Joanna Smith Rakoff : l’alibi Salinger

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Par Nicolas Vidal –bscnews.fr/ Une année avec Salinger a le mérite d’explorer une vie qui, aujourd’hui, pour beaucoup d’entre nous, n’a plus cours ; celle de la période ante-numérique, à laquelle on repense parfois avec une pointe de nostalgie. Joanna vient de terminer ses études et trouve un poste d’assistance dans une agence littéraire new-yorkaise réputée, dirigée par une femme d’un certain âge qui s’est oubliée dans une autre époque, celle des machines à écrire, des dactylos et des vieilles bibliothèques poussiéreuses. Joana fraîche, curieuse et un brin candide découvre un monde qui lui est totalement étranger et va se révéler initiatique.

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La ville de New York, comme c’est le cas dans très nombreux romans du genre, n’est, pour une fois, pas un personnage à part entière de la trame, mais est au contraire un formidable alibi pour mettre en exergue le poids des classes sociales de cette ville si partagée entre la puissance de la ville-monde et la précarité de ceux qui espèrent y goûter.
Joanna fait l’apprentissage d’un écosystème littéraire tout autant qu’il est à la fois délicat et brutal avec ses mesquineries, ses vengeances et ses traits de génie. Il y a un certain talent de la part de Joana Rakoff Smith à scruter et à retranscrire la quintessence des petites affaires du monde de l’édition. En relief, Joanna expérimente une vie conjugale qui ne prend du sens et qui délivrera sa vérité au regard de sa trajectoire au sein même de l’agence. Enfin, la relation avec Salinger vient doucement au fil des pages sans fracas, amenée avec patience mais détermination qui finit d’achever la pleine maturité de Joanna dont le personnage a quelques complexités intéressantes et une évolution équilibrée. L’auteur a également brossé avec soin le portrait d’un Salinger touchant sur lequel il paraît vite fait de s’attendrir. Joanna Rakoff Smith a cette faculté d’amener son lecteur à se poser des questions pour tenter de dénicher la vérité, entre ce qui est purement fictionnel de ce qui appartient à la mythologie de Salinger.

Dans tous les cas, ne lisez pas  » Mon année avec Salinger » si vous cherchez un roman sur New York, car ce n’est pas le cas. C’est, au contraire la voix sensible d’un parcours initiatique qui résonne au plus profond d’une jeune fille. C’est une histoire écrite avec soin et pudeur où la littérature est emmaillotée telle une poupée russe et se dévoile par couche à la narratrice. Il n’est pas faux de dire que cela pourrait apporter un nouvel éclairage sur Salinger, mais il semble crucial d’attirer votre attention sur le fait qu’il est question essentiellement de l’apport du livre et de l’écrit dans les existences quelles qu’elles soient et peut-être que Salinger est le meilleur alibi pour aller bout de cette démonstration.

MON ANNÉE SALINGER
de JOANNA SMITH RAKOFF
EDITIONS: ALBIN MICHEL
304 PAGES – 20,90 EUROS

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