En quoi cet album Checkpoint est-il un retour musical vers vos racines ?
Pendant ces derniers 25 ans j’ai fait des explorations dans mon patrimoine : la culture juive de l’Europe de l’est. C’est une culture que j’avais ignorée dans mon enfance parce que ma famille avait totalement assimilé la culture américaine depuis les années trente à New York . Mais dès que j’ai commencé à jouer la musique klezmer (à l’âge de trente ans) je me sentais « chez moi ». Cette exploration a pris beaucoup de formes. D’abord, avec mon groupe, j’écris ma propre musique tout en jouant aussi des airs traditionnels. Deuxièmement, j’ai toujours cherché à créer mon propre style dans mes improvisations en mélangeant un son « traditionnel » avec une grande palette d’influences (funk, jazz, avant-garde etc) . J’ai fait aussi des collaborations et des mélanges de styles avec des musiciens comme mon ami Socalled et aussi avec le grand maître de la musique funk Fred Wesley. Cela crée un dialogue « cross-culturel » passionnant. Et en même temps j’interprète les compositions (concertos en soliste avec orchestre, la musique de chambre etc) de grands compositeurs comme Osvaldo Golijov et John Zorn qui a aussi fait des explorations dans la culture juive en trouvant les liens entre la musique klezmer et la composition classique. Donc, ce disque « Checkpoint » n’est pas un retour, mais plutôt un départ où je raconte musicalement toute l’histoire de mon voyage artistique dans sa totalité avec tous les rencontres que j’ai faites jusqu’aujourd’hui.
Pensez-vous que le fait d’avoir grandi à New-York vous a permis de réfléchir à cette notion de racines et vous a incité à entreprendre ce voyage ?
Certainement, j’ai de la chance d’avoir grandi à New York. Quand j’avais 15 ans j’avais l’opportunité d’écouter Duke Ellington, Charles Mingus, Thelonious Monk etc, dans des concerts « live ». C’était une expérience magnifique qui a créé en moi une autre notion de racines. A la fin des années 80 quand j’ai commencé ma première expérience avec la musique klezmer, il y avait toute cette culture juive de la génération de mes parents et de mes grand parents autour de moi… mais en même temps une sensibilité parmi des jeunes gens vers l’expérimentation et l’improvisation. Donc c’était la « vieille » culture qui côtoyait une jeune culture avec la possibilité de dialogue.
Cette période de la fin des années 80 à New York était magique avec plein d’énergie.
Quel est pour vous le lien entre la musique et les origines ?
Pour moi, quand j’ai commencé à apprendre la musique klezmer pour la première fois, j’avais beaucoup à faire…. beaucoup à apprendre. C’était un vrai boulot. Mais en même temps, j’avais l’accent Yiddish très fort de ma grand mère dans ma tête. Pour cette raison, mon voyage dans la musique de mes ancêtres me semblait tout a fait naturel.
La musique est-elle une sorte d’héritage ou de retour vers le passé pour mieux comprendre qui l’on est ?
Absolument !
Vous êtes retourné sur la terre des vos ancêtres. Comment avez-vous souhaité retranscrire cela dans cet album ?
Depuis 1992 je voyage beaucoup en Pologne et la Russie. Ce sont les rencontres avec les gens qui m’aident à mieux comprendre tout ce qui était perdu pour moi. Ce sont ces connections humaines que j’essaie de décrire (abstraitement), et transposer dans ma musique.
A ce sujet, est-ce que cet album a été écrit sur place ou l’avez-vous réalisé après ?
Cet album représente 3 ans de travail et de réflexion.
On peut lire que vous avez commencé à ressentir « le groove et le funk» de vos ancêtres. Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet ?
Beaucoup des gens de ma génération ont appris la base de la musique klezmer avec les 78 tours des années 20. C’était notre « pierre de rosetta » si vous voulez.
Quand on entend ces disques, on entend une musique farouche et féroce qui est pleine de « groove » (rythme de trance) et « funk » (de la terre). C’est ma sensation quand j’écoute ces vieux disques. Donc « L’Ancestral Groove » est pour moi un mélange de ces qualités de la « vieille » musique « farouche » avec ma sensibilité (et la sensibilité des musiciens avec qui je travaille) vers la modernité.
Comment s’articule votre travail avec les musiciens d’Ancestral Groove ?
Tous les musiciens ont développé leurs propres styles d’improvisation pendant des années. Donc je cherche à encourager tous les musiciens d’Ancestral Groove à jouer naturellement avec leur manière propre. Mais en même temps j’écris les matériaux musicaux qui évoquent l’atmosphère de mon voyage culturel. Donc ça c’est différent pour eux, et ça pose le « challenge » pour nous tous.
Si vous deviez définir cet album en deux mots ?
Voyage, groove
Pouvez-vous nous donner les grandes lignes du Klezmer ?
La définition de la musique klezmer (au sens strict) c’est la musique de célébration des juifs de l’Europe de l’est.
Vous voyez-vous quelque part comme un Klezmorin du fait de vos voyages et de vos créations musicales ?
La tradition du klezmer comme une musique qui fonctionnait dans un milieu culturel particulier (pour les mariages, les fêtes etc etc) n’existe presque plus. La culture yiddish telle qu’elle était avant la deuxième guerre a été détruite par la Shoah, Staline ( avec la suppression de tous les groupes ethniques dans le « eastern Bloc ») et l’assimilation. Mais, il y a une culture différente qui existe maintenant avec les créations, les groupes qui font des choses très artistiques, des gens qui créent de nouvelles choses etc. Donc, cette culture existe plutôt dans le monde de l’art. Pour moi c’est la réalité de la situation… et je trouve ça très intéressant.
Le site officiel de David Krakauer
David Krakauer «Checkpoint »
(Label Bleu)
Lire aussi :
Dominique Fillon : plus jazz que politique
Macha Gharibian : Au carrefour du texte et du jazz
Takuya Kuroda : le nouveau prodige du jazz new-yorkais
Kristin Asbjornsen : un Jazz nordique au carrefour de la tradition et des spirituals
Sofie Sörman : un album « sensible et narratif »
Tutu Puoane : une chanteuse sudafricaine à la voix lumineuse