Cartel Land : de l’Arizona au Michoacan
Par Thomas Dufraine – bscnews.fr/ Présenté en ouverture de la compétition des longs métrages indépendants américains au Champs-Elysées Film Festival, Cartel Land marquera sans aucun doute les esprits. Matthew Heineman est un jeune producteur et réalisateur de documentaires américains. Son troisième film, Cartel Land, est né d’un déclic en lisant les actualités : il s’est senti le devoir d’enquêter sur les groupes civils armés de la frontière du Mexique et s’est donc lancé dans la réalisation de ce documentaire d’investigation, une première dans sa carrière.
Aidé par des producteurs indépendants, la branche documentaire d’un chaîne de télévision et quelques partenaires ponctuels, il a ainsi pu diviser son œuvre en deux parties : les deux côtés de la frontière. Pour être plus exact, il s’est intéressé à deux groupes combattant les cartels, en Arizona et dans l’état du Michoacan, en plein centre du Mexique. En Arizona, un groupe de citoyens s’est équipé (armes et équipements militaires divers) pour surveiller la frontière, non seulement à la recherche de clandestins, mais surtout à la recherche des hommes des cartels faisant passer de la drogue ou aidant au trafic d’humains. Ils affirment ainsi aider à sécuriser le pays face à l’invasion des cartels et l’escalade de leur violence. Au Michoacan, par contre, la menace est bien plus concrète. Depuis 2007, les cartels ont tué 80 000 personnes et 20 000 autres sont portées disparues. Jose Manuel Mireles, docteur, a alors décidé de se battre, avec d’autres hommes de son village, pour être libéré des cartels. Son mouvement, les Autodefensas, a été suivi par Matthew Heineman alors qu’il prenait de plus en plus d’ampleur.
Bien que les deux situations soient très différentes, le parallèle entre celles-ci peut être établi grâce à leur ennemi commun et la mobilisation armée des civils. En véritable investigateur, le réalisateur a suivi ces deux groupes aussi bien dans les moments de détente et de relâchement que dans les assauts et actions musclées. Le film permet de mettre en évidence cette similitude car ces deux parties ne sont pas simplement juxtaposées, elles se mélangent et interviennent en alternance. Matthew Heineman a construit son film sur le terrain, au fur et à mesure des tournages, s’adaptant aux événements et restant le plus neutre possible, tant et si bien qu’il a avoué ne plus savoir s’il était avec les « bons » ou les « méchants » de l’histoire pour certaines scènes. En effet, bien que ces mouvements citoyens se soient construits pour mettre un terme aux malversations des cartels, en utilisant eux aussi la force et en gagnant de l’ampleur, on ne peut s’empêcher de se demander si ce qu’ils font est vraiment moral et bénéfique, et, plus encore, s’ils ne vont pas finir par devenir ce qu’ils combattent à force de s’inspirer de leurs méthodes barbares.
Alors qu’en Europe cette situation est aux limites de la fiction, bien loin de notre continent, là-bas, c’est le quotidien de milliers d’hommes, femmes et enfants, qui vivent dans la peur, au milieu de la violence des différents groupes qui s’affrontent, et même du gouvernement dont on ne connait pas vraiment les intentions et postures face à tout cela. Ce qui aura le plus profondément marqué Matthew Heineman, de son propre aveu, ce ne sont pas les multiples scènes de guerre civile, les coups de feux ou interrogatoires, mais bien les entrevues avec les rescapés, les victimes et témoins de ces atrocités, complètement dévastés par les événements qu’ils ne retireront jamais de leurs mémoires.
Cartel Land
Matthew Heineman
Sortie en juillet 2015
Encore une séance dans le cadre du Champs-Elysées Film Festival
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