Vous introduisez votre livre par cette phrase » le jargon masque toujours l’ignorance » et vous poursuivez en disant » j’aime le vin passionnément, mais j’abhorre son jargon. » Que reprochez-vous au jargon?
Le jargon érige des barrières entre les gens. Les gens brillants, c’est amusant, utilisent souvent des mots simples. Ils laissent de bon cœur le langage technique aux autres. À leur contact, leur discipline devient immédiatement limpide, passionnante, abordable. Le vin ne requiert pas de mots compliqués; le jargon du vin n’aide pas à le comprendre, bien au contraire! C’est mon credo et ma promesse dans ce livre: 0% jargon.
Vous abordez le terroir à la fois comme thème et concept. C’est une sorte de déclaration d’amour lyrique et emportée. Dans quelle mesure le terroir est intimement au vin selon vous ?
Le monde du vin a enfanté la notion de terroir. Mais ce que j’explique dans le livre, c’est que le terroir est une notion qui va bien au-delà du vin. Si l’on revient deux ou trois générations en arrière, chaque pays, chaque région même était riche d’une langue, d’une architecture, d’une gastronomie, de vêtements, de légendes et de pratiques culturelles propres. Aujourd’hui, toute cette diversité, toute cette richesse culturelle a largement disparu. Réfléchir sur le terroir, c’est aussi s’interroger sur le monde dans lequel on souhaite vivre. Souhaite-ton vraiment vivre dans ce monde uniformisé et froid? Il est enthousiasmant de comprendre que prôner plus de terroir, ce n’est pas se tourner vers le passé, mais bien vers l’avenir.
Quel fut le déclic qui vous poussa à vous lancer dans le vin et abandonner vos études au grand désarroi de votre maman ?
Au fil de mes études, je me suis aperçu que la vie qu’on me promettait n’allait pas me convenir. J’ai donc pris la tangente. J’ai choisi d’explorer le vin, pour la gourmandise, le mystère, les rencontres, la poésie aussi. L’idée d’un parcours moins clairement jalonné me plaisait bien. Le destin me l’a bien rendu!
Qu’est-ce qui vous a le plus marqué dans votre parcours initiatique au coeur du vin ?
Comprendre le vin m’a permis de beaucoup mieux comprendre le monde dans lequel nous vivons. Et en le comprenant davantage, en parvenant à dissiper les tristes écrans de fumée de notre modernité occidentale, tenter de de vivre plus intelligemment, plus sainement, et harmonie avec ses valeurs. C’est tout cela que j’ai voulu partager dans INTO WINE.
Comment apprend-on le vin ? Car vous parlez d’initiation comme celle que l’on peut acquérir dans la lecture selon vos mots ?
Oui, pour se développer une culture littéraire, il faut d’abord apprendre les lettres, puis les mots, lire un peu, affiner ses goûts, lire davantage. La culture du vin suit un cheminement parallèle. Le vin, c’est un parcours qui dure toute une vie, un parcours de plaisirs, de gourmandise, de gratifications, de déceptions parfois aussi, mais c’est un parcours qui nous façonne. Cet itinéraire gourmand nous apprend la patience, l’humilité, le goût de ce moment fugace et qui ne reviendra plus.
Nos goûts évoluent au cours d’une vie – et ils évoluent toujours vers plus de raffinement. Sur les routes du vin, nous avons tous notre cheminement propre. Certains sont plus avancés, d’autres moins – et peu importe. L’important, c’est le plaisir: et le plaisir se trouve tout le long du chemin! Prendre du plaisir, c’est la meilleure façon d’apprendre. Donc pour apprendre le vin, un seul conseil: prenez du plaisir !
Vous dressez un parallèle fort intéressant entre le vin et l’amour en proposant de devenir un amant du vin. Pouvez-vous nous en dire plus a ce sujet ?
Souvent, les amateurs de vin décrivent le vin de façon presque clinique. L’approche est analytique, calibrée, chapitrée, les termes exigus… En somme, le processus est intellectualisé et l’ambiance glaciale ! Mon idée, plutôt que d’aspirer à devenir amateur, c’est simplement de se muer en amant du vin – de chérir l’intimité de l’expérience, d’en accueillir la troublante sensualité. Pour mieux apprécier le vin, il est donc urgent de se taire, et d’accepter la douce dépossession!!
Il y a une littérature généreuse autour de ce thème du vin et de l’amour. Avez-vous des ouvrages à nous conseiller en ce sens ?
En matière d’amour et de vin, les écrits les plus brillants sont sans doute les chansons paillardes. Mais à vrai dire, pour comprendre ce qui se joue à la croisée de ces deux mondes, rien ne vaut la pratique!
Vous avez également familiarisé et formé plus de 50 000 personnes au vin français. N’est-ce pas la logique prolongement de cette volonté pédagogique de faire apprendre le vin ?
Mon expérience avec O Chateau m’a surtout permis de développer une méthodologie pour rendre la culture du vin plus accessible. A dire vrai, le vin n’est pas si compliqué que ça. Ce qu’il faut, c’est avoir les bonnes clefs de lecture: comprendre, avant tout. Une fois que l’on comprend, apprendre vient tout seul, et le monde du vin devient beaucoup plus clair. C’est cette philosophie et cette façon de faire que je partage dans le livre.
Qu’est ce que vous ont apporté vos nombreux voyages autour du monde pour découvrir le vin ?
Je me suis aperçu que l’on faisait de très bons vins partout sur la planète. J’ai aussi saisi combien en France, nous étions assis sur un patrimoine culturel exceptionnel. Nos vins sont d’une diversité sans égal. En outre, je me suis rendu compte que nous avions la chance de vivre dans un pays où le vin est souvent délicieux et surtout d’un excellent rapport qualité prix. Alors oui, nous payons plus d’impôts qu’ailleurs, mais le vin est moins cher! Alors hauts les coeurs (et les coudes)!
À quoi reconnaît-on selon vous un vrai connaisseur de vin selon vous ?
Il vous fait découvrir des vins qui vous chamboulent!
Et un Jean-Pierre ?
Le Jean-Pierre, c’est cet oncle, cet ami que nous avons tous et « qui s’y connaît ». C’est ce Jean-Pierre pédant dont on a envie de rabattre le caquet. C’est aussi celui dont on soupçonne le bluff, celui d’une certaine façon, qui nous fait penser qu’on aimerait bien s’y connaitre, nous aussi, juste pour qu’il la ramène un peu moins.
Si l’on ne doit retenir qu’une idée essentielle de votre livre, quelle est la plus importante à votre avis ?
Dans ce monde désenchanté qui détruit tout et tous azimuts, il existe un autre chemin, gourmand, joyeux, sain et enthousiasmant. Il est à la portée de chacun.
Pour finir, pourriez-vous nous conseiller un vin rouge et un vin blanc parmi vos dernières découvertes et/ou vos valeurs sûres ?
J’ai la chance de beaucoup déguster. Dans mon joli bar à vins, nous proposons 40 vins au verre chaque semaine, et c’est un vrai plaisir que de faire découvrir toutes ces trouvailles à nos clients. Deux noms à découvrir? En rouge, Jean-Michel Alquier (Faugères), en blanc, le Domaine de Baal au Liban…
« Into Wine »
Olivier Magny
Editions 10/18
256 pages
Prix : 13,10 €
«Dessine-moi un parisien »
Olivier Magny
Editions 10/18
224 pages
Prix : 12,50 €
Lire aussi :
Héloïse Guay de Bellissen entre lyrisme trash, humour et tragédie
Noëlle Chatelet ouvre les portes de l’inconnu
Roman : Le destin fulgurant de Watteau
Emmanuelle Friedmann : la dynastie des Chevallier, une saga chocolatée
Philippe Séguy : les destinées individuelles dans le tourbillon de la Révolution