Boris Charmatz : des adultes, des enfants et des machines sur le plateau

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Propos recueillis par Julie Cadilhac – bscnews.fr/ Crédit-photo Caroline Ablain/ Originaire de Chambéry, formé à l’Ecole de Danse de l’Opéra de Paris puis au Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Lyon, Boris Charmatz a dansé sous la direction de Régine Chopinot, Odile Duboc avant de créer ses propres chorégraphies.

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Depuis 2009, il est le directeur du Centre chorégraphique national de Rennes et de Bretagne. Il présente au Festival Montpellier Danse « Enfant » ( pièce créée à Avignon) dans laquelle des adultes, des enfants et des machines se partagent le plateau. On l’écoute !

Cette pièce a pour point de départ une précédente création qui se nomme Régi, c’est bien cela?
Enfant a été créée à Avignon. J’avais visité la Cour d’Honneur en construction; parce qu’il faut savoir que chaque année, on déconstruit le théâtre de la Cour d’Honneur et puis on le reconstruit. Ça se passe la nuit parce que la journée les touristes visitent le Palais des Papes et j’y ai vu une énorme grue qui construisait la scène et les gradins et je me suis dit qu’il fallait partir de là. Dans Régi, que j’avais présentée d’ailleurs à Montpellier au Théâtre des 13 Vents, il y avait une grue noire qui ne déplaçait pas des bouts de scène mais des corps. J’ai eu l’impression assez intuitive que, de la même façon que la scène de la Cour d’Honneur se construisait avec une grue, il fallait que je fasse de même avec la construction de ma chorégraphie. J’avais jusqu’alors créé des pièces plus petites qui n’étaient pas vraiment adaptées à des scènes comme celles de la Cour d’Honneur; je suis donc parti de quelque chose d’intime, un trio, pour ne pas me faire violence et ne pas mentir finalement et faire comme je savais faire… en essayant de l’ouvrir pour la Cour d’Honneur avec des enfants. J’ai fait ainsi intervenir des amateurs. Dans Régi, la grue était une machine chorégraphe: elle faisait bouger des corps qui,eux,ne bougeaient pas. Et j’ai voulu faire la même chose dans « Enfant » avec des adultes qui feraient bouger des enfants qui resteraient endormis. C’est un parti-pris assez particulier parce qu’au départ, les enfants sont endormis … donc ils ne dansent pas.

Dans la genèse d’Enfant, vous avez pu évoquer aussi votre lecture de textes de la RESF ( Réseau Education Sans Frontière)….
Effectivement c’était une période où l’association RESF avait fait paraître des lettres témoignages qui parlaient d’enfants immigrés illégaux, rattrapés dans les écoles et qu’on avait du cacher pour qu’ils ne soient pas expulsés notamment… Aussi je me disais qu’aujourd’hui si on veut faire un travail sur l’Enfance, on va d’abord penser à la joie, les jeux, la danse mais en même temps, il y a des questions assez politiques qui doivent surgir. On parle beaucoup de pédophilie par exemple mais il y a aussi des enfants qui souffrent des conséquences de la pauvreté, du chômage, du racisme…de plein d’autres choses et pas seulement du grand spectre pédophile. Ces réflexions ont nourri cette pièce. Je ne les vois pas comme un point de départ sombre mais plutôt sérieux. Je ne voulais pas montrer que le côté sympathique, genre on va mettre des enfants sur scène et ils vont gambader. Il n’y a pas de texte par contre dans le spectacle; les lettres de RESF ne sont qu’une inspiration initiale.

Sur scène donc, il y a des adultes, des enfants et des machines…
Ça commence par des machines qui font des chorégraphies avec des corps d’adultes ( il y a une grue et d’autres machines). Après les adultes amènent les corps d’enfants endormis et les font danser. Après ça se complexifie parce que les enfants se réveillent et qu’il y a un musicien qui est un peu comme dans le conte du joueur de flûte, et il entraîne tout le monde dans une danse folle et ça se termine par une sorte de République des enfants parce que les choses se retournent et que les enfants se saisissent du musicien….

Au niveau de la bande-son, il n’y a que de la cornemuse?
Il y a principalement le son des machines en fait et puis il y a le travail d’Erwan Karavec qui est un joueur, improvisateur et compositeur de cornemuse extraordinaire – avec lui, on oublie la cornemuse traditionnelle. Il y a aussi un travail que j’ai fait avec Olivier Renouf : on a amené des sons. Et il y a également un partition de chants faits avec les enfants et les adultes. Il y a donc une matière sonore assez riche. Il y a même un extrait de Mickael Jackson, son fameux tube Billie Jean, où l’on entend juste sa voix toute seule qui se mélange aux machines et à plein d’autres sons. Dans ce tube, les paroles sont pleines de filiation puisque la phrase qui revient toujours est  » the kid is not my son » . C’est une chanson très bizarre puisqu’elle est faite pour danser mais en fait elle évoque des problèmes de paternité et d’enfance. Mickael Jackson, c’était vraiment ça d’ailleurs, quelqu’un qui ne voulait pas sortir de l’enfance…

Est-ce que c’était la première fois que vous travailliez avec des enfants? Quel âge ont-ils en moyenne? À quelles difficultés avez-vous pu vous heurter?
Je dirige depuis 5 ans Le Musée de la Danse à Rennes; quand j’ai débuté, on a produit des spectacles avec des enfants qui étaient faits pour un public adulte. On les a produits et soutenus mais ce n’est pas moi qui les ai chorégraphiés. « Enfant » est mon premier spectacle avec des enfants. Pour le choix des enfants, on a organisé un petit stage-audition à Rennes: 30 enfants sont venus et au lieu d’en choisir quelques uns, on les a tous emmenés à Avignon, qu’ils dansent bien ou pas etc. Ils avaient à l’époque de 6 à 12 ans. A Montpellier, ce sera un autre groupe d’enfants parce que le Corum est plus petit que la Cour d’Honneur; on vient avec 13 ou 14 enfants seulement. Il reste un seul enfant de la création initiale je crois. Ce sont de nouveaux enfants parce que les enfants d’Avignon ont grandi.
Ce sont les enfants qui ont fait beaucoup du spectacle ; ils ont proposé notamment toute la fin du spectacle et notamment le fait qu’ils se réveillent et qu’ils dansent…c’est eux qui ont souhaité le faire. On a suivi en un sens leurs directives. Ça a été un bonheur de travailler avec eux, ça a changé nos relations de travail avec les adultes aussi et ça a même changé le Festival d’Avignon puisqu’en 2011 beaucoup de projets ont été créés autour de l’Enfance et ça a généré un festival assez différent.

Dans cette pièce, les enfants sont manipulés par des adultes dans leur sommeil. Quels sentiments, quelles émotions cela procure-t-il chez le spectateur? Impression de cauchemar ou de rêve agréable?
Le spectateur réagit à sa manière , même si c’est quelque chose de sombre globalement. Mais il y des débats. Il y a des spectateurs qui en ont une image agréable, avec l’idée de leurs gosses qui font semblant de dormir quand ils rentrent du spectacle puis sautent sur leur lit et puis ensuite on les recouche. On leur fait faire l’avion par exemple sur scène; il y’a donc aussi l’idée de jeu et de plaisir. On les porte, il y a de la tendresse aussi. D’autres spectateurs, par contre, ressentent l’angoisse de la pédophilie, de la manipulation des enfants par les adultes, l’oppression sociale aussi. Je dirais, je crois que c’est de la danse au départ. Il y a des duos entre un adulte et un enfant…mais après, voilà, ça résonne de plein de manières. De plus, si l’on commence avec des enfants endormis, ensuite ils se réveillent et ils prennent le pouvoir. Alors, oui, il y a plein de choses à lire dans ce spectacle, comme un conte. Comme dans un conte, il y a plusieurs couches: les enfants comprennent quelque chose, les adultes autre chose. C’est un conte ouvert et avant tout chorégraphique.

Qu’est-ce qui vous intéressait justement dans ce dispositif chorégraphique?
Ça m’intéressait de faire de la danse pour des corps qui ne bougent pas. On pense toujours à la danse pour bouger. J’aime aussi penser la danse pour les gens qui ne peuvent pas bouger, ont des difficultés à bouger ou n’ont pas accès à la danse. On fait, réalisons-le, des spectacles de danse pour des gens qui sont assis. Les enfants sont un peu comme des petits spectateurs puisqu’ils sont endormis, ne bougent pas et on les fait bouger…. comme si on essayait de faire bouger les spectateurs en fait. On est donc moins en train de montrer des enfants que de faire de la danse pour eux et le spectateur doit se demander ce que les enfants ressentent et ils se projettent à l’intérieur de ces corps endormis. Je ne dis pas que les spectateurs retombent en enfance; ils ressentent les choses à travers les corps d’enfants.

Vous avez pu évoquer le travail de Jean-Claude Gallotta, qui, dans les années 80, dans Hommage à Yves.P, avait déversé sur la scène de nombreux enfants nus. Une chose qu’on ne peut plus faire aujourd’hui, selon vos dires. Quelle est votre réaction de chorégraphe sur ce changement des points de vue?
Je pense qu’il faudrait pouvoir continuer à faire cela. Jean-Claude a fait ce geste extraordinaire d’enfants qui envahissent un plateau en courant – ce n’était pas de la chorégraphie complexe- ils étaient en chaussures et chaussettes et ils couraient et c’était magnifique. Déjà , à l’époque, ça faisait grincer quelques dents . Dans « Enfant », les enfants sont habillés mais tout le travail qu’on fait provoque des interrogations chez certains…a-t-on le droit de faire ça? Pourtant, dans les grandes pièces de théâtre, par exemple, Medée tue ses enfants et on peut représenter Médée sur scène. Et je pense que la danse peut montrer ça aussi ; les enfants et les adultes peuvent voir ce type de danse. Dans « Enfant », on touche les enfants. Et d’une certaine manière, aujourd’hui, c’est une sorte de tabou de toucher les enfants parce qu’il y a la pédophilie partout qui rode et qui fait peur. Du coup, on ne fait plus des choses qui sont nécessaires. Par exemple, pour apprendre la danse, il est vraiment important de toucher. On n’apprend pas seulement en regardant une vidéo , un miroir ou une idole de danse. On apprend par le toucher et le porté. Le contact physique est extrêmement important. L’enfant est d’abord en contact physique avec sa mère dès la naissance. On est tellement obnubilé par le danger de la pédophilie qu’on ne voit pas les autres dangers qui menacent les enfants et dont je parlais plus tôt. Moi, j’ai envie qu’on puisse faire encore des gestes forts comme celui de Jean-Claude Gallotta. D’une certaine manière, « Enfant » en est un parce que ce que l’on fait a suscité beaucoup de polémiques. On les assume. C’est un spectacle qui a beaucoup tourné dans toute l’Europe et qui a même été élu meilleur spectacle 2012 en Allemagne donc ça a fait tomber un peu les polémiques.

ENFANT
BORIS CHARMATZ
Samedi 5 juillet – 20 heures
Opéra Berlioz / Le Corum
Esplanade Charles de Gaulle
Montpellier

Montpellier Danse
Réservations sur www.montpellierdanse.com/spectacle/enfant.htm

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