Quelle est l’histoire de votre duo ?
Virginie Capizzi : Nous nous sommes rencontrés il y a plusieurs années par des amis communs, mais nous n’avons pas tout de suite joué ensemble. Nous sommes d’abord devenus amis.
Paul Anquez : En fait, notre première collaboration a été pédagogique. Nous avons monté un stage de chant et de piano et c’est dans ce contexte que nous avons donné notre premier concert. C’est comme ça qu’est né notre duo Jazz Songs.
D’où est venue cette idée de Jazz Songs ?
V.C : Nous souhaitions mettre en avant, tant dans le chant qu’au piano, les mélodies de standards de jazz que nous aimions particulièrement. Nous voulions aborder ces standards pleinement comme des chansons : un texte, une mélodie puis bien sûr l’harmonie et l’improvisation.
Pourquoi avoir fait le choix d’un album uniquement composé de reprises ?
P.A : Les standards constituaient notre répertoire commun. Notre duo n’est pas né autour d’un projet de composition, mais par la rencontre d’envies communes de jouer certains morceaux d’un répertoire jazz « classique ». Nous voulions aussi, au début surtout, pouvoir nous rencontrer librement, autour de ces morceaux, sans les avoir trop arpentés ensemble, avec fraîcheur. Pour cela, il était important d’avoir un terrain commun que nous connaissions bien – des standards – et d’être en confiance. C’est sur ce terrain familier que notre rencontre musicale a eu lieu.
V.C : Et nous avons été surpris, lors du premier concert au Saint-André-des-Arts, de ce qui s’est produit, de la façon dont nous nous sommes trouvés, de cette communion entre nous d’une part, et avec le public d’autre part. Nous aspirons à encore plus de liberté, aujourd’hui ; nous avons aussi envie de travailler un peu différemment, en creusant encore la réflexion sur l’esprit de chaque morceau, mais sans tout préparer ni tout prévoir. Et pour l’instant, nous continuons à travailler autour de reprises, ce qui n’est pas forcément plus facile que de travailler sur des compositions personnelles.
Pouvez-vous nous parler du Saint-André des-Arts ?
P.A : Le Saint-André-des-Arts et son directeur, Emmanuel Dufour, sont intimement liés à l’histoire de notre duo. C’est dans cet endroit magnifique que nous avons donné notre premier concert et Emmanuel continue à nous accueillir régulièrement ; nous nous retrouvons chaque fois tous les trois avec beaucoup de plaisir.
V.C : Nous avons avec le Saint-André et Emmanuel, qui est devenu un véritable ami, un lien très fort. Ce lieu est pour nous bien plus qu’un lieu de travail. Une sorte de port d’attache musical.
Le lieu de l’enregistrement n’est-il finalement pas une composante importante de cet album ?
V.C : Si, tout à fait ! Pour des raisons techniques et musicales, nous n’avons pas enregistré au Saint-André, mais en Bourgogne, dans une demeure viticole du XVIIIe siècle, le Pinacle. Nous y avions organisé un stage « jazz et vin » et nous nous sommes vite sentis très bien dans cet endroit, au milieu des vignes, du silence et de la nature. Nous sommes attentifs et sensibles à l’esprit des lieux dans lesquels nous jouons.
P.A : J’ai été séduit par les sonorités du Steinway. Or, le piano est pour notre duo un élément capital. Nous avons donc décidé de retourner au Pinacle. Nous avons pu y enregistrer un peu comme à la maison, sans la pression qu’il peut y avoir lorsqu’on enregistre en studio.
Comment avez-vous appréhendé le répertoire sur cet album ?
V.C : Nous avons choisi des morceaux qui nous émouvaient. Beaucoup de ballades dont les textes sont forts, dont les mélodies nous capturent, nous captivent, mais qui nous laissent aussi beaucoup d’espace, une grande liberté de jeu même si nous allons souvent vers des interprétations sobres et dépouillées, assez simples finalement.
P.A : Nous avons aussi enregistré quelques morceaux plus swing ou blues dont le caractère et l’énergie nous parlent. Pour chacun de ces standards, nous avons avant tout essayé d’aller au cœur des compositions, de ne pas chercher d’effets, mais au contraire d’aborder ces musiques avec simplicité pour tenter de toucher une forme d’essentiel.
Paul, vous disiez récemment dans la vidéo de présentation de l’album « qu’il y a beaucoup d’espace dans le duo », pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet ?
Dans le duo, le jeu sur le son, les nuances, l’harmonie, le rythme est plus malléable que dans une formule plus standard telle que le quartet par exemple. Dans ce format réduit, les décisions se prennent plus rapidement. On peut ainsi passer du dense au vide instantanément. D’où le sentiment d’espace, et de liberté aussi. Le fait de pouvoir jouer sur tous les paramètres du son de façon lisible en un éclair ouvre une vaste étendue de possibilités. C’est un sentiment très grisant !
Virginie, comment vous êtes-vous immergée dans le Jazz vocal ?
Je chante depuis que je suis toute petite et j’ai toujours aimé ça. J’ai plongé dans le jazz assez tôt, par le piano et par l’écoute. Deux grandes figures du jazz vocal féminin m’ont marquée, adolescente : Ella Fitzgerald et Sarah Vaughan. Par la suite, j’ai beaucoup chanté seule, en m’accompagnant au piano à la maison, puis j’ai découvert d’autres interprètes. Jeanne Lee (et son duo avec Ran Blake), Betty Carter, Doris Day, Diane Reeves, Cassandra Wilson, Esperanza Spalding ou encore Youn Sun Nah sont des chanteuses que j’aime particulièrement. Parmi les chanteurs, j’ai beaucoup écouté Kurt Elling, Chet Baker, Bobby McFerrin, mais aussi des classiques comme Nat King Cole ou Sinatra. Ma pratique du chant s’est également nourrie de jazz instrumental, notamment pour le rythme, l’improvisation et la musicalité en général. De par ma pratique du piano, j’ai sans doute plus écouté de pianistes, au début, notamment Bill Evans et McCoy Tyner, Chick Corea, Keith Jarret, Phineas Newborn Jr, Bojan Z ou Brad Mehldau… Mais en fait, je crois qu’adolescente, j’écoutais un peu tous les styles de jazz. J’achetais parfois des disques sans savoir du tout de quoi il s’agissait ! Aujourd’hui, j’essaie de continuer à découvrir de nouveaux interprètes, de nouveaux disques, récents ou anciens. Il y a deux ans, par exemple, j’ai découvert les enregistrements de Jimmy Giuffre/Jim Hall Trio, magnifiques. Tout cela me nourrit et nourrit mon chant et mon rapport à la musique. J’ai bien sûr étudié le jazz vocal et la technique, mais cet apprentissage est intervenu dans un second temps : je chantais, j’étudiais le piano jazz et l’harmonie, j’adorais et j’adore toujours cette musique et vers 24-25 ans j’ai commencé à prendre des cours de chant, assez tard, donc. Lorsque j’avais 12 ans, je rêvais d’être pianiste dans un piano-bar…! Je suis devenue chanteuse et très souvent, quand je monte sur scène, je repense à cela et j’essaie de conserver intacte la joie d’avoir réalisé ce rêve, d’une autre manière.
Pouvez-vous nous parler de l’apport d’Erwan Boulay dans cet album ? N’êtes-vous pas quelque part une forme de trio ?
V.C : Nous sommes très heureux de travailler avec Erwan qui a su d’emblée comprendre nos envies musicales et notre approche. Il a trouvé sa place avec beaucoup de discrétion, de respect et d’efficacité dans les choix de son et de sonorités d’un duo que nous pensons effectivement, quand nous enregistrons, plutôt comme un trio.
P.A : Erwan a une grande culture musicale, tant sur le plan stylistique que technique qui, alliée à sa sensibilité, lui permet d’intervenir aussi dans la direction artistique de façon toujours pertinente. Son apport est donc très précieux pour nous.
Où pourra-t-on vous voir sur scène prochainement ?
V.C : Nous jouerons le 22 février au Sunside, à Paris, puis en province cet été, dans le Nord et en Bourgogne. Toutes les infos seront disponibles sur le site internet du duo, qui sera bientôt en ligne.
P.A : Nous prévoyons surtout d’enregistrer un second album à l’automne 2014 et aimerions partir en tournée au Japon dans la foulée, en 2015.
▶︎ Infos Concert
Toutes les infos sur le site bientôt en ligne : www.pauletvirginie.fr
Jazz Songs
Virginie Caprizzi & Paul Anquez
VERVE Records
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