Ogawa Ito : le secret de l’âme
Par Félix Brun – bscnews.fr/ C’est un livre surprenant et beau. Un hymne à la nature et aux oiseaux en particulier, à l’humanisme et à la spiritualité. Sumire, qui fut autrefois une chanteuse célèbre, recueille dans son immense chignon des œufs abandonnés par un oiseau ; avec Hibari sa petite fille par procuration, elles vont procéder à la couvaison dans ce nid très original. Un oiseau naît et le nom de Ruban lui est donné : « C’est le ruban qui nous relie pour l’éternité, vous et moi, Hibari, a murmuré Sumire en regardant l’air. »
Pour Hibari « Ruban reliait mon âme à celle de Sumire. Nous étions unies par un ruban transparent, invisible. » Et puis, Ruban s’envole apportant bonheur, tendresse, soif de joie et de vivre dans tous les endroits où il se pose. Ainsi il redonne espoir à la jeune maman qui a perdu son fils à la naissance ; il séjourne à la Maison des Oiseaux où il encourage Tari, jeune transformiste victime d’exclusion et de rejet, « Bien sûr, de temps en temps, il se passe des choses qui me font encore plus encore plus détester les humains, mais je tiens bon : je fais ça pour l’argent. » Ruban change de nom au gré de ses rencontres et s’enfuit dès qu’il considère avoir apporté la consolation à ceux qui l’ont hébergé, tel dans ce bar à bière d’une tenancière blasée et blessée, et d’un client en mal de son couple. Il devient Suehiro et redonne envie de vivre, de peindre et de travailler à Maître Mihoko, artiste condamné par la maladie pour qui : « La peinture m’a appris le désir. Quand je peins, j’atteins l’extase. Parfois, j’en oublierai presque de respirer. En peignant, j’ai découvert le moyen de parvenir à l’oubli de moi-même. » L’oiseau entretient cette relation entre les êtres et les actes : « l’annonce de ma mort prochaine, ma rencontre avec Suehiro, et enfin ce travail. Tout était peut-être lié par un fil invisible. »
Il poursuit sa « mission « et ramène le bonheur dans la famille d’un jeune veuf qui retrouve une épouse et la joie de ses enfants ; il redonne espoir à la fillette qui l’avait sauvé en le libérant de sa cage lors d’un tsunami. L’amitié fusionnelle entre la grand-mère, l’enfant et l’oiseau irise ce roman tout en symboles et en signes de la nature, de l’esprit, de l’âme. Sumire livre à Hibari son secret, cet amour qu’elle n’a jamais pu réaliser : « A chaque page qu’elle tournait, on entendait un petit grincement, exactement comme une vielle porte en bois qu’on ouvre. Les pages fanées étaient couleur caramel, les photos pareilles à des clichés en noir et blanc vaguement coloriées. » Ruban est né, a cassé sa coquille le 9 Novembre 1989, le jour même où le mur de Berlin est tombé, cette frontière infranchissable qui a empêché Sumire et Hans de se retrouver. « La signification du nom de Ruban pour Sumire. Sans doute représentait-il pour elle la réincarnation, la renaissance. Je ne pouvais pas m’empêcher de penser que Ruban était la réincarnation de Hans. »
Ogawa Ito signe un roman étincelant dans une écriture sensible et délicate, jouant d’images et de métaphores choisies ; elle aborde avec subtilité, élégance et des pointes d’humour, des sujets tristes et pénibles tels la maladie, le deuil, la mort, l’exclusion.
LE RUBAN
OGAWA ITO
EDITIONS Philippe Picquier
286 PAGES – 19,50 euros
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