COMBAT: une pièce de boucher servie par un superbe plateau d’écorchés

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Par Florence G.Yérémian –bscnews.fr/ Etrange couple que celui de Jean et sa soeur. Au coeur de cette fratrie issue d’une mère usée par son travail et abandonnée par son mari, difficile de comprendre pourquoi les rôles et les rivalités se sont ainsi répartis : d’un côté, s’élève la favorite, l’enfant toujours choyée et de l’autre, croupissant dans l’ombre, se terre le garçon qui ne vaut rien, celui que l’on a sacrifié…

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Il faut dire qu’« Elle » est parfaite: belle, brillante, caractérielle. Afin de ne pas pourrir dans ce trou perdu du monde où elle a grandi, elle a rejoint Paris dès qu’elle a pu s’enfuir et s’est bien vite laissée embourgeoiser; Jean, lui, n’a jamais pu s’extirper de cette banlieue natale. Année après année, il y endosse le rôle du fils raté, du batard de la famille qui n’a rien su faire de sa vie. Coincé entre des abattoirs sanguinolents et une prison, il laisse filer les jours aux côtés de sa pauvre épouse Gloria, en adulant sempiternellement cette soeur qui ne daigne même plus venir les voir.
Mais une occasion se présente: la médaille du travail doit être remise à leur mère. Jean organise alors une fête à laquelle il convie immédiatement sa soeurette. Avec réticence, la demoiselle parisienne accepte de se déplacer jusqu’au domicile familial mais la fête tourne mal: la boisson s’en mêle, les rancoeurs refont surface et chacun plonge silencieusement dans un tunnel de remords. Prête à repartir vers la capitale, Elle perd soudainement tout contrôle. En attendant son train sur le quai sombre de la gare, elle commet l’irréparable: de ses mains lisses et immaculées, elle poignarde un inconnu, rejetant sur cet innocent toute la haine et la douleur qu’elle dissimule depuis des années: l’espace d’un instant cet étranger de passage est devenu le père qu’elle n’a jamais connu et celui qui a lâchement abandonné son frère; l’espace de ce même instant, elle a pris les traits de sa mère bouchère et les a vengés de cette destinée bancale et malheureuse qui les poursuit encore aujourd’hui! Mais à présent qu’un meurtre a été commis: qui va-t-on accuser? L’enfant prodigue ou le frère qui n’a rien su faire de sa destinée et ne sert, somme toute, à rien ?

La pièce mise en scène par Jacques Descordes est un combat au sens propre autant qu’au figuré. Au milieu de cette arène existentielle, des êtres en tension évoluent et se déchirent en permanence: ils luttent pour la vie, pour l’amour, pour leur place au sein de la famille et de la société. Menée comme un thriller contemporain, cette intrigue théâtrale est superbement tenue par quatre grands acteurs. Grace à leur jeu ambigu et aiguisé, ils nous tiennent en haleine du début à la fin du spectacle: Jacques Descorde interprète le fils déchu avec une justesse et une violence intrinsèque. Enfermé dans une prison mentale, il sait se faire aussi doux que désespéré et endosse avec humilité le rôle de l’agneau sacrifié pour tenter de donner un sens à sa vie. A ses côtés, Astrid Cathala se glisse avec véracité dans la peau hypocrite et meurtrie de sa soeur. Frêle et élégante, elle sait faire preuve d’une intensité et d’une cruauté étonnante notamment dans l’éclatante scène de meurtre sur le quai de la gare. Dans un registre plus discret, Anna Andreotti prend adroitement les traits un peu grossiers de Gloria, la belle soeur. Malgré sa réserve et sa soumission apparente, cette femme du peuple demeure lucide et demande simplement à ce que justice soit faite. Afin de relier ces trois êtres en souffrance, Erwan Daouphars va, quant à lui, s’accaparer tour à tour les rôles du garçon boucher, du gardien de prison ou de la victime. Sa présence multiple et insistante apporte une étrangeté ainsi qu’une cohésion évidente à la trame de ce drame contemporain.
Par le biais de ces protagonistes, l’auteur Gilles Granouillet s’attache à explorer en priorité les relations frère-soeur au sein d’une famille dévastée. Derrière son écriture brutale, il ne se contente cependant pas d’esquisser de façon expressionniste cette image quasi biblique du fils déchu et de la fille prodigue: il s’amuse aussi à disséquer le conflit social entre prolétaire et bourgeois tout en mettant en exergue le combat psychologique qui se joue entre un être coupable et un autre, sacrifié sur l’autel de l’amour.
Chacun sait en ce bas monde que toutes les vies ne se valent pas. Faut-il pour autant se débarrasser des plus faibles sans même leur laisser le choix ? Tel est de questionnement de cette pièce âpre et écorchée qui n’hésite pas à suspendre au milieu de sa scène une carcasse de boeuf sanguinolente aux accents plus que soutiniens!
Combat? Une partition crue qui va vous secouer les entrailles…

Cette pièce n’est pas conseillée pour les enfants.

Combat
Texte de Gilles Granouillet
Mise en scène Jacques Descordes
Avec: Anna Andreotti, Astrid Cathala, Erwan Daouphars et Jacques Descordes

Lucernaire
53, rue Notre Dame des Champs – Paris 6e
Réservations: 0145445734
www.lucernaire.fr

Jusqu’au 16 novembre 2014
Du mardi au samedi à 21h30
Le dimanche à 17h

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