disponibles sur notre période et ensuite de faire des choix et trouver une ligne forte. Je suis à la source et mon équipe travaille, fait des propositions tout en suivant une mission et des orientations comme le blues et le jeunes public cette année. Nous avons toujours en tête nos fondamentaux mais on ne s’empêche pas de tenter des coups, des découvertes,et, au final, j’arbitre.
Même si les propositions musicales sont extrêmement variées, quel est le fil rouge qui les relie les unes aux autres ?
La générosité. Celle qui voit le manager de Roy Gaines, 80 ans, cette semaine dans un Jam bondé, faire des signes en bord de scène pour lui dire que cela fait 2h30 qu’il joue et qu’il faut penser à se reposer pour la date du lendemain. Celle d’un Goran Bregovic pour lequel nous avons avancé l’horaire habituel de l’Opéra Berlioz pour qu’il puisse, à sa demande, jouer minimum 2 heures. Celle d’un Emmanuel Rossfelder, grand talent de la guitare classique qui prend le temps durant le salon d’essayer des guitares à la demande des luthiers alors qu’il a un train à prendre.
La question est difficile mais si vous ne deviez mettre en avant deux concerts, quels seraient-ils ?
Pas facile en effet. Alors, disons Otis Taylor et son blues très personnel, une personnalité unique. Un musicien qui a démarré par le rock dans le Colorado, a vécu à Londres dans les années 60. Il arrête la musique en 77, devient brocanteur puis revient avec un blues habité et sublime. Ensuite Goran Bregovic, ce tsunami du balkan pour le bouquet final. On ne pouvait rêver mieux pour fêter et clôturer notre anniversaire. Son dernier album se nomme Champagne For the gypsies. Tout est dit.
Qu’est ce qui différencient singulièrement les Internationales de la Guitare des nombreux autres festivals musicaux basés en Languedoc-Roussillon ?
Sûrement la légitimité du terroir et un maillage de notre territoire. Nous sommes la première région de la guitare en France. Là où elle se fabrique, se pratique, s’enseigne. Nous sommes responsables, nous ne faisons pas que « produire » des concerts, nous allons dans les collèges, dans les écoles, on projette des films, on essaie de stimuler des envies voire des vocations. Nous ne sommes pas dans le divertissement mais sur un vecteur social et un vecteur d’intelligence.
« Nous ne sommes pas dans le divertissement mais sur un vecteur social et un vecteur d’intelligence »
En guise de dernière question, comment définissez-vous la politique tarifaire sur les spectacles ainsi que les propositions de concerts gratuits ?
Nous sommes à la fois dans une mission de service public et dans une logique économique de propositions. Nous vivons à une époque où la culture est en danger avec des dotations de l’état en baisse et où les arbitrages sur les politiques culturelles souvent incompréhensibles. Nous devons composer avec cela. Nous faisons du gratuit et des concerts événementiels qui ont un coût en fonction des cachets des artistes. On compose… comme sur une partition !
Le programme complet des Internationales de la Guitare est à retrouver sur le site officiel du Festival : www.les-ig.com
Les Internationales de la Guitare – 26 septembre au 17 octobre – Montpellier
(crédit photo « Ouverture des 20 ans des IG au Rockstore pour les rinôçerôse le 26 septembre- Louis Clerc' » )
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