Raymond Pronier : une réflexion intelligente sur les raisons psychanalytiques de la haine de l’autre
Par Eric Yung – bscnews.fr/ « Longtemps j’ai été antisémite ». Ce titre, reconnaissons-le, a de quoi interpeller –a priori- les lecteurs que nous sommes ; provocateur il l’est, c’est certain. Mais sitôt passé ce que l’on pourrait appeler un certain rejet et que l’on s’aventure dans la lecture des toutes premières pages on devine que cet ouvrage n’a rien d’infamant. D’ailleurs on en est vite convaincu lorsque l’on sait que Raymond Pronier, l’auteur de cet essai, (puisqu’il s’agit de cela), est un universitaire, un ancien journaliste et qu’il a été marié à une femme juive et qu’il a dirigé, durant plusieurs années la rédaction du journal « Tribune juive ». Mais alors, nous demandons nous : pourquoi Raymond Pronier et son éditeur (sans doute) ont-ils eu besoin d’être aussi provocateurs ? Est-ce du marketing, comme disent les commerciaux ? Peut-être. Est-ce une façon (pragmatique) d’informer le public en quatre mots du contenu du texte ? C’est possible.
Toujours est-il que ce « Longtemps j’ai été antisémite » paru aux éditions du Bord de l’eau dans la collection « Judaïsme » dit, dans une approche originale, (résultat d’une longue psychanalyse), le pourquoi de cette inacceptable défectuosité intellectuelle. Si le livre prend en compte cet étrange sentiment qui est enfoui, parfois, au plus profond de certains êtres qu’est l’aversion à tout ce qui touche à la notion juive, Raymond Pronier pousse la réflexion au plus loin possible. Il quitte, en effet, le caractère stricto-sensu de l’antisémitisme pour examiner, sans tabous, ce que signifie le rejet d’un être et, plus globalement, ce que veut dire « s’exclure » des autres. Ainsi, fort de son expérience aboutie (semble-t-il) de la psychanalyse, l’auteur de « Longtemps j’ai été antisémite » n’hésite pas à affirmer que la « haine de l’autre est d’abord un mal être de soi » et que cette anomalie se veut « l’expression d’une profonde déchirure ». Mais comment l’auteur a-t-il su qu’il avait été antisémite ? Le début de sa vérité est –et quel paradoxe ! – une grande histoire d’amour qui, un jour, ne fonctionne plus. Ainsi, Raymond Pronier qui a épousé une femme juive ne ressent plus d’attirance pour elle. Est-ce l’usure ordinaire du couple ou est-ce – lui qui portait très haut la tendresse et l’attachement qu’il avait pour son épouse- une cause plus complexe ? Si oui, quelle est-elle ? Les circonstances font, qu’à l’époque de cette interrogation, Raymond Pronier tombe sérieusement malade et qu’il est invité, par son médecin, à suivre (pour faciliter sa convalescence) une psychanalyse. Et, évidemment, au cours d’une séance le narrateur en vient à parler du passé de son enfance et d’évoquer (entre autres personnes) « sa grand-mère maternelle, Elsa, qui ressemblait à Golda Meir », une vieille dame qui, dans une sorte d’idéal rêvé, se plaisait à croire que les kibboutz était l’avenir de l’Homme… Et à Mamie Pronier d’en parler à son petit fils qui –l’esprit des enfants est malléable –« à l’heure de s’endormir se disait souvent qu’il serait bien mieux, bien plus heureux, dans un kibboutz que dans cette drôle de famille où il ne sentait pas à sa place, où il n’avait pas de place ». Or, ces faits anodins et quelques autres tels qu’une circoncision hygiéniste ont fait du chemin dans la cervelle du gamin qui, plus tard, à l’âge adulte l’a conduit, nous confie Raymond Pronier « à parler de plus en plus souvent « des Juifs » mais je n’arrivais pas, ajoute-t-il, même pas à me dire que la question juive était un problème pour moi. Infoutu d’aller droit au but, je tourne autour du pot ». Un comportement qui, lors des très nombreuses séances psychanalytiques, s’est révélé terrible et ravageur pour la personnalité, l’environnement social et la famille du narrateur. « Longtemps j’ai été antisémite » peut sembler difficile. Ce n’est pas le cas et c’est en cela que l’essai –écrit avec talent- de Raymond Pronier se distingue des autres récits du même genre. En effet, il est fort attractif, captivant même. Pourquoi ? Parce que sous la forme d’une histoire (ce qui donne à l’ouvrage sa présence littéraire) il raconte une histoire humaine, simplement humaine.
« LONGTEMPS J’AI ETE ANTISEMITE »
de Raymond Pronier. Editions « Le bord de l’eau » dans la collection Judaïsme.
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