Cinéma : la lecture est un film qui permet à chacun d’être le réalisateur de ses fantasmes

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Par Marc Emile Baronheid – bscnews.fr/ La lecture est un film qui permet à chacun d’être le réalisateur de ses fantasmes. Et de les projeter sur son écran intime. Plusieurs livres évoquent les péripéties, les charmes et parfois l’infinie tristesse de l’autre cinéma, celui que l’on dit « vrai ».

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« Un soir, à l’occasion d’un grand dîner dans la luxueuse villa La Fiorentina, au Cap d’Antibes, trois orchestres accueillaient les invités. A l’une des nombreuses tables, j’étais assis à côté de la princesse Grace (l’actrice Grace Kelly, qui avait épousé le prince Rainier). Nous avions mangé, bu, la joie était dans l’air. Je pris le risque de lui demander : « Si vous pouviez revenir en arrière, vous épouseriez le prince ? » Elle me regarda, sourit et dit : « La question est indiscrète. » Quelques minutes passèrent, on servit une mousse au chocolat. Sans me regarder, Grace dit : « Non ».
Héraut de la comédie à l’italienne, auteur de films mémorables tel Parfum de femme, Dino Risi raconte ses souvenirs avec verve, malice, subtilité, profondeur parfois. On y rencontre le Tout-Rome du cinéma des années cinquante à soixante-dix : acteurs et actrices, producteurs, cinéastes. Ils sont italiens, français, américains, suédois. Rien que des héros ? Voire. Apparaissent aussi la famille Risi et l’infanterie du milieu comme la dactylo qui refusait d’écrire « cunnilingus ». Risi ne dédaigne pas non plus l’aphorisme : « Avant de naître, lisez attentivement le mode d’emploi » ou « la beauté est un vêtement endossé par quelques femmes pour quelques années », peut-être inspiré par Socrate (« la beauté est une tyrannie de courte durée »).

Le ton est plus incisif, plus lumineux, plus impertinent dans ce Dictionnaire Chic du cinéma. Eric Neuhoff y caresse et flagelle sans ambages. Ce romancier, critique littéraire et cinématographique taille dans le vif, avec une intelligence qui rend les hommages plus délectables et les coups de griffe plus insupportables. Sceptiques ? A propos du Ruban blanc de Michael Haneke : « Tout de suite, on a la certitude d’être face à une œuvre. Cela n’arrive pas souvent de nos jours. Ces deux heures et demie passent comme un souffle. Je crois bien qu’on s’en souviendra toute sa vie ». Neuhoff aime ce qui pétille, pour preuve son « Champagne ! », (Albin Michel 1997). Sortis de leurs hauts-fourneaux liégeois, les frères Dardenne y ont pris goût. Ils le cachent bien dans leurs films, au misérabilisme polysubventionné. Pas sûr qu’ils sabrent le champagne avec Neuhoff, qui titre « Les Dardenne nous ennuient » une chronique confiant gentiment, à propos du Silence de Lorna : « Il faut rappeler que les frères Dardenne ont déjà obtenu de multiples médailles à Cannes. Cela en fait plus ou moins, les meilleurs cinéastes du monde. On se frotte les yeux. Cette fiction façon documentaire provoque de solides crampes aux maxillaires (les bâillements). Par moments, on en a un peu assez de ces arrière-salles de bistrot, de ces marginaux à l’haleine parfumée à la bière et aux pupilles remplies de pharmacie. La dernière réplique est sans appel : « Dors bien. » Conseil à suivre. A la lettre. »
On lui retournera ce qu’il dit de Lelouch : « Il est agaçant. On voudrait le détester et on n’y arrive pas ». Au point de savourer l’insolente pertinence de sa subjectivité.

Simsolo est sensiblement moins urticant que Neuhoff. Son Dictionnaire de la nouvelle vague est appelé à durer pour d’autres raisons. Tout commence en janvier 1954. Presque le jour où Ernest Hemingway et sa femme survivent à deux crashs d’avion. François Truffaut signe dans les Cahiers du cinéma l’acte de baptême d’ « Une certaine tendance du cinéma français ». Une déflagration. Une lettre de rupture. L’avènement d’une génération hétérogène (ses « membres » viennent d’horizons divers), mue par une volonté commune de briser les carcans de l’académisme et le souci qu’un film soit l’œuvre du metteur en scène. La Nouvelle Vague est née. Simsolo : « Peu de réalisateurs peuvent se revendiquer de cette aventure, même si, parfois, le temps d’un ou deux films, ils en furent les satellites, les copieurs ou les suiveurs ». Une référence.

René Prédal rejette toute théorie du déclin du cinéma français, dont il propose un panorama de l’histoire, vendu comme accessible à tous. Partant du constat que le cinéma français produit bon an mal an « une vingtaine d’œuvres de grande valeur », soit plus de 2000 films depuis les origines, il a voulu en écrire le cheminement, compartimenté en art muet, cinéma parlant, cinéma moderne. Dans l’évaluation de celui-ci, le choix est de « privilégier le « cinéma vérité » aux dépens de la Nouvelle Vague et aujourd’hui Laurent Cantet plutôt qu’Arnaud Desplechin. Prédal est engagé, n’hésitant pas à dénoncer la « merditude du plat pays », ni « cette boue naturaliste du terroir franco-belge » que son œil d’aigle a pu détecter en dépit de la vitesse vertigineuse de son parcours. « Il est donc temps de réhabiliter le poids du passé », puisque « l’histoire immédiate n’est qu’un oxymore ». Quand d’aucuns construisent l’écran du XXIe siècle, Prédal se pose en architecte du soubassement. « Il faut comprendre comment et pourquoi on en est arrivé là » : du Prédal dans le texte.

Plutôt que de suspecter les éditions du Nouveau Monde d’en vouloir au cinéma, faisons-leur crédit de « Qui aime bien châtie bien ». Après le professeur émérite Prédal, voici Jacques Zimmer, qui révèle tout un pan sombre et peu connu du cinéma, celui des grandes affaires judiciaires qui ont entaché la blancheur de l’écran. La corbeille est chamarrée : escroqueries retentissantes, plagiats, piraterie, affaires de mœurs, de censure, de blasphèmes, liaisons dangereuses avec le grand banditisme (il nous parle d’un temps que les familiers de la rue du Cirque ne peuvent pas connaître). Quelques morts suspectes, le pétulant Samy Naceri, l’esthète Roman Polanski, l’exhumation d’Yves Montand, les accusations de viol, l’influence de mafiosi à Hollywood ou dans la production de films pornographiques, l’affaire Tracy Lords, hardeuse mineure, les déflagration du snuff movie, … : il y en a pour tous les (dé)gouts. Comment ose-t-on, après cela, raconter les tribulations d’Ernest et Célestine ?

« Mes monstres, mémoires », Dino Risi, éditions de Fallois/L’Age d’Homme, 19,50 euros

« Dictionnaire chic du cinéma », Eric Neuhoff, avec un précieux index des noms et un index des films, Ecriture, 24,95 euros

« Dictionnaire de la nouvelle vague », Noël Simsolo, Flammarion, 28 euros

« Histoire du cinéma français des origines à nos jours », René Prédal, Nouveau Monde éditions, 22 euros

« Les grandes affaires judiciaires du cinéma », Jacques Zimmer, Nouveau Monde éditions, 19,90 euros

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