Emilie de Turckheim : au « Bonheur », supermarché de la confession… !

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Par Félix Brun – bscnews.fr / Un désert dans le Midwest, le « Pierrier », la chaleur, la poussière incrustée dans l’homme, sa peau, sa gorge, ses vêtements, les couleurs, la vie…

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une ville perdue, sans intérêt, noyée par l’alcool bon marché, et le chômage ; « La chaleur nous écrasait la tête. L’air était un corps visqueux de pieuvre. » Tom Eliott a hérité de la boutique de coiffeur de son père . Après des études littéraires, il transforme son héritage en supermarché, et conserve le fauteuil de barbier qui devient un siège de confession dans son échoppe. I la baptise « Le Bonheur » : « J’ai décidé de changer mes habitudes et de limiter mon carnet de commande à la trilogie du bonheur : manger à sa faim, se laver et tuer les mouches. » Les affaires ne sont pas florissantes : « Personne ne m’a jamais avoué qu’il entrait dans le Bonheur pour vider son sac et pas pour le remplir. » Comble de malheur, un hypermarché ultramoderne vient s’installer en vis-à-vis du » Bonheur ».
Les personnages sont fêlés, insensés, déjantés : le vieux Matt, l’ancien instituteur de Tom, fâché avec ses trois frères, collectionneur de cailloux sans valeur… Lary l’entrepreneur de pompes funèbres « Le vautour qui rit », qui raconte des blagues douteuses aux familles des défunts, un maire corrompu, Emily figure libre et provocante, les fauteuils à bascule devant les maisons, un tord-boyaux à bas prix le Dry Corny, un décor qui semble sortir d’un livre de Jim Harrisson ou d’un Lucky Luke. Pendant que Tom écrit « des haïkus du désert », on croise Dennis le dénicheur d’écrivains aux principes délirants : « La théorie de Dennis, c’était qu’en passant au peigne fin la tête de cent cinquante gamins, on trouvait forcément un pou. Alors, en passant au peigne fin cent cinquante patelins, on trouvait à coup sûr un écrivain. » Dans ce melting-pot, la protestation du peuple indien qui a été interdit et privé de sa culture, dont « La lame brillait de colère ».
Tout oppose le supermarché de la confession intime, de l’amitié, de la poésie, ce boudoir de la solidarité, à l’hypermarché machine conçue et rodée pour consommer, pour dépersonnaliser l’acheteur, le réduire à l’état de robot du consumérisme.
Emilie de Turckheim est habitée par l’imagination et le talent, investie d’une écriture délicate frénétique, badine, folle même ; elle opère brillamment l’alchimie des mots, des formules et des métaphores. Dans ce monde loufoque, Emilie de Turckheim égratigne, provoque, dénonce et corrige notre société, le pouvoir de l’argent, la déshumanisation des relations, l’ambiguïté de la pensée culturelle « aussi étroite que l’cul d’une chèvre qui veut pas chier. » Mais au fond un bon roman, n’est-il pas un livre qui dérange ?

Titre : Popcorn Melody
Auteure : Emilie de Turckheim
Edition : Héloïse d’Ormesson
Sortie en librairie : 20 août 2015

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