Rodrigo Garcia, Mickey et  » la confusion des genres »

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Par Julie Cadilhac – bscnews.fr/ On associe aujourd’hui le châtiment de la tonte à des pratiques de régimes indignes….mais faire tondre une jeune fille sur le plateau, c’est de l’art, c’est pas pareil…Le code pénal punit jusqu’à deux ans d’emprisonnement les actes de maltraitance des animaux…filmer des hamsters que l’on plonge dans un aquarium, c’est de l’art, c’est pas pareil…Quiconque superposerait des pratiques sexuelles à des enfants serait montré du doigt…mais faire succéder sur scène un coït cérébro-génital et une photo de famille grandeur réelle, c’est de l’art, c’est pas pareil…

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A la sortie de  » Et balancez mes cendres sur Mickey », après la fusion des applaudissements nourris, l’absurdité du monde semble vous éclater en plein visage. Immédiatement, une question assaille dans ce contexte national préoccupant de haute-vigilance contre le terrorisme : ne sommes-nous pas responsables en partie du sursaut réactionnaire religieux qui bouillonne et menace, de ce retour en arrière préoccupant de la part d’une certaine frange de la population qui s’inquiète de voir la liberté à tout prix devenir le nouveau totalitarisme contre lequel l’on ne peut plus rien dire – et agir? Car totalitarisme n’y a-t-il pas, lorsqu’à la sortie les gens se moquent d’une voix grondante qui s’est insurgée, à la fin du spectacle, contre la maltraitance de ces hamsters que l’on s’amuse à plonger dans un aquarium, totalitarisme n’y a-t-il pas quand on n’ose plus prononcer à voix haute  » je trouve scandaleux et sans intérêt ce que fait Rodrigo Garcia » au milieu d’une foule qui se complaît à être là pour en être, totalitarisme n’y-a-t-il pas lorsque certains spectateurs avouent en chuchotant qu’ils n’ont rien compris et/ou qu’ils ont détesté mais finissent par penser que c’est leur manque de culture et de subtilité qui a influencé leur jugement …?
Maigre consolation pour ceux qui aimeraient qu’il y ait débat : l’ironie du travail de Rodrigo Garcia, c’est que ceux qui apprécient son œuvre appartiennent eux aussi à cet archétype qu’il dénonce, à ces gens qui font tout pour être « l’image projetée des autres », qui sont aussi ces autres qui vivent au travers du regard de l’Autre, produits d’une caste  » pseudo-intellectuelle » où l’on a appris à affirmer que ce qui est barré est forcément génial et que ce qui est populaire et accessible est forcément mauvais. En outre, on remarquera que si l’auteur nous invite à un cri de révolte – qu’on partage- contre la dénaturation de tout et  » la confusion des genres », dans son CDN, accueillis à la sortie de la salle par un DJ, on a non seulement l’impression d’atterrir dans une boîte de nuit – haut-lieu du divertissement qu’il semble abhorer- mais ensuite la sensation amusée qu’il faut combler le vide, empêcher les gens de discuter et d’échanger…bref se précipiter dans l’amusement, combler, combler…et surtout ne pas avoir la possibilité de nourrir une pensée.

Aussi, si l’écriture de Rodrigo Garcia est de grande qualité et sait être caustique tout en étant poétique et visionnaire, s’il faut reconnaître que cet hispano-argentin fraîchement montpelliérain a l’œil d’un peintre et que ses tableaux peuvent avoir une puissance stupéfiante ( le corps enduit de miel et sublimé de lumière de Nuria Lloansi a une force hypnotique), si, donc, on peut le congratuler pour la beauté plastique de certaines performances et la spiritualité de sa prose, sa volonté de tout accentuer jusqu’au paroxysme est regrettable..Si l’on perçoit, de surcroît, cette volonté salvatrice de dénoncer la manipulation et le formatage des individus, les dérives de notre société et la dictature de la rentabilité, si l’on comprend que montrer le corps poussé jusqu’à son animalité, souvent mutilé et souillé, est là pour réveiller les consciences d’un spectateur habitué aujourd’hui à voir les horreurs du monde, banalisées au journal télévisé, diffusées sans restriction sur le net, acceptées par notre individualisme et notre égoïsme d’hommes du XXIème siècle…force est de constater que l’effet attendu sur le public est un échec. Pas beaucoup de réactions, peu de rejet, pas de discussion, non : une adhésion aveugle…le public de théâtre ne sait plus qu’applaudir, devenu une oie docile que l’on gave, que ce soient avec les programmes de télé-réalité, les manèges d’Eurodisney ou encore les fables de Rodrigo Garcia.

Pourtant, ça commence bien « Et balancez mes cendres sur Mickey »! le premier tableau est assurément génial ; la revendication est au bon endroit et en juste équilibre avec les effets de plateau…jusqu’à ce que déjà les mots, précurseurs d’un changement notoire, commencent à s’emballer et à basculer dans l’hyperbole et que l’on ne se retrouve plus complètement dans les propos alors que, juste avant, on détestait tant ,avec le narrateur, le gachis de ce lac aménagé, ce lac employé  » à des fins utiles »…Mais arrive l’heure de la transgression, du masochisme et du sadisme, du délitement de la raison au profit d’une humanité qui a perdu toute sa dignité…Alors, comme les hamsters dans l’aquarium, on boit la tasse, on se débat, on implore le metteur en scène qui tient le filet de nous repêcher, d’avoir cette pitié-là..mais à la différence des rongeurs, le spectateur qui réfléchit – c’est à dire celui qui n’est pas formaté par cette société de l’image et du show-choc qui bousille le cerveau et/ou qui ne se shoote pas à l’auto-satisfaction d’appartenir à une élite qui comprend, elle – finit par se noyer…parce que Rodrigo Garcia, humain trop humain comme les autres, n’aime satisfaire que ceux qui disent du bien de lui.

« -Ah ! te voilà, toi, la Sottise !
Je sais bien qu’à la fin vous me mettrez à bas ;
N’importe : je me bats ! je me bats ! je me bats ! » ( Cyrano de Bergerac, Edmond Rostand)

Lo sé.

Et balancez mes cendres sur Mickey

Texte et mise en scène : Rodrigo Garcia
Avec Nuria Lloansi, Juan Loriente, en cours • lumières Carlos Marquerie • assistant à la mise en scène John Romão • design des projections Ramón Diago • direction technique Ferdy Esparza • costume Jorge Horno • production déléguée hTh CDN de Montpellier • coproduction La Carnicería teatro • Théâtre National de Bretagne/Rennes, Bonlieu/SN d’Annecy

Spectacle en espagnol surtitré, traduction Christilla Vasserot

Crédit-photo: Christian Berthelot

Dates des représentations:

– Du 21 au 23 janvier 2015 à hTh ( Montpellier)

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