Quel a été votre parcours pour devenir directeur d’une scène nationale ?
Cela fait très longtemps, plus de 40 ans, que je suis directeur. J’ai démarré par la base, suis entré dans un théâtre et ai effectué tous les postes, j’ai appris mon métier sur le terrain. Progressivement, j’ai précisé mes fonctions. Le point de départ de tout cela fut ma pratique du théâtre. Je n’étais pas un très bon acteur alors j’ai décidé de travailler ailleurs que sur le plateau.
Qu’est-ce qui définit une Scène Nationale par rapport à un CDN par exemple? Juste la question des partenaires et des financements?
Il y a, -Malraux en avait ainsi décidé en son temps-, une organisation culturelle voulue par les politiques à l’époque, qui était de s’appuyer sur la décentralisation théâtrale. Il y avait le souhait de développer le théâtre partout en France, et même dans les campagnes. Se sont alors constitués des réseaux de théâtres : d’abord des théâtres nationaux comme la Comédie Française, le Théâtre de Strasbourg, le Théâtre de la Colline dont la majorité résidaient à Paris. Et puis, en « dessous » une trentaine de centres dramatiques, dont celui de Montpellier dirigé par Rodrigo Garcia. Puis, encore en « dessous », des scènes nationales : nous sommes 70 sur tout le territoire. Ce qui détermine nos lieux, nos labels, ce sont nos missions. Nous avons celle de diffusion nationale. Nous en avons aussi une de création. Nous développons alors des projets chez nous qui, par la suite, tournent dans toute la France ou à l’étranger. Et il y a aussi une mission de terrain, d’actions culturelles, c’est-à-dire de faire venir des gens qui n’ont pas l’habitude de venir dans nos maisons, et de les fidéliser. Ce sont les trois grandes missions. Certaines scènes nationales en ont d’autres complémentaires. Nous ne pouvons pas tout couvrir, mais ce qui détermine notre originalité, c’est que nous sommes pluridisciplinaires. C’est une obligation, dans notre programmation, il doit y avoir du théâtre, du cirque, de la danse, du lyrique. Et en tant que directeurs, nous sommes validés par la ministre.
En novembre 2013, vous avez fait votre retour dans la salle à l’italienne du Théâtre de Molière, scène prestigieuse et monument historique depuis 2003. Avez-vous pu constater des changements de fréquentation, de public grâce à cette rénovation ?
Il y avait une attente du public, qui est très attaché à ce lieu, à ce patrimoine monumental. Le Théâtre Molière a une aura prestigieuse, confère aux spectacles une dimension de puissance. De plus, il y a peu de théâtres à l’italienne, celui-ci date du début du 20 ème siècle. Il a d’ailleurs fallu 2 ans de rénovation pour qu’il soit en état, entre sa restauration, sa conservation et sa modernisation technique. Le théâtre, en effet, a pour fonction de créer et de proposer des spectacles : une modernisation de la scène était donc indispensable. Les gens ont attendu que le théâtre rouvre pour y voir des spectacles; il y a vraiment une affection particulière pour ce lieu, même d’ailleurs quand aucun spectacle ne se joue. Nous avons retrouvé la fréquentation des grandes années, qui vient de partout : du bassin de Thau et de Montpellier.
Il y a une place conséquente pour la création dans votre programmation à travers La fabrique des artistes. Pourquoi avoir choisi d’accorder autant d’importance à la création ?
Quand j’ai postulé, il y a 12 ans, je souhaitais qu’il y ait des artistes associés et une grande présence artistique car c’est la raison d’être de notre métier. Nous faisons en sorte que les artistes puissent créer dans de bonnes conditions pour qu’après ils aillent présenter leur travail ailleurs et qu’ils en vivent. Par conséquent, j’ai constitué une fabrique d’artistes en leur proposant de venir travailler 2,3 ou 4 ans. Nous faisons beaucoup de productions. A ce jour, nous avons un bureau qui s’occupe de suivre le montage des productions, réalise de l’accompagnement en organisant notamment des tournées à travers la France. Si nous avons choisi d’accorder autant d’importance à la création, c’est parce que tous les spectacles sont à un moment donné créés et que, pour qu’ils le soient, il faut leur donner des moyens : des salles de répétitions, de l’argent, des décors, de la lumière, des costumes. Le réseau de scène nationale est idéal pour créer des conditions d’accompagnement efficace auprès de certains artistes. Aujourd’hui, la conjoncture est tellement difficile en général que nous avons cette obligation de donneraux artistes les moyens de créer, de répéter et de produire leur travail.
Quelles compagnies et artistes soutenez-vous dans ce cadre ?
Actuellement, nous soutenons le metteur en scène Jacques Allaire, qui monte un spectacle qui est tiré d’un ouvrage sur le passage de l’adolescence à l’âge adulte. C’est un voyage de 6 jeunes adolescents qui fréquentent des centres, n’ont pas réussi à s’adapter, vont de structures en structures et ne parviennent pas à s’adapter à la vie. Ce spectacle sera joué à Sète au mois de novembre. Aussi, nous accompagnons toujours une compagnie chilienne, Teatrocinema, qui viendra présenter sa dernière création. Il s’agit de La raconteuse de films, une histoire merveilleuse, toujours dans leur façon de faire du théâtre, qui est une conjugaison du théâtre et du cinéma. Nous attendons beaucoup d’eux, cela fait longtemps que nous les accompagnons. Par ailleurs, nous soutenons un jeune acteur et metteur en scène, Benjamin Barou-Crossman, formé par Stanislas Nordey : il va présenter un spectacle qui s’appelle Bonne idée. Il s’appuie notamment sur des textes de Federico Garcia Lorca et d’Alexandre Romanes. C’est une création avec une danseuse, deux comédiens et un musicien, qui sera présentée sur tout le territoire. Il y a aussi, depuis quelques années, Régis Kermorvan, qui réalise des saynètes, chez les gens, pour présenter les saisons de la scène nationale. Ce sera donc pour le mois de septembre. Pour finir, nous accompagnons une grande compagnie flamande, la Needcompany, qui présentera Le poète aveugle.
Cette année, vous avez choisi de dédoubler le nombre des représentations, pour permettre au public d’avoir le choix avec une autre date. Avez-vous dû, pour cela, sacrifier d’autres spectacles ? Ce choix répond-il à une augmentation de la fréquentation ?
II y a une double raison: d’abord, il y a le succès, d’où est née cette la volonté de répondre à une demande du public, en démultipliant les spectacles. Puis, il y a les données financières. Il y a quelques années, nous faisions 54 spectacles, aujourd’hui, nous n’en faisons plus que 40. Le public peut maintenant venir à sa convenance et n’est plus soumis à une date unique. Avec la réouverture, nous retrouvons donc un niveau de fréquentation très élevé, nous sommes sur une base de 50 000 spectateurs par saison.
Depuis la saison dernière, vous renforcez votre présence territoriale avec la décentralisation d’un grand nombre de spectacles sur le bassin de Thau. Pourquoi ?
C’est une mission que nous a confié la communauté d’agglomération. Sète est une ville de 43 000 habitants, qui est en quelque sorte, la ville-centre du bassin de Thau. Quand je suis arrivé, j’ai demandé à ce que l’on transfère la scène nationale de la ville à l’agglomération. Tout simplement parce que le rayonnement de la scène nationale se fait sur tout le territoire. Notre présence territoriale relève donc de petits spectacles sur des scènes adaptées. Nous jouons dans les communes du territoire, nous nous déplaçons à proximité des gens, là où il n’y a pas de lieu de spectacles, pour qu’ils découvrent et aient la curiosité de venir au théâtre Molière. Notre présence est obligatoire, mais je la défends par ailleurs parce que c’est l’agglomération qui nous finance donc il y a des objectifs, des missions à remplir et à assumer…Il faut réussir à trouver l’équilibre entre les spectacles de proximité et ceux qui sont au théâtre Molière.
Vous menez aussi une pluralité d’actions culturelles pour poursuivre la démocratisation de l’art et de la culture. Pourriez-vous nous en parler un peu plus ?
Nous disposons de toute une batterie de dispositifs qui permettent à des écoliers, collégiens ou lycéens de venir voir des spectacles, de préparer ces publics et de les sensibiliser au théâtre à travers des actions, des stages. Dans la mesure où l’on présente des spectacles qui ne sont pas connus, puisqu’ils ne sont pas diffusés à la télévision notamment, nous avons cette nécessité de sensibiliser les gens sur des dispositifs comme ceux-ci. Nous le faisons aussi sur des personnes précarisées, qui manquent de moyens financiers ou qui n’ont pas eu la chance de pouvoir se rendre à des spectacles. Cela fait partie de notre rôle, de cette démocratisation : faire venir des gens qui ne viendraient pas autrement. Nous le faisons notamment avec « Une saison pour vous », avec les structures sociales, avec les enfants. Cela permet notamment chez les jeunes de rester en contact avec le spectacle et, pourquoi pas, de leur donner envie de fréquenter ces spectacles et de les suivre quand ils grandiront, d’une façon plus autonome.
Vous accordez une attention particulière à la volonté de rendre le patrimoine vivant. Quelles actions seront menées cette année ?
Il y a des expositions photos, des visites guidées et organisées par notre équipe ou bien par l’office de tourisme. Nous nous lançons dans un nouveau projet alliant patrimoine et numérique, permettant aux visiteurs de voir le théâtre en 3D. Nous avons le souhait de toujours renforcer ce lien entre patrimoine et spectacle vivant. Par conséquent, la voix d’un comédien accompagnera cette visite en 3D, ce sera celle d’André Dussollier.
Parlons de la saison 2015-2016, sera-t-elle aussi éclectique qu’elle en a l’habitude, avec de la musique, de la danse, du théâtre, du cirque ou encore des lectures ?
Elle sera toujours aussi éclectique, c’est la marque de fabrique de notre maison. J’ai toujours considéré que notre mission principale était de faciliter la fréquentation, des plus jeunes aux plus âgés, et d’avoir une fréquentation inter-générationnelle. Par conséquent, il faut proposer des spectacles qui intéressent toutes les générations donc de la musique classique, actuelle, des projets innovants, surprenants, de la danse classique, contemporaine, du hip-hop. C’est pareil pour ce qui est des humoristes et des spectacles de théâtre. J’essaie aussi de combiner tout cela avec des gens que l’on connait ou reconnait, car aperçus à la télévision, dans des pièces de répertoire ou dans des créations de textes contemporains. Ces artistes travaillent bien évidemment aux côtés d’artistes que l’on connaît moins. Il y a cette volonté de prendre en compte tous ces paramètres dans la mise en place de la programmation.
Quels seront les grands moments de théâtre de cette saison ?
En théâtre, il y aura beaucoup d’humour avec Patrice Thibaud, que l’on a vu chez Jérôme Deschamps, et qui était venu l’année dernière avec une pièce qui avait beaucoup fait rire, Don Quichotte du Trocadéro. Nous faisons aussi venir François Morel, qui viendra nous présenter son dernier spectacle. Et puis à côté, nous faisons aussi du théâtre de création, et parfois des pièces que l’on connaît peu avec des comédiens prestigieux. Je pense notamment à Emmanuelle Devos dans Platonov d’Anton Tchekhov, Dominique Blanc avec Vincent Perez dans une pièce de Christine Letailleur, Les liaisons dangereuses en janvier. Il y a aussi des choses moins connues comme Jacques Allaire, une jeune compagnie de Montpellier, ou encore 26 000 couverts, une troupe qui fait du théâtre forain très intéressant.
Et côté cirque ? Côté danse?
En danse, c’est pareil, nous essayons de trouver cet équilibre entre ce qui est connu et ce qui l’est moins. Nous allons avoir des choses surprenantes telles que le balai de Biarritz Malandain, Emio Greco, ou de jeunes danseurs palestiniens qui vont venir présenter leur spectacle. Dans la musique aussi, nous allons présenter un hommage à Lou Reed avec Emily Loizeau. Il y aura aussi du tambour, un hommage à Claude Nougaro avec Babx, Thomas de Pourquery et André Minvielle. Nous accueillons aussi des opéras, de la musique classique, avec des virtuoses.
Côté cirque, on aura sous chapiteau la compagnie Baro d’Evel, que l’on avait accueilli il y a quelques années. C’est très singulier mais tellement beau et poétique ! Ils ont monté tout un travail avec des animaux, notamment des chevaux et des oiseaux. Nous sommes vraiment dans le théâtre du merveilleux. Il y aura aussi Phia Ménard, qui présente un spectacle sur des princesses, sur un principe de congélation des robes qui dansent au fur et à mesure qu’elles se décongèlent. Et puis nous aurons aussi des clowns russes de St Petersbourg.
Yvon Tranchant ©Julien Mignot
Scène Nationale de Sète et du Bassin de Thau
Contact – Billetterie : Théâtre Molière Avenue Victor Hugo 34200 Sète
Téléphone : 04 67 74 66 97 / Mail : location@theatredesete.com
http://www.theatredesete.com/
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