Lost river : le conte de fées sombre et macabre de Ryan Gosling
Par Florence Yérémian – bscnews.fr / Billy est la mère du jeune Bones et d’un adorable petit rouquin nommé Franky. Attachée à sa maison d’enfance, elle persiste à vouloir vivre dans une sinistre banlieue de Détroit. La ville de Lost River est pourtant totalement dévastée et la majorité de ses habitants ont définitivement quitté ces lieux de désolation. Au milieu de baraques en flammes et de bulldozers infernaux, Billy essaye néanmoins de trouver du travail afin de payer son loyer.
Sa rencontre avec un certain Dave va l’entrainer dans les bas-fonds les plus malsains de ce no-man’s land: tandis qu’elle accepte de vendre son âme à des pervers en manque de sensations fortes, son fils Bones tente d’anéantir la malédiction qui s’est abattue sur Lost River. Amoureusement épaulé par sa charmante voisine « Rat », ce teenager garde l’espoir d’un monde meilleur que seul un coeur pur pourrait encore sauver…
À mi-chemin entre l’ultra réalisme de Derek Cianfrance (The Place beyond the Pines) et la violence salace de Winding Refn (Pusher, Drive), Lost River plonge le spectateur dans un univers soufflé par un ouragan de haine et de dégénérescences. Pour ce premier film en tant que réalisateur, Ryan Gosling a définitivement opté pour un thriller très noir. Afin de nous asphyxier dans les ruines agonisantes de sa cité fantôme, il a pris comme toile de fond la ville délabrée de Détroit et a misé autant sur l’aspect visuel que sur l’impact sonore de son long-métrage. A travers une très belle esthétique, il nous livre des images crues d’une brutalité incisive. L’ambiance y est glauque dès le départ et saturée de néons qui irritent l’oeil autant que l’esprit. Caméra sur l’épaule, Ryan Gosling ne lâche pas un seul instant ses acteurs afin de nous tenir sans cesse en haleine: courant à leurs côtés, il les violente, les met à nu et dissèque leurs pensées les plus sombres à travers le prisme de son objectif. Afin de rendre sa trame encore plus percutante, il la sangle d’une bande-son aussi puissante que frénétique : ainsi porté par la musique de Johnny Jewel, le spectateur est littéralement absorbé dans cette quatrième dimension jalonnée d’âmes perdues.
Les personnages de Lost River sont en effet plus que des désaxés, ce sont définitivement des êtres brisés: errant dans un monde à la lisière du rêve et de l’apocalypse, ils ne font que lutter et s’entredéchirer pour leur survie. Certains sont si désespérés qu’ils se laissent entraîner au-delà de leurs pulsions les plus primitives: la torture et le vice sont ainsi montrés en spectacle lors de messes noires que l’on pourrait qualifier de « liturgies écarlates » tant l’hémoglobine y gicle à flots! Faisant référence au théâtre sanguinolent du Grand-Guignol, Ryan Gosling semble se complaire dans cette avalanche de débauches et pousse vraiment trop loin la mise en scène de ces perversions macabres: entre une Eva Mendes poignardée en live et un « déshabillage de peau » digne des écorchés de Gunther von Hagens, on se demande vraiment quel est l’intérêt de montrer des meurtres en mode burlesque hormis celui de la pure provocation? …
Fort heureusement, Lost River comporte une part onirique qui nous sort aléatoirement de cette pathétique morbidité : bien que ce film soit situé dans une époque contemporaine, il ne possède pas vraiment d’espace temps. Parallèlement à ce manque de repères, il est scandé de visions insolites comme celles de vélos en feu ou de vieux postes télévisés émettant en boucle des images d’un passé perdu à jamais. Dans cette Twilight zone agonisante, Gosling parvient aussi à glisser un souffle de poésie, notamment à travers cette étrange route qui mène de façon incohérente au beau milieu d’un fleuve où se cache la clef salvatrice de ce conte surréaliste.
Hormis l’amour naissant entre Bones et Rat, la seule trace d’espoir de cette fiction exaspérante se résume à un magnifique vol d’oiseaux migrateurs en partance vers le sud. Bravo donc aux acteurs qui évoluent dans cette cité aussi sordide que nauséeuse en conférant à leurs personnages tous les visages du malheur et de la déchéance humaine. Il en va ainsi de la pulpeuse Christina Hendricks (Mad Men), qui interprète magistralement Billy: dissimulé sous sa crinière fauve, elle confère à cette mère en détresse un très beau profil alternant entre la détermination et la fragilité. A ses côtés l’excellent Ben Mendelsohn s’immisce avec malice dans le rôle dépravé de Denis: esclave de ses pulsions et de ses perversions, il livre au public une danse érotique aussi lascive que saugrenue. Le plus démoniaque de ces protagonistes demeure cependant Bully (Matt Smith): aussi fou que sadique, ce prédateur mégalomane règne sur les vestiges de Lost River en tranchant allègrement de ses ciseaux tous ceux qui le contrarient.
Dans un tout autre registre se distingue bien sûr Bones (Iain de Caestecker), le héros de l’histoire. Avec sa belle gueule de teenager américain et sa justesse de jeu, ce jeune acteur nous fait de toute évidence songer à Ryan Gosling. Il a pour partenaire une excellente comédienne nommée Saoirse Ronan: pourvue d’un charme juvénile et de grands yeux bleus délavés, elle personnifie « Rat » et ressemble à une sirène angélique tout droit sortie d’un conte de fée.
Parmi ce casting de premier ordre signalons également la présence de Reda Kateb (actuellement sur les écrans dans L’Astragale de Brigitte Sy): unique acteur français de toute cette distribution « made in USA », Reda s’approprie les traits bienveillants du chauffeur de taxi qui finira par jouer les nobles chevaliers servants au coeur de ce sombre drame fantasmagorique.
Bien que l’idée directrice de Ryan Gosling soit de critiquer l’échec du grand rêve américain, son film s’enlise excessivement dans une violence gratuite. En voulant mettre en avant la débauche et le désespoir des habitants de sa ville imaginaire, le réalisateur canadien souhaite de toute évidence traduire les terribles conséquences de la crise économique au sein des Etats Unis. Son approche cinématographique appartient cependant à un registre si brutal et si défaitiste que son oeuvre finit par irriter le spectateur au lieu de le faire réfléchir sur les dérives actuelles de cet immense « Empire de l’illusion ».
Lorsque le film se termine et la lumière se rallume, on se dit que le cauchemar est fini. On songe néanmoins que pour créer une oeuvre d’une telle noirceur, le subconscient de Gosling doit tout de même être hanté par de bien étranges démons…
Lost River? Un film d’une très belle qualité esthétique mais d’une noirceur si nauséeuse qu’elle vous engloutit.
Lost River
Un film de Ryan Gosling
Avec Christina Hendricks, Saoirse Ronan, Iain De Caestecker Matt Smith, Reda Kateb, Barbara Steele, Eva Mendes, Ben Mendelsohn et Shannon Plumb
Sortie nationale: le 8 avril au cinéma
Déconseillé pour les moins de 15 ans
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