La pièce originale met en scène une dizaine de personnages. Sur scène, vous n’êtes que trois. Comment êtes-vous parvenus à moduler cette pièce avec cette contrainte ?
Nous avons pensé cette réalisation théâtrale pour trois acteurs, et cela dès les premiers temps. Nous voulions que l’oeuvre prenne un rythme vertigineux, et qu’il n’y ait pas de moments de relâchement ni pour les comédiens, ni pour le public entre les scènes. Nous n’avons fait disparaître aucun personnage et aucune scène du texte original de Molière mais ajouté des textes de notre propre cru pour renforcer notre discours et adapté la langue classique d’une traduction espagnole au castillan que nous parlons de nos jours. Nous avons consacré une grande partie de nos répétitions à travailler la dynamique d’entrée et de sortie des personnages et leur fonctionnement quant au rythme que nous cherchions à obtenir pour la mise-en-scène.
La pièce que vous présentez à l’occasion du festival s’intitule El Cazamiento a la fuerza, jeu de mots entre « casamiento » (« mariage » en français) comme dans le titre original, et « caza » (« chasse » en français). Quel message souhaitez-vous faire passer en ajoutant l’idée de « chasse »
En espagnol, les mots « cazamiento » et « casamiento » se prononcent de la même façon. Cependant, le premier signifie surprendre une personne, la prendre dans ses filets en usant de ruse, de tromperie ou de flatterie pour lui soutirer quelque chose ou lui régler son compte. Le second mot, quant à lui, renvoie à l’union matrimoniale de deux personnes. Selon nous, personne n’est victime de personne dans cette oeuvre. Tous sont des prédateurs. Chacun d’eux est à l’affût d’une proie et regarde son propre intérêt.
Vous mettez exclusivement en scène des pièces de Molière. Pourquoi ?
Notre point de rencontre avec Molière a été l’habilité de la Comédie pour représenter la condition humaine au niveau humain et social. La Comédie, que nous pensons globalement sous-estimée, nous offrait un terreau fertile et peu exploité pour traiter nos inquiétudes en tant qu’individus et groupe. Nous le considérons comme le plus grand comédiographe de l’Histoire du fait de son écriture caractéristique : une vision critique fondée sur l’observation et la mise à nu de l’être humain.
Comment Molière est-il perçu au Mexique ? Ses textes sont-ils présents dans les programmes scolaires ?
On a toujours mis en scène des pièces de Molière au Mexique, que ce soit au niveau professionnel, au niveau amateur, ou en milieu scolaire. Mais les Mexicains sont convaincus que Molière doit se jouer avec d’énormes perruques, un maquillage extravagant, des costumes recherchés, tout cela pour figurer la France du milieu du XVIIème. Il en ressort un jeu scénique sur-joué, uniquement déterminé par la forme du texte original — avec ses stéréotypes comiques et son humour relâché — sans accorder au texte et au caractère des personnages l’importance qu’ils méritent. Cette « manie » s’est démocratisée avec le temps. Par ailleurs, les pièces mises en scène sont toujours les mêmes : Le Médecin malgré lui, Le Tartuffe ou l’Imposteur, Le Misanthrope, Les Précieuses ridicules, Le Bourgeois gentilhomme, et Le Malade imaginaire. Les programmes scolaires de l’enseignement secondaire et supérieur se contentent de parcourir superficiellement l’oeuvre de Molière, le plus souvent présentée de manière anecdotique au sein de la littérature. Il n’y a que dans les cursus universitaires du théâtre et de la culture française qu’on étudie réellement Molière.
En ce qui concerne votre adaptation du texte, avez-vous apporté des modifications quant aux noms des personnages, aux lieux, ou au contexte social. Si tel est le cas, lesquelles ?
Nous n’avons apporté qu’un seul changement au niveau des personnages : nous avons remplacé les deux Egyptiennes par une gitane. Si l’action du texte original se déroule sur une place publique, le cadre de notre mise en scène, lui, est transposé en forêt. Pour le contexte social, nous nous attelons à l’importance culturelle que revêt le mariage au Mexique, où se marier revient à rentrer dans la norme qu’impose la société traditionaliste par le biais d’un contrat.
Selon vous, cette pièce fait-elle état d’un fait sociologique du Mexique ? Est-ce la raison pour laquelle vous la représentez de façon modernisée ?
En effet, cette pièce de Molière nous a amené à réfléchir et à nous pencher sur le sens de l’expression « mariage forcé ». Primo : les mariages forcés qui se concluent au Mexique touchent, en règle générale, de (très) jeunes filles, contraintes de se marier avec des hommes plus âgées qu’elles en échange de compensations financières et de biens combinées entre les familles. Secundo : en ce qui concerne la différence d’âge des époux ; une jeune femme qui se marie avec un vieil homme est vue d’un mauvais oeil, tandis que le vieil homme est jalousé et admiré de tous. Tertio : le mariage pour trouver en l’autre, sécurité et stabilité financière, est un fait avéré.
Deux traducteurs expliqueront en français les scènes qui se dérouleront. Pourquoi pas plutôt un prompteur ?
Cette pièce sera représentée à l’extérieur et en fin d’après-midi. De fait, il nous était impossible de miser sur un sous-titrage. D’autre part, nous estimons qu’il est plus intéressant de voir et d’entendre un classique de Molière, telle qu’une compagnie mexicaine l’appréhende dans sa langue. Nous sommes persuadés que les actions et les situations de notre mise en scène seront si suggestives qu’elles garantiront une bonne compréhension du public, même s’il n’est pas familiarisé à l’espagnol.
Par ailleurs, vous avez l’intention de déclamer des phrases en français lors de votre représentation. Quelles sont-elles ? Et pourquoi celles-ci ?
Nous avons sélectionné des phrases-clefs de l’oeuvre originale pour en faciliter la compréhension. Nous déclamerons également des phrases de notre propre cru, relatives à notre conception du mariage.
Le choix d’un décor épuré est-il lié à des aspects pratiques de déplacement ? À la tradition populaire du théâtre de rues ?
En l’espace de ces dix années de travail autour de l’oeuvre Molière, chacune de nos mises en scène a été imaginée et conçue pour fonctionner aussi bien en espace clos qu’en plein air, à la fois en milieux conventionnels et alternatifs. Nous avons tous trois eu l’occasion de nous représenter dans des théâtres de chambre et au théâtre de rue. Nous sommes une compagnie autonome en ce que nos scénographies sont simples et faciles à transporter. Dans le cas de El CaZamiento a la fuerza, nous avions conçu une scénographie épurée mais avec laquelle nous ne pouvions pas nous déplacer. Voilà pourquoi nous avons repensé l’espace en le rendant amovible, léger et attrayant, sans qu’il ne vienne altérer notre concept scénique mais pour qu’au contraire, il puisse le parfaire.
Si vous deviez convaincre un spectateur potentiel, que lui diriez-vous ?
Nous sommes une compagnie mexicaine qui a voué ses dix ans de carrière à un auteur français que nous estimons être le père de la Comédie moderne. Nous voulons faire partager notre travail théâtral et la vision que nous avons du meilleur comédiographe au monde, un homme né à Paris mais qui s’est « fait » à Pézenas. C’est pour nous, un honneur et une grande joie de pouvoir le faire.
El CaZamiento a la fuerza
En représentation gratuite au festival Molière dans tous ses éclats (Pézenas- 34), le samedi 13 juin 2015 à 16h30 sur la Place Gambetta.
Festival Molière dans tous ses éclats
THEATRE DE PEZENAS
7bis rue Henri Reboul – BP 73 – 34120 PEZENAS
04.67.32.59.23 ou 06.07.31.18.26
billetterie-spectacle@ville-pezenas.fr
Interview réalisée par Amélie Coispel et Hugo Polizzi, traduite de l’espagnol par Hugo Polizzi
A lire aussi:
Cyril Teste : « Le théâtre politique est un théâtre qui observe un système avant de le dénoncer… »
Yvon Tranchant : « Ce qui détermine notre originalité, c’est que nous sommes pluridisciplinaires »
Ariane Ascaride : « La mise en scène de Marc Paquien a l’élégance de sa discrétion »
Jean-Marie Besset : » Tout commence par un texte au théâtre… »
Jacques Allaire: » Chez Durif, dire c’est faire»
Pierre Jean Peters : un « passeur » de l’œuvre de Camus
Raja Shakarna : une création sur le langage non-verbal avec Sandrine Bonnaire
Jean-René Lemoine : « Médée choisit l’enivrante folie du sursis «