julien guill

Julien Guill : « Le jeu est l’ennemi. Il faut « être » »

Partagez l'article !

Formé à la Comédie de Saint-Etienne et au C.N.R de Montpellier, Julien Guill a notamment joué sous la direction de Jean-Claude Fall, Marion Guerrero, Michel Arbatz, Eric Massé, Gilbert Désveaux, Mathias Beyler…Il a également mis en scène  » Ce soir on improvise » d’après Luigi Pirandello et L’ogrelet de Suzanne Lebeau lors de cette dernière saison.

propos recueillis par

Partagez l'article !

Vif passionné de poésie, il est à l’initiative de nombreuses lectures ou déclamations poétiques et il initie régulièrement des élèves du second degré à la pratique des  » commandos poétiques ». Depuis 2007, il est le responsable artistique de la Compagnie Provisoire. Avec Fanny Rudelle, ils ont imaginé une performance autour des Feuilles d’Herbe » de W. Whitman où l’on est convié à un dîner durant lequel un homme prend la parole et son verbe, saisissant, nous invite à nous réaliser pleinement. Rencontre en mots inspirés avec cet artiste montpelliérain que l’on vous incite à ECOUTER.

Pourriez-vous d’abord nous expliquer votre parcours théâtral?
Concrètement, j’ai débuté le théâtre au Lycée Mas de Tesse à Montpellier et poursuivi ma formation d’acteur d’abord au conservatoire de Montpellier dans les classes d’initiation puis ensuite à l’école de La Comédie de Saint-Etienne, à l’époque sous la direction de Prosper Diss et sous l’influence de Jean Dasté , un des grands acteurs de la décentralisation. Après ma formation, j’ai travaillé comme acteur avec plusieurs compagnies en région et hors région. Au fur à mesure de mon parcours, trois choses me sont apparues. Un très grand intérêt pour le travail de proximité, c’est à dire, des spectacles, comme Feuilles d’Herbe, avec une jauge réduite, au plus proche du spectateur. Un plaisir évident de transmettre ma passion pour le théâtre. Un désir de travailler sur des thématiques plus personnelles et d’entreprendre de créer mes propres projets. Ainsi, il y a maintenant sept ans, je suis devenu responsable artistique au sein de la Compagnie Provisoire, j’ai écrit le « manifeste pour un théâtre enragé », qui place l’interprète et son rapport au texte dramatique et/ou poétique au centre de l’acte théâtral et qui privilégie la mobilité d’action en se désencombrant au maximum de toutes les contraintes techniques liées aux lumières, au son, aux décors et aux costumes. Tout en poursuivant mon métier d’acteur, je me confronte à la mise en scène et crée un à deux spectacles par saison, toujours dans des jauges réduites et avec une équipe artistique qui se fidélise au fur à mesure des créations.

Vous aimez à porter sur scène des textes poétiques : vous qualifierez-vous plutôt de déclamateur, de récitant? Peut-on dire que l’on joue de la poésie à proprement parler?
Je choisirai le mot de récitant. C’est à dire de tenter de donner le texte. Il est justement nécessaire de « ne pas jouer ». Et cette problématique du « non-jeu » devrait, pour moi s’appliquer, au-delà des textes poétiques. Le jeu est l’ennemi. Il est une convention trop sécurisante entre les acteurs et le public. Il faut « être ». Être sur scène avec tout l’inconnu, le vertige, les maladresses que cela comporte. D’autant plus avec la poésie où il question d’une fragile traversée dans l’émotion et dans le langage. En tant qu’interprète, je suis pris, je navigue entre des émotions brutes et du langage brut. Le spectateur doit accepter parfois de s’y perdre pour y trouver du sens, il a un travail imaginaire à produire. Il est nécessaire de s’efforcer à rendre le spectateur actif.

À part Walt Whitman, de quels poètes nous conseilleriez-vous la lecture? Et pour quelles raisons?
J’ai découvert la poésie en écoutant Léo Ferré et je crois qu’il faut aborder la poésie en écoutant des passeurs parce qu’elle est vivante. Il est important d’entendre de la poésie. Il y a dans le département au moins deux festivals de poésie (les Voix-Vives de méditerranée en méditerranée à Sète et les voix de la méditerranée à Lodève) où l’on peut rencontrer des poètes, les voir et les entendre. Je vous conseille donc d’y aller. Ou pendant l’année d’aller rencontrer écouter les auteurs en librairie ou médiathèque, à côté de chez vous.

Vous êtes l’interprète soliste de Feuilles d’herbe mis en scène par Fanny Rudelle : qu’est-ce qui vous a donné envie d’adhérer à ce projet?
Il faut poser la question à Fanny car, pour ce projet, je lui ai demandé de m’accompagner. Il s’agit d’abord d’une démarche personnelle, intime. J’ai rencontré l’écriture de Walt Whitman durant la Comédie du Livre sur les auteurs Américains. À cette occasion, sur proposition de la maison de la poésie nous étions trois interprètes à lire en public des poèmes de Ginsberg, Dickinson, Poe et Whitman. J’ai tout de suite voulu traverser le lyrisme de Whitman. J’ai demandé à Fanny de mettre en scène le spectacle dans les préceptes posés dans le manifeste pour un théâtre enragé c’est à dire sans décor, ni costume ni lumière. Je crois qu’il est important de changer cette idée qui laisserait croire que les interprètes sont des attentistes du désir d’un metteur en scène. Notre métier évolue.

Lors de la représentation, nous sommes à table avec vous… un peu comme lorsque les convives, en fin de repas, sentent le temps commencer à flotter et se laissent mieux porter par de belles histoires lyriques?
Plutôt comme un discours en début de repas. Un discours qui embrasse une parole politique et poétique. Une ouverture qui replace le spectateur en un citoyen armé pour pouvoir questionner le monde, sa place à l’intérieur de celui-ci et les représentations qu’il s’en fait. En proposant aux spectateurs de les installer à des tables, en leur offrant à boire et à manger, l’idée de Fanny était de démultiplier la notion de partage qui traverse toute l’oeuvre de Whitman.

Dire de la poésie, cela demande-t-il un travail de diction particulier… pour rendre le texte plus lisible?
L’écriture foisonnante et abondante de Whitman entraine parfois dans des flots de mots qui demandent une agilité particulière et par conséquent un important travail de mémoire et de diction en amont des répétitions afin de les aborder sereinement. Tous au long des répétitions, nous avons fait un travail sur les différentes formes de prise de parole (entre les envolées lyriques, les listes non-exhaustives d’un monde en marche, le discours politique, la prêche, le chant, la musique…) comment les rendre toujours plus concrètes pour les lier au temps présent.

Comment qualifieriez-vous l’écriture de Walt Whitman?
Lyrique, altruiste, profonde et déroutante. En général, la poésie se lit rarement d’une traite, on peut prendre le livre, le consulter, s’arrêter sur un passage, le reprendre, s’y laisser aller. Nous avons conservé seulement un quart du poème initial pour construire une dramaturgie cohérente autour de son écriture et proposer un spectacle d’une heure qui préserve ce qui nous semble être l’essentiel de ce poème fleuve qu’est « Chant de moi-même » extrait du recueil « Feuilles d’herbe » édité en 1855 et traduit par Eric Athenot aux éditions José Corti..

Enfin, pour conclure, pourriez-vous nous citer un petit extrait du texte?
« Je ne me laisse pas plus apprivoiser . . . je ne me laisse pas plus traduire,
Je lance mon aboiement barbare par-dessus les toits du monde.
Je deviens air et me dissipe . . . .
Je répands ma chair en tourbillons et la déverse en jets de dentelle.

Je fais don de moi-même à la boue pour renaître de l’herbe que j’aime,
Si tu veux me revoir, cherche moi sous tes semelles. »

Les dates:

> Feuilles d’herbe – les 20, 21,22 et 23 mai 2014 au Théâtre des 13 Vents à Montpellier

A lire aussi:

Hotel Modern & Arthur Sauer : la Grande Guerre en direct

Rodolphe Dana incarne Ferdinand Bardamu

Christian Benedetti : « Changer la façon de faire ne suffit pas si elle ne met pas en perspective une autre façon de regarder et de voir. »

Juan Carlos Zagal : le mariage superbe de la vidéo, du théâtre et de la bande-dessinée

Jean-Claude Penchenat exhume une comédie de cape et d’épée de Théophile Gautier

Il vous reste

0 article à lire

M'abonner à